portraitDoechii, la "bi bitch" à cœur ouvert

Par Florian Ques le 13/03/2025
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À 26 ans, Doechii incarne la nouvelle garde de la scène hip-hop et parle sans artifices de sa santé mentale, ses addictions, sa bisexualité…

La rappeuse Doechii n'a jamais autant mérité que ce 6 mars son pseudo de "princesse du marais" ("swamp princess"). De passage à Paris, la jeune Américaine de 26 ans avait donné rendez-vous à ses fans chez Lucky Records, disquaire queer situé dans le quartier du Marais, à Paris. Ce qui devait être un classique et décontracté meet and greet – une session de dédicaces et de photos – s'est transformé en cohue totale. Des centaines de personnes ont envahi la petite rue piétonne de la Verrerie pour espérer avoir une signature de la star sur le vinyle de son nouvel album, Alligator Bites Never Heal. Un mois auparavant, cette troisième mixtape de hip-hop alternatif, au flow nerveux et impeccablement maîtrisé, venait d'être élue meilleur album de rap aux Grammy Awards.

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Il y a cinq ans pourtant, Doechiide son vrai nom Jaylah Ji'mya Hickmon – n'était qu'une jeune inconnue, née en Floride, qui rêvait de faire de la musique. En janvier 2020, elle se fait virer de son taf et tente le tout pour le tout, comme en témoignent ses vlogs de l'époque, bruts de décoffrage, qu'elle n'a jamais pris la peine de supprimer. Elle autoproduit un premier EP et connaît en quelques mois une ascension express, portée par TikTok. Aujourd'hui, Doechii a déjà à son actif plusieurs featurings avec des monstres du secteur comme Katy Perry et Tyler the Creator, et multiplie les collaborations dans le rap et le R&B : Isaiah Rashad, Megan Thee Stallion, SZA, Jennie (ex-Blackpink)… Ce n'est pas pour rien qu'elle a été conviée dans la saison 17 de RuPaul's Drag Race afin de juger un lip-sync mémorable sur son morceau "Alter Ego" !

Doechii sait très bien où elle va, et tient fermement les rênes de sa carrière, très inspirée par son modèle, Beyoncé, tant musicienne que femme d'affaires. Son ambition et son charisme naturel lui ouvrent plusieurs portes. Celles d'un grand musée parisien notamment : le 4 mars, elle était invitée à performer au Grand Dîner du Louvre pour l'inauguration de l'exposition Louvre Couture : objets d’art, objets de mode. Comme elle est la it girl du moment, on la croise évidemment dans tous les défilés de la récente Fashion Week de Paris. Comme une revanche sur la vie, quelques jours plus tard, elle était invitée à chanter sur la scène du festival Jazz in the Gardens, à Miami, en Floride, par l'icône Lauryn Hill : Doechii revenait ainsi sur sa terre natale collaborer avec l'autrice de The Miseducation of Lauryn Hill, le tout premier album qu'elle a intégralement écouté.

Fierté et vulnérabilité

Là où les artistes queers de sa génération au succès tout aussi fulgurant, de Billie Eilish à Chappell Roan, tentent à tout prix de protéger leur vie privée – au risque de l'effet Streisand –, Doechii affiche sans complexes ses peurs et ses faiblesses et se confie très facilement à son public. Ses vieilles vidéos d'avant sa célébrité ? Elles font partie de son parcours, pourquoi les effacerait-elle ? Quand des fans complimentent sa plastique sur les réseaux sociaux, elle précise sans détour que sa peau est si radieuse parce qu'elle a déjà fait usage de Botox et d'injections d'acide hyaluronique. De temps à autre, elle s'exprime également sur sa sobriété et les raisons qui l'ont conduite sur cette voie. Enfin, sa sexualité, qu'elle aborde fièrement en interview ou dans son art. À l'image de sa génération, c'est bien simple : Doechii dit non aux tabous et non-dits.

"Je suis la nouvelle Madonna du hip-hop", claironne-t-elle sur "Nissan Altima". Les similitudes sont là : une personnalité crue et généreuse, qui n'a pas peur d'être sexy et puissante sur scène, et qui cultive ses liens avec la communauté LGBTQI+. Ce n'est pas pour rien qu'elle est à l'affiche du concert de clôture de la WorldPride, prévue pour le 8 juin à Washington, la capitale fédérale des États-Unis, en ce début d'ère Trump.

"Dans ma musique, je dois être crue et explicite, sinon je ne me sens pas à l'aise, souligne d'ailleurs Doechii dans un récent entretien accordé au site The Cut. Je n'aime pas les secrets." "Yucky Blucky Fruitcake", le single qui l'a fait connaître, évoquait déjà son orientation sexuelle au détour d'un flow. Dans son tube "Nissan Altima", single de sa dernière mixtape, elle balance : "I'm a real bi bitch""je suis une vraie pétasse bisexuelle", en français. "Je suis avec une femme aujourd'hui et j'ai toujours su que j'aimais les femmes", confiait-elle en octobre 2024 à Gay Times. Mais c'est en partant loin de la Floride qu'elle a enfin pu assumer comme elle le souhaitait son identité : "Il serait ridicule de ne pas reconnaître l'homophobie et le racisme flagrants qui sévissent dans le Sud [des États-Unis]", souligne-t-elle. C'est pour cela qu'après être revenu à Tampa, sa ville natale, lors de la pandémie de Covid-19, elle s'est pressée en 2021 de déménager en Californie, beaucoup plus libérale et ouverte sur les questions LGBTQI+.

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Crédit photo : Universal Music / John Jay

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