spectacleNe ratez pas le retour au théâtre des "Idoles" de Christophe Honoré, avec Marina Foïs

Par Laure Dasinieres le 28/01/2025
"Les Idoles", pièce de théâtre de Christophe Honoré.

La pièce Les Idoles, hommage joyeusement irrévérencieux de Christophe Honoré à ses icônes mortes du sida, est remontée au théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, avec de nouveau Marina Foïs à l'affiche.

Comment célébrer ses idoles disparues ? Il y a bien les oraisons et hagiographies, les lectures et les rétrospectives, les diapos sur fond de musique tire-larmes comme aux Césars… À ces hommages quelque peu convenus, Christophe Honoré a préféré Les Idoles, sa pièce créée en 2018 et qui revient au théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, jusqu'au 6 avril 2025. Comme il l'avait fait avec Nouveau roman en 2012, l'écrivain, cinéaste et metteur en scène prend le parti du chant choral, joyeux, incandescent et sensible, résolument du côté de la vie.

À lire aussi : Marina Foïs dans "Les Idoles" : "Le spectacle montre que le sida était une maladie politique"

Lui avait 20 ans au début des années 1990, à une époque où le sida brûlait une à une ses idoles : les dramaturges Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce, l'auteur Hervé Guibert, les réalisateurs Jacques Demy et Cyril Collard, le critique de cinéma Serge Daney… "Jours étranges, non, jours sinistres et terrifiants. Jours où le désir s'appariait toujours à la mort. Désir des corps et désir de l'art", écrit-il dans la note d'intention dont la version audio est diffusée en introduction de la pièce. Comme pour conjurer la mort et l'absence tout en ravivant le désir l'espace d'un instant, Honoré ranime ces figures aussi adulées qu'absentes.

Célébrer les disparus du sida

Il suit, dit-il, une démarche analogue à celle du rituel malgache de retournement des morts. Profanation ? Peut-être, mais s'il déterre les défunts, c'est pour les exalter, chanter et danser avec eux et mieux les enterrer in fine. On est loin de l'hommage révérencieux, loin aussi du biopic à comédiens grimés. C'est à une réunion/confrontation imaginaire de ces idoles que nous convie Honoré, tirant parti d'un casting qui suggère plutôt qu'il n'imite. Peu importent le genre, le physique ou la voix, seules comptent l'émotion et la force de dialogues fantasmés mais nourris d'érudition. Et la surprise initiale de voir Marina Foïs, toute en retenue, incarner Hervé Guibert (rôle qui lui avait valu un Molière en 2019), ou Paul Kircher, solaire, camper Bernard-Marie Koltès, est vite balayée dans cette célébration de la vie.

"Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs, chanter le jour, chanter la nuit, chanter le soleil et la pluie." Ces paroles de "La Chanson d'un jour d'été", tirée des Demoiselles de Rochefort, lypsynchée et voguée par une Marlène Saldana/Jacques Demy pétulante et indisciplinée, semblent écrites pour coller à cette époque d'espoir trop souvent déçus.

Interroger la place de l'artiste séropositif

Et sur scène, les "idoles" règlent leurs comptes, s'engueulent, se draguent, s'enlacent. C'est souvent drôle et joyeux, et le texte référencé et ciselé y est pour beaucoup. C'est dur aussi, parfois. Dur et bouleversant de voir Harrison Arévalo/Cyril Collard refuser de mourir, s'acharner, rêver de Porto Rico. Dur et éprouvant d'entendre dans la bouche de Foïs après les avoir lus dans À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, les mots de Guibert qui décrivent les derniers jours de Michel Foucault (qu'il surnomme Muzil). On sait que cette mort, parmi les premières, marque le début d'une terrible hécatombe. On s'attache si fort aux personnages que, là, au milieu d'une phrase, d'un rire, on pleure déjà, on pleure encore leur mort. S'il adopte un regard profondément doux et bienveillant, Honoré n'érige en effet pas ses idoles en saints, en images lisses et parfaites, mais en êtres vulnérables, traversés par des contractions, parfois splendides, parfois mesquins.

Dans ce mouvement entre la vie et la mort, la fête et la désolation, Les Idoles rouvre aussi des dossiers qui n'ont jamais vraiment été refermés. Comment se positionner quand c'est "juste la fin du monde" et que l'on se sait condamné ? Dire sobrement son statut sérologique comme Julien Honoré/Jean-Luc Lagarce à la radio ? Le taire (et le faire taire durant des décennies) comme Jacques Demy ? Fallait-il en faire un sujet d'écriture ou de cinéma ? Le mettre en scène et le romancer comme Collard ou le raconter sans fioritures comme Guibert ? Se devait-on, en tant que séropositif, de militer et de se lancer dans l'activisme ? En un mot, les artistes gays et séropositifs avaient-ils une responsabilité ? Six idoles (et une apparition de Liz Taylor) et autant de réponses différentes.

Les idoles sont mortes et l'on veut continuer de les entendre débattre, on veut continuer de les aimer sans l'absence et le chagrin. À peine les applaudissements éteints, elles nous manquent déjà. Il nous reste à relire leurs textes, à revoir leurs films, à entretenir leur mémoire.

À lire aussi : Louise Abbéma, la "bonne amie" bien lesbienne de Sarah Bernhardt

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

spectacle | théâtre | Christophe Honoré | VIH | culture | Marina Foïs | Hervé Guibert