[Article à retrouver dans votre têtu· du printemps] Dans Baby, le Brésilien Ricardo Teodoro incarne Ronaldo, un beau gosse suintant de virilité qui met ses prouesses sexuelles au service de ses clients. Pour interpréter un tel rôle, il a dû mener une enquête de terrain.
Gueule carrée, nez aquilin et regard sombre, corpulence de rugbyman entre muscles puissants et graisse réconfortante, Ricardo Teodoro a tout d'un fantasme gay. D'un coup d'œil, on comprend pourquoi le cinéaste brésilien Marcelo Caetano lui a confié l'un des rôles principaux de Baby, son deuxième long-métrage. Il y joue le séduisant Ronaldo, mentor en prostitution d'un ex-détenu tout juste libéré qui se démène pour prendre un nouveau départ dans les rues de São Paulo.
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"Quand je travaillais au tout début sur le scénario, j'ai regardé beaucoup d'autres films sur ce sujet, comme Sauvage de Camille Vidal-Naquet ou Happy Together de Wong Kar-wai, souligne le réalisateur. Dans ces récits, les personnages sont décrits comme des ouvriers, avec un sens de l'organisation et des responsabilités. C'est ainsi que j'ai voulu représenter Ronaldo. Il possède une vraie discipline ; pour lui, c'est un boulot comme un autre." C'est d'ailleurs sur son lieu de travail qu'on l'aperçoit pour la première fois dans Baby : sur un bout de trottoir à la sortie d'un cinéma porno, flirtant subtilement avec un potentiel client.
La voix de la prostitution
Ricardo Teodoro s'est rendu sur place pour préparer son personnage. "C'est une chose de théoriser la prostitution, mais ç'en est une autre de vraiment comprendre ce que c'est ; j'avais besoin que ça passe par le corps, en touchant, en sentant, en vivant, souligne l'acteur de 36 ans. Une chose dont j'ai pris conscience, c'est que les travailleurs du sexe doivent répondre aux fétichismes de leurs clients, ils doivent avoir des caractéristiques spécifiques et entrer dans des cases." En observant à l'œuvre les escorts du quartier de Praça da República, un des lieux du film, le comédien a pu apprivoiser leurs us et coutumes : "Avec Marcelo Caetano, on ne voulait pas réduire mon personnage à un simple stéréotype. Il fallait donc que je me familiarise avec les codes de la prostitution pour que mon interprétation soit crédible. Par exemple, j'ai travaillé sur ma voix après avoir remarqué que les escorts parlent à leurs clients d'une manière plus sensuelle, avec une voix plus chuchotée : il faut qu'ils procurent du plaisir rien qu'en s'exprimant."
Cette enquête de terrain a mené Ricardo Teodoro dans l'un des saunas gays les plus populaires de la métropole sud-américaine, où il a justement eu l'expérience d'être pris pour un travailleur du sexe. "C'était certainement en raison de mon apparence et de mon âge que les clients du sauna ont pensé que j'étais escort : la plupart étaient plus âgés, raconte-t-il avec un sourire amusé. On a discuté, et je me suis bien gardé de démentir quoi que ce soit. Je pense que ce moment de conversation et de mise en confiance fait partie intégrante du travail d'escort, bien avant l'aspect sexuel."
L'acteur a choisi d'interpréter Ronaldo tel un petit entrepreneur consciencieux, abordant chaque rapport sexuel comme une mission opérée dans un cadre précis – et surtout bienveillant. "En échangeant avec les mecs du sauna, j'ai compris qu'il n'y avait ni moralité ni jugement autour de l'acte sexuel en lui-même, et qu'en tant que travailleur du sexe je devais simplement satisfaire et fidéliser la clientèle", appuie l'acteur, récompensé par le Prix Fondation Louis-Roederer de la révélation lors du dernier Festival de Cannes, comme Félix Maritaud pour Sauvage en 2019. Les escorts eux-mêmes se sont reconnus dans ce portrait : "Quand le film a été projeté en avant-première au festival Chéries-Chéris, il y avait dans le public des Brésiliens qui étaient venus en France pour se prostituer, rapporte le réalisateur de Baby. Ils étaient contents, notamment de l'empathie qu'on a su créer autour de Ronaldo."
"Avec Marcelo, on ne voulait surtout pas réduire le personnage, reprend Ricardo Teodoro. C'était la chose la plus importante. Travailleur du sexe n'est qu'une de ses multiples facettes : c'est aussi un père, un ami, un amant, avec tout un tas de valeurs et de principes." Et avec ça, sexy en diable, ce qui n'enlève rien !
Baby, de Marcelo Caetano.
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Crédit photo : Jorge Bispo