[Article à lire dans le magazine têtu· du printemps, ou sur abonnement] Le canapé ? Tu peux bien le garder. L'appart ? Pas de problème, je m'en vais. Nos jolies assiettes chinées ? Je m'en fous. Le chat ? Même pas en rêve, je me battrai jusqu'à la mort !
Photographies : Sarah Witt pour têtu·
On parle beaucoup de bien-être animal aujourd'hui. Mais qui s'émeut que votre ex toxique ait conservé la garde de Shantay, le teckel arlequin nain dont il ne s'occupait pourtant jamais ? Quand on découvre les joies des relations longues, on est vite tenté de prendre un animal : c'est une marque d'engagement moins effrayante qu'un achat immobilier ou un projet parental. Mais la vie est mal faite, car l'amour peut s'avérer précaire, or un chat a neuf vies. Alors, en cas de séparation, qui va garder le minou ?
À lire aussi : Avoir 25 ans en 2025 : trash ou vanille, la Gen Z a choisi de ne pas choisir
Ce qui est bien avec le couple, ce sont toutes ces décisions responsables qui nous font sentir adulte. Ce qui est dur dans la rupture, ce sont toutes les horreurs que l'on se fait ou dit et qui nous rappellent qu'on est toujours bloqué au stade anal. Tenez, Élisa, 36 ans aujourd'hui, et sa désormais ex avaient adopté Lila, une jolie petite chatte, après un an de relation. Deux ans plus tard, rien ne va plus, c'est fini. Malheureusement, Élisa n'a pas trouvé de logement adapté à leur animal de compagnie. Mais l'ex est d'accord : elle gardera Lila le temps qu'Élisa retombe sur ses pattes…
"Quand j'ai trouvé mon appartement, neuf mois après notre rupture, je lui ai demandé si on pouvait faire une garde partagée, raconte cette dernière. Mon ex a accepté au début, mais elle s'est ravisée par la suite." Proust avait donc raison lorsqu'il énonçait : "Il est enfin vraiment rare qu'on se quitte bien, car si on était bien on ne se quitterait pas." Pour Élisa, c'est la douche froide : non seulement elle a perdu l'amour, mais là elle perd en plus sa petite chatte adorée. "Lila me manquera toujours. Elle était parfaite, proche des humains, agréable à vivre, demandant tout le temps des câlins. Elle dormait dans le lit avec nous", se souvient la trentenaire. Pour elle, une chose est sûre : elle n'adoptera plus d'animal en couple. Et pour l'heure, elle garde ceux des autres afin de recevoir sa dose de câlins ronronnants.
Rupture toutes griffes dehors
Au moment de sa rupture au bout de dix-sept ans de relation, Clément, 38 ans aujourd'hui, n'a pas hésité : il est parti avec Rufus sous le bras, son pinscher nain. "J'étais le seul à m'occuper de lui, c'était d'ailleurs l'une des raisons de nos disputes. Et si mon ex adore me reprocher de l'avoir emmené avec moi, il n'a rien fait pour le récupérer !" Parle-t-on du chien ou de la relation amoureuse ? Sans doute un peu des deux… Eh oui, un animal demande du temps, des soins, de l'attention, presque autant qu'un couple.
Pourtant, à la base, Clément ne voulait pas de chien. Mais il s'était laissé convaincre pendant le covid. Aujourd'hui, il estime avoir agi dans l'intérêt de l'animal. "Honnêtement, j'aurais préféré que mon ex le garde. C'est vraiment la situation qui m'a fait prendre Rufus. Je me suis dit : « Le pauvre, s'il veut pisser le matin, avoir des promenades régulières… » J'étais le seul sur qui il pouvait compter." Les garçons ont bien discuté d'une garde alternée, mais elle fut jugée trop compliquée à mettre en place : ils habitent désormais à 400 kilomètres l'un de l'autre. "Et puis j'ai surtout autre chose à faire que de voir mon ex chaque semaine pour récupérer un chien !" balance Clément.
Ce dernier a néanmoins de la chance, car certains n'hésitent pas à se servir de l'animal pour exercer une pression sur leur ex. Après treize ans de relation et un chat, le couple de Jérôme se sépare. Il accepte de garder le félin, le temps que son ex se retourne et le reprenne définitivement. "Malgré l'attachement que j'avais pour l'animal, ça a été compliqué à gérer dans ma relation avec mon ancien compagnon, se souvient-il. Il venait régulièrement le nourrir mais, comme il était jaloux, je ne devais pas lui dire que je refaisais ma vie." Cette situation a duré près d'un an, avant que le matou ne soit récupéré par son ex. Jérôme en conserve un sentiment ambivalent, "entre soulagement de s'être sorti d'une situation difficile et tristesse due à la perte du chat, ce qui montre toute la complexité de la vie, des relations humaines… et humain-animal !"
"La garde partagée, c'est bien beau sur le papier, mais les séparations ne se font pas forcément à l'amiable."
Soyons francs : l'option garde alternée est rarement la panacée. Tenez, c'est ce que s'étaient promis Marie, 28 ans aujourd'hui, et sa copine, lorsqu'elles ont adopté Arnold, un cocker anglais. Mais deux ans plus tard, la séparation est violente. "On n'avait aucune organisation pour la garde. Il n'y avait rien de vraiment respecté, se remémore Marie. Et, parallèlement, je subissais du harcèlement de la part de mon ex."
Alors au bout d'un an, elle décide qu'Arnold restera avec elle. Mais son ex ne l'entend pas de cette oreille. "J'ai subi des violences verbales et des intimidations de la part de ses proches, raconte Marie. Alors j'ai craqué, j'ai accepté de refaire une garde alternée, avec un planning cette fois. Et j'ai voulu qu'on passe devant un médiateur de justice." La médiation est toujours en cours, mais Marie ne pense pas que cette solution puisse être pérenne pour Arnold, mais surtout pour elle-même. "La garde partagée, c'est bien beau sur le papier, mais les séparations ne se font pas forcément à l'amiable. Ça peut être très violent", observe-t-elle.
C'est pour cela qu'en cas de rupture, Clara, 28 ans, sera la seule gardienne des deux chats du couple. Il faut dire qu'elle a été refroidie par une précédente expérience : quand elle était plus jeune, avec sa copine de l'époque, elle avait adopté Pepper, une petite chatte. Mais un an plus tard, quand les deux femmes se séparent, aucune des deux ne peut s'occuper de l'animal. "Je retournais vivre à Paris chez mes parents, qui eux-mêmes avaient un chat… Par défaut, mon ex a dû la garder, mais elle ne pouvait pas non plus s'en occuper sur le long terme. Pepper a finalement atterri chez une pote, raconte-t-elle. Ça m'a fendu le cœur."
Ce que mon ex m'a apporté de mieux
Cette fois, Clara n'a rien laissé au hasard… "Avec ma copine, avant même d'adopter, on a eu une grosse discussion : combien on en prend ? qu'est-ce qu'on en fait si jamais on se sépare ?" Le genre de discussion que personne n'a envie d'avoir : pourquoi parler rupture en plein milieu d'une belle histoire d'amour ? Pourtant, ça résout plein de choses, et pour Clara cet échange a été salvateur : "C'est rassurant pour les deux parties de discuter de ce qu'il se passera si jamais ça arrive." D'un commun accord, les chatons ont donc été mis à son nom : "Il n'a jamais été question d'une garde alternée. Pour leur bien-être, c'est mieux qu'ils conservent le même territoire."
Toutes les ruptures ne finissent pas avec de la vaisselle cassée et une interdiction d'approcher. D'ailleurs, certains arrangements fonctionnent très bien. Voyez la famille recomposée de George : ce british à poils longs est toujours choyé par ses deux mamans, mais aussi par son beau-père et sa belle-mère ! Jess et Rose, 39 et 33 ans aujourd'hui, ont vécu une histoire d'amour pendant huit ans. "On s'était dit qu'en cas de séparation, c'était Rose qui le prendrait. C'est elle qui voulait adopter à la base, et elle aurait beaucoup plus souffert que moi de s'en séparer, retrace Jess. Notre seule exigence à toutes les deux, c'était qu'il soit dans un bon endroit." Après leur rupture, elle a gardé George pendant un an, le temps que Rose se trouve un logement adéquat.
"Il est au centre de nos conversations, et ça nous permet de conserver un lien."
Aujourd'hui, George vit chez Rose et part chez Jess pendant les vacances. Elles sont restées amies (ça aide !), s'envoient des photos de lui et discutent de sa santé fragile. "C'est super qu'on soit deux à s'en occuper, c'est clairement notre enfant ! reprend Rose. Il est au centre de nos conversations, et ça nous permet de conserver un lien." L'amour passe et ses fruits restent, comme un témoignage de la relation passée. "C'est toujours mon chat, c'est juste qu'il ne vit plus chez moi, insiste Jess. On choisit ses croquettes ensemble !"
Cette garde partagée n'a pas empêché les deux femmes de vivre de nouvelles histoires. Rose vit maintenant avec Léo – "super content d'avoir George" –, et Jess avec Alicia. "Ce n'est pas toujours agréable pour elle : les poils, les odeurs de litière… et puis c'est quand même un symbole de ma relation antérieure qu'elle a constamment sous les yeux, admet Jess. Mais elle est très indulgente." C'est ce qui s'appelle retomber sur ses pattes.
À lire aussi : Coparentalité : le plus vieux modèle de famille homo se réinvente