Les 3SomeSisters s'amusent du genre, des religions, des paillettes

Par Julie Baret le 24/11/2016
3SomeSisters

C'est un ménage à trois qui se joue à quatre. Ce sont des sisters qui ne sont pas soeurs "ou peut-être que si". 3SomeSisters hors les cases. Impertinent ? Intriguant ? Résolument queer.

Paris 18ème arrondissement - Dans un salon parqueté où débordent les plantes vertes, bols de thé noir au programme. Bastien, notre hôte, est assis à ma gauche. Barbe fournie et bonnet sur la tête, il porte une chemise ethnique entrouverte sur un torse que l'on devine musclé. Il rigole régulièrement aux blagues de Florent qui est assis face à lui, et chez qui deux boucles d'oreilles argentés se disputent la place d'un lobe d'oreille.
Les deux hommes se sont rencontrés à Bordeaux lorsqu'ils étudiaient le jazz et les musiques actuelles. Le premier arrivait de l’île de la Réunion où il a appris à jouer du cor et de la guitare. Le second, fils d’une pianiste et d’un percussionniste, a d'emblée emprunté la voie du chant.
Au milieu vient Anthony, moins bavard que ses voisins. Lui a troqué le piano classique et le conservatoire pour la guitare dès l'adolescence. Comme sur scène où il gère le volet instrumental des prestations du groupe, il laisse ce matin la parole à ses camarades choristes. Son t-shirt noir à manche courte laisse apparaître le début d'un tatouage sur son bras gauche.

"On n'a pas à se définir par notre genre, notre provenance, notre religion"

Étonnant de voir ces trois garçons sans leurs costumes de scène, leur maquillage cubiste et leurs accessoires camp. Tantôt “drag-queen de l'espace”, tantôt divines, tantôt pénitentes, les 3SomeSisters n'ont de cesse de s'amuser des personnages et des mises en scène. Second degré et décalées, ces “soeurs” jouent du masculin et du féminin, jouent de la pop baroque, jouent de la polyphonie, jouent les divas. Un fil rouge ? “Le glam', le goût du show et les eighties” qui dirigent leur pèlerinage.
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Dans ce groupe où il y a "deux gays, un ou une bi, un ou une hétéro", on clame la fluidité des genres et l'explosion des cases. "More is more" renchérit Florent en citant la profession de foi des drag-queen, "on en fait toujours des caisses, c'est notre crédo". A se demander comment cet ensemble hétéroclite peut dégager tant d'harmonie.

Florent : Je pense que c'est assez générationnel cette histoire de mélange. Aujourd'hui on commence à comprendre qu'on n'a pas à se définir par notre genre sexuel, par notre provenance, par notre religion...
Bastien : Ni par notre âge !
Florent : C'est des principes de philosophie et de sociologie de base qui sont en train d'intégrer la majorité. On est en train de piger qu'on est ce qu'on fait, ou du moins ce qu'on essaie de faire. Finalement, 3SomeSisters ça s'inscrit dans un truc très actuel. On joue avec la fluidité du genre, avec la fluidité de nos provenances ethniques et géographiques. On joue même avec le principe de religion en se créant notre propre religion, notre propre croix, notre propre famille de sisters. Cette diversité fonctionne parce que c'est une réalité. On a tendance à vouloir régir les choses par la majorité, par le culturel... Or la nature est diverse, elle est variée. Donc on s'inscrit dans une réalité. On est à l'image d'une époque.

3SomeSisters
Crédit photo : Cathy Calvanus

"De la discothèque dans une église"

Surprenant aussi de les rencontrer sans leur acolyte féminine : Sophie, “latino-bretonne” rencontrée à Paris et régulièrement comparée à la Mexicaine Frida Khalo; une question d’énergie et de couleurs selon les garçons. Malgré son absence, cette dernière vibre à travers les louanges de ces derniers : “Sophie n'a pas d'âge. Sophie est une déesse”. Si il en est une religion, elle est définitivement leur madone. Mais ne vous y méprenez pas, les 3SomeSisters sont iconoclastes :

Florent : On a intégré du genre et de la sensualité où il n'y en a pas. Vestimentairement et visuellement, on emprunte au costume ecclésiastique orthodoxe avec un total look en jean pour le côté moderne. On trouvait ça marrant. Parce que s'il y a bien un truc hyper sensuel, c'est le jean ! Les années 50, ce truc qui moule bien le cul des mecs... Nous on est arrivés avec cette matière et ce look un peu tube. Cette jupe culotte oversize qui donne ce “streetwear ecclésiastique” ou “ecclésia-street”. Et dedans on y intègre de la sensualité avec nos corps, notre musique, nos voix. Xavier Héraud de Yagg avait un jour décrit nos concerts comme “de la discothèque dans une église”. Cette image-là elle est restée et elle a germé en nous.
Bastien : Ce qui nous intéresse aussi c'est la notion de rituel. C'est des petits emprunts, des références à plusieurs religions, traditions, styles et époques.
Florent : On n'est pas particulièrement mystiques mais quand on l'est c'est d'un point de vue humoristique. On se tient les mains, on se fait des petits chatouilles, on se touche les fesses… La modernité c'est une tradition altérée, modifiée, évoluée et améliorée. C'est un éternel renouvellement.
Bastien : On twiste ce qui relevait de la tradition. C'est pas toujours très heureux mais c'est des belles tentatives en tout cas ! (rires)

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"Aux vues du contexte actuel, notre musique et notre attitude deviennent un manifeste"

Vous vous dites contre la binarité du genre. Est-ce que vos prestations scéniques sont une espèce de manifeste pour l'abolition des frontières du genre ?

Bastien : On est concernés par ces questions. C'est suggéré dans notre musique et notre attitude sur scène. Mais on n’est pas des étendards. On pense qu’effectivement que c’est une manière de faire passer ce message. D’autres vont le faire plus brutalement et heureusement; ils le font très bien. Mais nous on a envie de le faire avec nos armes à nous. C’est-à-dire notre musique et ce qu’on peut donner sur scène.
Florent : Je dirais même qu'aux vues du contexte actuel ça devient un manifeste. Mais on a l'espoir de se dire que c'est qu'une question de temps. Que dans quelques années ça ne sera plus un manifeste. On fait les choses plutôt naturellement. On n’est pas des héros, on ne s’est pas donné une mission. Mais si pour certaines personnes c'est un manifeste, c'est qu'il y a un besoin. C’est que c’est manifestement utile. Donc c'est manifeste bien malgré nous et presque malheureusement. Mais allons-y.
Moi j'ai été très étonné de voir que la dernière campagne de prévention contre le VIH faisait scandale. Et en même temps ça nous fait une petite piqûre de rappel sur ce qu'est la réalité. Nous on s'entoure et on évolue autour de gens qui nous ressemblent, avec qui on se sent bien, et qui ne nous renvoie pas forcément cette image ou ce besoin d'exprimer la fluidité du genre. On n'est pas là pour imposer une vision. On n'est pas là pour faire chier qui que ce soit. On est dans le cadre du divertissement et du partage. On propose à personne de porter des jupes. Chacun fait ce qu'il veut. Et en même temps on ne réinvente rien car dans les années 80 c'était mille fois plus scandaleux.
Anthony : Et si on peut être pris en exemple, alors tant mieux.

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"On joue avec le principe d'icône. On surjoue le concept de diva"

Vous tirez justement votre inspiration d'artistes des années 70-80 comme David Bowie, Freddy Mercury... Est-ce que vous avez vocation à devenir des icônes gays vous aussi ?

Florent : On joue beaucoup avec le principe d'icône parce que c’est quelque chose qui se perd et qui va se perdre, ça ne va plus exister. On a même surjoué le concept de diva car c'est quelque chose de désuet. Plus personne n'est dupe. C’est pour ça qu’on a du second degré, de la distance avec ça. Et qu’on le remet au goût du jour avec ce show. Chacun sait qu'il peut accéder à ce statut-là facilement aujourd'hui.
Bastien : “Icône d'un soir, icône d'un week-end, icône d'une vie…” [en référence à la campagne de prévention qui a été censurée par certaines mairies LR, ndlr]
Florent : Rien qu’avec les réseaux sociaux, tu peux être un leader d’opinion avec un téléphone, avec un tweet, avec une photo. Finalement, c'est la prophétie d'Andy Warhol qui disait que dans le futur tout le monde aura son quart d'heure de célébrité. Nous on s’amuse, on se marre avec ça.
Bastien : Nous sommes des icônes. Et tout le monde est une icône. Donc plus personne ne l’est en somme.
Florent : Et puis il y a la diva, mais il y a aussi le divo. Outre le côté capricieux qu’on retient toujours chez la diva, je pense qu’il  y a aussi quelque chose qui fait rêver là-dedans. Parce qu'une diva c'est finalement la représentation pop d'une icône. Donc si on part de ce principe-là, ben Jésus c'était une sacré diva ! Dans les diva qui nous font bien marrer, on parle de Jean-Paul II aussi. On s’est dit que c’était une super-diva, avec tout le côté fanfreluche et tout ça...
Anthony : Et Donald Trump alors là ! (rires)

3SomeSisters

De la pop electro tribale à la Philharmonie

“Humilité est la première qualité” ironise Florent qui rigole sans rigoler quand il se qualifie de “demi-dieu”. Difficile de savoir si ces garçons habitués aux travestissement ont vraiment fait tomber le masque qu’ils revêtiront ce soir à Sannois (95) en première partie des Naive New Beaters. Puis demain, lors des Nuits Zébrées de Radio Nova au Zénith Sud de Montpellier.
Après avoir sorti deux Ep au mois de mars - Cross et Rope -, les 3SomeSisters concoctent un tout premier album pour 2017. Ils souhaitent y quitter le “jeu, jeu, jeu”, pour laisser plus de place au “je, je, je” et peut-être, se permettre d’exprimer des choses plus personnelles. “Nous même on ne sait pas de quoi sera fait ce disque" avouent-ils en rigolant. Il sera dans tous les cas une occasion de quitter les disparités pour “regarder dans une direction commune”. Pour cela, il va falloir “trouver ce qui nous semble être un terrain de jeu intéressant”.
Le 11 juin prochain, le quatuor occupera la scène de la prestigieuse Philharmonie de Paris. Autre mélange des genres.
Plus d'information sur la page Facebook du groupe. Retrouvez leurs titres sur leur compte Soundcloud ou sur Deezer.