Pour la première fois, une pétition visant à interdire les "thérapies de conversion" anti-LGBT a atteint un million de signatures en Europe, seuil qui oblige la Commission européenne à y répondre. Mattéo Garguilo, co-président de l'association qui a porté cette initiative citoyenne, Against Conversion Therapy (ACT), revient pour têtu· sur cette folle aventure.
1.245.822 : c'est le nombre de signatures qu'a récolté une pétition citoyenne appelant à interdire en Europe les "thérapies de conversion" qui prétendent modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne. Dont la moitié, 670.000, provenant de France.
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Le cadre de cette mobilisation est encore très méconnu : il s'agit du processus d'initiative citoyenne européenne (ICE), qui existe depuis 2012 et permet aux citoyens européens d'appeler la Commission de Bruxelles à proposer de nouvelles législations ou actions sur un sujet donné. Si une telle pétition recueille plus d'un million de signatures en moins d'un an dans au moins 7 pays, l'institution doit y répondre, mais n'est pas obligée pour autant de mettre en œuvre des actions. À ce jour, une dizaine d'ICE ont dépassé le seuil fatidique (pour interdire la fourrure animale, la pêche aux ailerons de requins, l'interdiction du glyphosate...) mais aucune, jusqu'ici, ne concernait spécifiquement un sujet LGBTQI+.
Grâce au succès de cette mobilisation, la Commission européenne a donc l'obligation d'y répondre publiquement dans un délai de neuf mois après validation des signatures. À l'initiative de ce mouvement citoyen, un étudiant en relations internationales de 21 ans, Mattéo Garguilo, co-président de l'association Against Conversion Therapy (ACT), qui nous raconte comment il a réussi cette jolie démonstration de force.
- 1,2 million de signatures, c'est génial ! Comment as-tu fêté ça ?
Je n'ai même pas fêté ça tant j'étais KO. J'avais une sacrée dette de sommeil ! Après de longs mois à sortir les rames pour mettre ce sujet à l'ordre du jour, je suis très sollicité depuis quelque temps. Et je ne voulais pas me louper car c'est un moment historique. C'est incroyable !
- La Commission européenne vient de t'appeler, ils voulaient te féliciter ?
Pas vraiment, c'était un appel très technique pour m'expliquer les prochaines étapes. Chacun des 27 pays de l'Union européenne (UE) va maintenant devoir vérifier les signatures récoltées, selon une procédure propre à chaque pays. C'est assez cocasse car chez nous, c'est le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, qui, lorsqu'il était sénateur (LR) avait refusé de voter, en 2022, l'interdiction des "thérapies de conversion" en France, et qui va devoir aujourd'hui traiter nos 670.000 signatures.
- Comment t'est venue l'idée de lancer cette pétition ?
En 2021, lorsque l'Assemblée nationale examinait la loi sur les "thérapies de conversion" en France, j'ai appris qu'il existait ce dispositif de pétitions européennes obligeant les institutions à s'emparer d'un sujet porté massivement par la société civile. C'est un formidable outil ! Mais l'idée est restée en jachère jusqu'à ce que lors d'une soirée, alors que j'étais étudiant à l'Institut d'études politiques (IEP) de Lyon, j'en parle à un camarade, Caleb, qui est Italien. Nous avons tous les deux créé l'association Against Conversion Therapy en août 2023, puis imaginé un texte qui devait répondre à une formalité propre aux procédures de l'Union européenne.
Au début, on a beaucoup ramé parce qu'on voulait notamment pousser cette initiative en Europe de l'Est, mais les associations LGBTQI+ locales ont d'autres priorités avec leurs droits élémentaires bafoués. Et puis, à force de convaincre, nous avons obtenu des signatures en Irlande, en Finlande...
- La Commission européenne doit désormais répondre à cette pétition, mais elle n'est pas obligée de proposer une nouveau législation. Qu'attends-tu d'elle ?
Lorsque le Parlement européen a approuvé la nouvelle équipe de la Commission européenne, Hadja Lahbib commissaire à l'Égalité, s'était engagée à interdire les "thérapies de conversion" dans toute l'Union européenne. Mais elle peut procrastiner et considérer que ce n'est pas son sujet prioritaire. Elle a néanmoins l'obligation de nous répondre dans un délai d'un an et demi. Cette pétition met une pression politique importante à un moment où la Commission européenne doit annoncer une stratégie pour 2026-2030 de lutte contre les LGBTphobies. Nous souhaiterions qu'elle modifie les traités pour inclure les "thérapies" dans les crimes européens, ou qu'à défaut, elle propose une directive.
- Le nombre de pétitionnaires stagnait jusqu'à encore très récemment. Comment expliquer cette soudaine envolée sur la dernière ligne droite ?
Nous étions sur un plafond de 250.000 signatures jusqu'à début mai et, honnêtement, je ne pensais pas qu'on franchirait le seuil du million de signatures. Mais on se disait qu'on pouvait faire mieux, on rêvait d'atteindre 500.000 signatures. Grâce au Coin des LGBT [le compte Instagram très suivi d'un militant anonyme], nous avons réussi à mobiliser Hoshi et Angèle, ce qui a produit un effet boule de neige. Puis, les partis de gauche se sont mobilisés, ainsi que le centre avec Gabriel Attal, puis Emmanuel Macron qui a fait un tweet pour apporter son soutien. Trente minutes plus tard, le chef du gouvernement slovène s'est mobilisé ! Maintenant, on va avoir besoin des politiques pour faire aboutir concrètement cette mobilisation et donner des suites à la pétition.
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Crédit photo : Mattéo Garguilo