Créée à la Tate de Liverpool, une grande retrospective consacrée à Keith Haring est présentée au musée BOZAR de Bruxelles. Une plongée dans le New York des années 80 et l’activisme de l’artiste gay mort du sida.
Chiens aboyeurs. Bébés rampants. Soucoupes volantes. Tout le monde connait l’univers ultracoloré de Keith Haring. Sans doute l’un des artistes les plus iconiques de sa génération. Un exploit pour un peintre mort à 31 ans des suites du sida.
Après une première présentation à la Tate de Liverpool, une grande rétrospective lui est actuellement consacrée au musée BOZAR de Bruxelles. Plus de 85 oeuvres, y sont exposées : dessins, peintures, vidéos, collages, affiches… L’occasion de travers l’oeuvre, la vie mais aussi les engagements du peintre.
« ART IS FOR EVERYBODY »
Le travail de Haring repose sur un mantra politique : « Le peuple a le droit à l’art ». L’exposition s’ouvre d’ailleurs par une gigantesque phrase en lettres en miroir proclamant « ART IS FOR EVERYBODY » (« L’art est pour tout le monde »). L’ambition du plasticien a toujours été de démocratiser une création artistique jusqu’ici confisquée par une élite bourgeoise, les galeries et les musées. De l’offrir à la vue de tous. Aussi utilise-t-il un langage direct, simple pour être universellement compris.
De salle en salle, on peut apprécier le formidable dynamisme de l'artiste capable de peindre des toiles de plusieurs mètres, sur des bâches, des affiches de métros ou des capots de taxi... Et dès ses premières années à la School of Visual Arts de New-York, l'artiste ouvertement homosexuel ne résiste pas à l'irrépressible envie d'inclure des bites en érection dans ses tableaux.
A LIRE AUSSI >>>> « Champs d’Amours », l’exposition qui célèbre un siècle de cinéma LGBT
Le parcours à la fois chronologique et thématiques de l’exposition permet d’ailleurs de contempler l’évolution de sa technique : un style qui emprunte autant aux graph’ qu’aux hiéroglyphes égyptiens, à la calligraphie japonaise comme à l’art Africain, aux comics comme au pop art. Dès la première salle, le visiteur comprend que les obsessions de Keith Haring sont à la fois politique et intime : l’homosexualité, la lutte contre le sida. Bien sûr. Mais celui qui est icône de la communauté LGBT s’est aussi battu contre le racisme, contre l’Apartheid, contre nucléaire, l’impérialisme américain et en faveur du féminisme.
Virées nocturnes
Le visiteur suit Haring jusque dans ses nuits. Le New York délabré des années 80 est le théâtre d’une scène alternative bouillonnante. Dans ses virées nocturnes, Haring croise Debbie Harry, la chanteuse de Blondie, David Hockney ou Andy Warhol (son mentor). Au Club 57, un bouge située dans la cave d'une église, entre deux show de drag queens, il copine avec Jean-Michel Basquiat. Pour ses copains punks, Haring créé des flyers et des performances.
Le petit gars de Pittsburg (comme Warhol) devient le prince des nuits underground newyorkaises. Haring est une éponge. Il s'imprègne de l'énergie de la ville. Le hip-hop, le street art, le clubbing viennent nourrir son art.
Gil Vasquez, est aujourd’hui le président de la fondation Keith Haring. Il fut également l'ami de l'artiste qu’il rencontra en 1988. Il se souvient du garçon aux lunettes rondes, à l'allure adolescente et aux frisettes clairsemées, qu'il décrit comme "simple et humaniste" : « C’était un homme généreux. Pas seulement avec les choses mais aussi avec son temps. Et ses oeuvres. Il était très abordable. Très doux. Très physique dans sa ma manière de peindre. La musique occupait une place primordiale dans sa peinture. Il ne peignait jamais sans de la musique. »
Le peintre travaillera d'ailleurs avec les rappeurs de RUN DMC, Grace Jones et dessinera même une tenue de scène pour sa copine Madonna.
A LIRE AUSSI >>>> Une fresque érotique de Keith Haring retrouvée… dans des toilettes pour hommes !
Celui qui veille désormais sur l'héritage artistique de Haring se remémore pour TÊTU leur première rencontre : « Je bossais dans un magasin de T-shirt juste à coté de son studio. Un jour il est rentré dans la boutique. Il cherchait quelqu’un qui bossait là mais qui, ce jour-là n’était pas là. Le lendemain, j’ai dit à mon collègue : « Je crois que Keith Haring est venu à la boutique. Il te cherchait". Il m’a répondu : « Je connais Keith du Paradise Garage, tu veux le rencontrer ? J’ai dit oui ! » A l’époque, Haring passe tous ses samedis soirs sans exception au légendaire club gay de New York. Le peintre tombera amoureux de Vasquez… Malheureusement pour lui, le jeune homme est hétéro ! Ainsi naitra leur amitié.
Pour Gil Vasquez, l’étiquette « Pop artist » est un peu réductrice : « Pop, ça veut dire populaire. Dans ce sens, Haring était pop. Et il a été très influencé par Warhol, Robert Rauschenberg, Lichtenstein… Mais d’une certaine façon, son oeuvre dépasse cette case. Car il y a de l’activisme dans son travail. Il y a un message. Parfois même un appel à se mobiliser, à interpeller le pouvoir. Et ça, c’est très rare dans l’art populaire. »
« Ignorance = Fear »
L'activisme est présent dans chaque salle de l'exposition. Dès l’élection de Ronald Reagan en 1980, Keith Haring s’en prend au nouveau président des Etats-Unis. Un collage élaboré en « cut up » à partir de coupures de journaux proclame "REAGAN TUÉ PAR UN FLIC HÉROIQUE". Plus loin, c’est l’impérialisme américain qui est représenté, en noir et blanc, par un corps d’homme au sexe turgescent dont le visage est un tank militaire et dont les mains agitent un dollar qui ne vaut rien.
En 1987, bon nombre d’amis et d’ex-amants de l’artiste sont atteint par le VIH/sida. Haring est conscient qu’il est sûrement lui-même concerné par la maladie. « Je ne sais pas si j’ai cinq mois ou cinq ans, mais je sais que mes jours sont comptés. » écrit-il, lucide, dans son journal intime. L’année suivante, le diagnostic tombe, comme une sentence : Haring apprend qu’il est séropositif. Et la même année, son ex-compagnon, Juan Dubose, meurt d’une maladie liée au VIH.
Dès lors Keith Haring va collaborer étroitement avec Act Up. Revisitant en peinture le triangle rose, symbole de l'association. Peignant des oeuvres emblématiques comme le fameux « Ignorance = Fear ». Une salle de l'expo, dont les murs sont intégralement peints en rose, est entièrement consacrée à son travail pour Act Up. On y voit un phallus en érection tenant une capote rehaussé des mots « Safe Sex ! » tandis qu’un film, où des militants de l’associations viennent jeter les cendres des morts du sida devant la maison blanche, est projeté sur un mur.
Mais l’oeuvre la plus bouleversante de l’exposition est sans doute ce tableau réalisé quelques mois avant la mort de l’artiste. Dans des tons ternes, loin des couleurs éclatantes chéries par Haring, l’artiste dont le trait est d’habitude si précis et si assuré, semble tremblant. Témoignage d’un corps affaibli par le virus, la toile est inondée de coulures. Haring meurt le 16 février 1990 d’une maladie liée au sida.
Mais l’exposition a le bon gout de ne pas s’achever dans les larmes et maladie. Derrière un mur, ce cache une ultime salle où d’énormes enceintes crachent des chansons des Ramones ou de Grandmaster Flash. Des lumières noires réveillent les murs rayés et les couleurs vives des tableaux de l’Américain. « Keith Haring s’est la vie », s’exclame un visiteur. Et la fête aussi.
Exposition Keith Haring au musée Bozar de Bruxelles (Belgique) jusqu’au 19 avril 2020.
Photos illustration : Keith Haring drawing on glass, 1987/ Muna Tseng Dance Projects, Inc.