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cultureLes nouvelles séries pour ados sont-elles vraiment le reflet de la jeunesse ?

Par têtu· le 20/07/2022
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Dans les séries pour ados, c'est sexe, fête et queerness à tous les étages. C'est vraiment ça, la vie des ados ?

Que ce soit Élite, Sex Education, Euphoria, Skam France ou plus récemment Heartstopper, les teen séries à succès des années 2020 peignent le quotidien de bandes d’adolescents à majorité queers. Si ces représentations assurent des modèles bienveillants auxquels s’identifier pour les jeunes générations, on se questionne souvent sur le bien-fondé de ces mises en scène. Est-ce que les LGBTQI+ au lycée sont si accepté·es dans les établissements fantasmés des showrunners ? Ou est-ce que les séries proposent des modèles idéaux de société qui ne sont, en réalité, pas encore vraiment acquis ? 

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Tournant dans les séries 2020

En une décennie, un renouveau inédit s’est opéré dans les trames narratives des teen séries. De nos jours, la majorité comporte a minima un personnage LGBTQI+ quand ce n’est pas, comme nous l’avons cité en intro, une bande entière de copains queers qui font vivre les intrigues. Pour la chercheuse et docteure en cinéma Maureen Lepers, “depuis une dizaine d’années, les castings des teen séries ont effectivement pas mal changé, mais ce n’est pas un phénomène qui leur est propre, elles suivent un mouvement plus général de diversification des castings des productions grand public, que ce soit à la télévision et au cinéma. Donc même si les teen séries ont une cible un peu spécifique, elles restent prises dans une économie télévisuelle/audiovisuelle globale qui a compris que l’inclusion/la diversité du casting pouvait être une vraie plus-value.” 

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S’il n’existe pas de quota à proprement parler pour l'inclusivité sur les plateformes créatrices de contenu, Netflix USA édite chaque année un rapport autour des questions d’inclusivité, et notamment des personnages LGBTQI dans leurs productions. Maureen Lepers nuance : “Indéniablement, les choses avancent : les personnages queers sont plus nombreux, plus visibles. Après, il y a plusieurs choses. Déjà, je ne suis pas sûre qu’il s’agisse désormais d’un vrai réflexe. Beaucoup de séries actuelles n’en intègrent pas, ou pas vraiment et, au delà de la quantité, ce qui compte aussi est la qualité de ces modèles : est-ce qu’ils sont stéréotypés, est-ce qu’ils ignorent complètement les problématiques LGBTQI+, ou est-ce qu’ils effectuent un véritable travail critique ?” Il y a en effet de quoi s’interroger quant à la réalité des situations décrites dans les séries pour les jeunes LGBTQI+. 

Une réalité plus complexe 

Pour Manon, jeune lycéenne parisienne de 17 ans, la Marche des Fiertés de juin 2022 était sa toute première. Elle a fait son coming out cette année et sort avec une fille de terminale de son lycée. “Nos camarades sont contents pour nous et les profs ne disent rien. On peut s’embrasser dans la cour et se tenir la main devant tout le monde. Clairement, j’ai l’impression que notre génération est bien plus ouverte sur ces questions, et oui, c’est sûrement grâce aux séries qu’on regarde”. Brandon, ancien assistant d’éducation dans un établissement d’une petite ville de Vendée, note aussi la différence : “Les choses ne sont vraiment plus les mêmes qu’il y a dix ans au lycée, les jeunes sont bien plus ouverts et en phase avec leur sexualité que je pouvais l’être à leur âge par exemple. Clairement les séries ont joué un rôle mais c’est aussi parce que les plateformes se sont beaucoup développées, les séries ont explosé et sont maintenant bien plus accessibles qu’à mon époque." Quand on lui demande s'il a un exemple particulier en tête, il souligne : “Je vois notamment le changement au niveau du make-up et du vernis chez les garçons, il y a eu une vraie démocratisation ces dernières années.”

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De son côté, Maureen Lepers confirme que les séries ont un impact positif sur les ados LGBTQI+ dans le sens où elles donnent de la visibilité à la communauté, mais nuance cependant : “En même temps, elles peuvent être une source de frustration certaine : concrètement, je ne sais pas dans quelle mesure le quotidien de Jules dans Euphoria parle à celui d’une ado trans du fin fond de ma Picardie natale… Il y a tellement de façon de se vivre soi et de vivre ses identités, les modèles de représentation que proposent les séries n’y répondent pas forcément (et n’ont pas forcément vocation à y répondre d’ailleurs).” En effet, si les représentations sont diversifiées au niveau des sexualités, elles le sont vraiment trop peu au niveau des origines de ses personnages et de leurs activités, qui sont souvent un peu clichés et parfois bien éloignées de la réalité des lycéens et lycéennes qui les regardent. 

Des séries "hors sol" ?

Maureen Lepers le détaille tout de suite : “Honnêtement, pour enseigner dans le supérieur et le secondaire depuis plusieurs années, je n’ai jamais croisé de lycées qui ressemblent à ceux de Glee ou d’Euphoria. Les teen séries, leurs lycées, leurs communautés n’ont pas vocation, en fait, à donner une représentation réaliste de ce qu’est un lycée. Ce ne sont pas des documentaires, ce n’est pas leur but.” Même son de cloche chez Brandon qui décrit un quotidien relativement bienveillant pour ses élèves LGBTQI+ mais loin des fêtes, sorties et expériences vécues par les lycéens des séries.

Manon, lycéenne de Paris, remet les choses à plat : “Dans les séries ils sont tous ultra beaux et stylés. Nous avec mes copains, on ne ressemble pas du tout à ça !” Quand on lui demande si les activités menées par ces bandes correspondent à ce qu’elle fait le week-end, elle rétorque : “Oui et non. En fait, bien sûr on fait la fête, on sort, on a accès à tout ça à Paris, mais pas du tout dans les excès mis en scène dans les séries.”

Effectivement, il serait hypocrite de conclure que les lycéens, surtout ceux des grandes villes, ne font pas du tout la fête et n’expérimentent pas la drogue, l’alcool ou le sexe durant leurs jeunes années. Néanmoins, comme le souligne Brandon, les sociabilités proposées par les bandes de potes dans les séries sont plutôt celles de groupes de vingtenaires étudiants, et non de lycéens en cours huit heures par jour. 

À partir de tous ces constats, quelques pistes se dessinent alors pour être encore plus représentatifs des adolescents LGBTQI+. En premier lieu, caster des acteurs et actrices de l’âge des personnages et, ensuite, situer les intrigues dans des milieux qui ne sont pas systématiquement étas-uniens, urbains ou bourgeois. L’inclusivité n’en serait que renforcée, et la confiance des nouvelles générations queers aussi. 

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