Ses années Netflix dans le rétroviseur, l'artiste non-binaire Dua Saleh se concentre désormais sur sa musique. Sorti en octobre, I Should Call Them, son premier album de R'n'B alternatif, porte toute sa verve militante, qu'on retrouve sur scène ce 24 mars lors d'un concert à la Maroquinerie, à Paris.
En 2021, dans la saison 3 de Sex Education, apparaît le personnage de Cal qui permet à la série britannique d'explorer la non-binarité. Pour son interprète, Dua Saleh, 30 ans aujourd'hui, ce rôle a aussi été le moyen de mieux se comprendre. "La scène où Cal est en larmes au bord d'une falaise à cause de sa solitude, ça m'a rappelé les pensées suicidaires que j'ai moi-même eues pendant mes années d'université, confie l'artiste. Grâce à la série, j'ai pu confronter ces expériences pour ensuite pouvoir commencer à guérir."
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Mais la guérison est un processus long, surtout quand on a de nombreuses plaies à soigner, comme une séparation dévastatrice doublée d'une écoanxiété croissante. Dua Saleh articule sa détresse dans I Should Call Them, son premier album, paru à l'automne 2024 après trois EP dans lesquels l'artiste bravait déjà les genres en mêlant dance, rap et techno.
Écolo Dua Saleh
Ce nouveau disque, plus long, tire son influence du R'n'B – Dua Saleh revendique l'héritage des chanteuses Alex Isley et Erykah Badu, mais aussi de Beyoncé – et y ajoute des sonorités électro tout en opérant certains virages déroutants, comme sur le morceau de clôture, "2excited", soudain envahi de guitares énervées et de cris gutturaux propres au black metal. "J'ai voulu m'essayer au R'n'B alternatif, explique l'artiste. Mais le concept était très clair : je raconte mes déboires amoureux et ça me sert de métaphore pour parler de la relation chaotique qu'on entretient avec notre Terre."
L'artiste voit une corrélation entre notre façon de traiter nos partenaires romantiques et l'écologie : "Au début d'une relation, on découvre les traumatismes de notre partenaire tout comme ce qui lui procure du bonheur. C'est normal, on est là pour apprendre. La Terre, on sait déjà tellement de choses sur elle : on devrait utiliser ces informations pour améliorer notre lien avec elle. Que ce soit dans un couple ou avec la planète, l'ignorance n'est jamais une solution."
Sa sensibilité écologique est ancienne : au lycée, Dua Saleh a fait partie d'un club de jardinage et a pris à la fac la présidence d'un groupe de défense environnementale. Mais elle s'insère dans un engagement politique et social plus global, dont sa musique est le reflet. Ainsi, en 2020, les revenus de son titre "body cast", qui dénonce les violences policières, ont été reversés à une association de personnes noires, queers et trans.
La commu contre le désespoir
"Vu comment on aime, ça ne dure jamais", affirment les paroles de son single "Want", qui laisse transparaître une forme de pessimisme. "On essaie de faire des efforts pour préserver la planète, mais on aime aussi trop notre confort et nos excès, appuie l'artiste. On aime nos produits Apple, on aime nos jolis vêtements, on aime tout ce qui brille. C'est un désir insatiable. C'est de ça dont je parle quand j'évoque l'idée de relation toxique qu'on entretient avec notre planète."
Son militantisme s'est intensifié quand le Soudan, son pays de naissance que ses parents ont fui pour les États-Unis dans les années 1990, a sombré en 2023 dans une nouvelle guerre civile: "Aucune vie humaine ne mérite d'être sacrifiée pour du pétrole ou de l'or. Mais c'est pour ça qu'on retrouve cette vision apocalyptique dans mon album. Mon monde s'écroule et, en tant que personne soudano-américaine, l'imminence de la mort est toujours présente."
Sur ses morceaux, Dua Saleh vient contrebalancer la noirceur de son propos avec des harmonies souvent plus dansantes. Mais dans la vie de tous les jours, son échappatoire reste sa communauté : "Le soir du Nouvel An, il n'y avait autour de moi que des personnes queers et trans. Ça m'a fait oublier un moment tout le stress lié à l'élection présidentielle américaine et à l'investiture de Donald Trump. Il faut pouvoir se retrouver entre nous, dans des espaces où l'on n'a pas besoin d'expliquer notre réalité et nos identités. Sans ça, on va juste sombrer dans la folie."
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