Depuis deux ans, Sylvain Girault est le président de Mousse, une association qui lutte contre les propos homophobes de Christine Boutin, Marie-Claude Bompard et bien d'autres en ayant recours à la justice.
L'action de Mousse c'est une action de justicier. Quel est le sens de la Justice ? C'est une sacrée bonne question. Mais ce n'est pas la vengeance. C'est vrai qu'on joue à Batman et Robin, on est très content que Christine Boutin paie pour ses propos. Il y a une petite gratification dans l'idée que les méchants soient punis. Mais selon moi, c'est avant tout pour mettre fin à un climat d'impunité.
Assis dans une salle de spectacle intimiste du 8ème arrondissement, Sylvain Girault joue avec les allégories. A 37 ans, cet homme calme et élancé est en charge de cette pièce de l’Espace Beaujon, un centre d’animation situé entre la célèbre salle Pleyel et le boulevard Haussmann. Mais depuis deux ans, il troque régulièrement sa casquette de programmateur culturel pour la lutte contre les vilains.
J’avais le souhait de continuer d’avoir un projet avec Etienne, au-delà de notre amitié.
Sylvain a une vingtaine d’année quand il passe la nuit dans une auberge de jeunesse polonaise et rencontre Etienne Deshoulières, étudiant français résidant à Berlin. Ce dernier veut monter à Paris, réunir une équipe et créer un journal étudiant. Sylvain s'invite dans l'aventure, et en 2003, Kactus paraît dans les kiosques. Bon nombre de ses membres sont ancrés à gauche et fortement investis dans le contenu du journal. Sylvain, lui, trouve son compte en coulisses et décide de poursuivre sa voie dans le milieu associatif. Instigateur d’un collectif de jeunes professionnels du court-métrage, il reste animé par l’idée de décloisonner les sphères.
On avait acquis qu'ensemble on faisait de très belles choses. Mais Etienne ne voulait plus consacrer autant d'énergie à un objet qui avait aussi peu de conséquences. On était parvenu à faire un beau journal, avec un contenu intéressant, mais il n'était pas vendu...
Hétéro cisgenre, mais allié des féministes et des LGBT
Devenu avocat au barreau de Paris et militant LGBT, Etienne s'intéresse alors à l'impact politique de l'action judiciaire et discute, avec Sylvain, d'une manière de lutter contre les discriminations. Sylvain est hétéro mais il est particulièrement sensible à ce discours. Depuis qu’il s’est découvert écologiste, il a sympathisé avec des féministes d'Europe Ecologie Les Verts et s'est converti à leur cause. Pour lui, tout cela relève d'un combat commun au mouvement LGBT, lequel entre en résonance avec sa propre expérience d'enfant précoce :
C'est un peu osé de comparer la précocité avec la préférence ou l'identité sexuelle, mais pour moi, quand on attaque l'identité, on attaque énormément de choses. Il y a beaucoup de violence contre les enfants précoces, dès la primaire. Car on est différent, on pense différent, on raisonne différent, la norme ne nous reconnaît pas et dans une classe on n'est aidés par personne en général. D'ailleurs, un enfant précoce sera traité de tapette ou de pédé et suivra le même parcours que ceux qui sont étiquetés homos. Parce qu'on a affaire à des gens qui se sentent normaux, et puis il y a un truc qui "déraille" et on est exclus du reste des mortels. C'est extrêmement violent.
Bien qu'homme cisgenre et straight, Sylvain est ainsi parfaitement conscient qu'"une blague homophobe, ça n'est pas qu'une blague, ça véhicule énormément de choses." Qu'une attitude homophobe "fait penser à une personne que ceux qui l'entourent sont malveillants vis-à-vis d'elle, alors elle anticipe, et elle intériorise. C'est voir des ombres autour de soi et ça a des dégâts terribles sur la santé, sur l'humeur. Ça ne permet pas à la personne de s'épanouir et la société est malade de ça." Et renchérit :
Si la discrimination était quelque chose d'anodin, les femmes ne gagneraient pas 80% du salaire d'un homme à compétence égale.
"Condamner Boutin ou un élu frontiste, c'est prouver que c'est sanctionnable et susciter l'autocensure"
En 2014, Etienne et Sylvain redonnent vie à une association étudiante concentrée sur la sensibilisation contre les discriminations liées au sexe, au genre et à l'orientation sexuelle, et lui offrent un relais judiciaire. Il s'agit désormais d'agir en justice contre les propos et les discriminations homophobes. Pour sa "renaissance", Mousse se pare d'une nouvelle allure pensée par une agence de communication : celle des supers-héros. Un imaginaire qui comble notre fan de comics et qui véhicule l'idée d'une Justice employée au service d'un projet de société. "C'était aussi une manière de se moquer de nous-même car on fait la Justice en slip et en collant" plaisante Sylvain, "bien que ce qu'on ait à faire soit extrêmement grave, on essaie de rester fun". Car l'objectif de Mousse est de "faire exister la sanction" contre l'impunité des propos tenus dans l'espace public :
Moi je rattache ça à la théorie du carreau cassé : dans une allée pavillonnaire, la maison qui se fera cambrioler c'est celle qui aura un carreau cassé. Car de petites dégradations, de petits dérapages, ça agit sur les individus. Donc il faut être extrêmement vigilant sur le climat. Quand il y a de la tension, quand il y a des insultes, que l'insulte est facile, qu'elle est permise et qu'elle est déjà présente, ça n'est pas anodin.
Ça encourage des violences réelles, ça fait souffrir les personnes qui vont intérioriser ces discours, et ça peut nous faire aller vers une société religieuse dont on a mis du temps à s'émanciper, comme lorsque Christine Boutin invoque la Bible pour parler de "perversions". C'est la laïcité, c'est le cadre de notre société qu'on attaque.
Donc si on fait condamner Christine Boutin ou un élu frontiste, à un moment donné ça fait tâche d'huile. Ça montre que c'est sanctionnable et c'est tout ce qu'on souhaite : susciter de l'auto-censure vis-à-vis de personnes que, de toute façon, on ne convaincra pas et qui resteront malveillantes.
"Il ne s'agit pas de gagner des procès, mais de répondre à un objectif sociétal"
Pour ce nouveau projet, la bande d'amis du Kactus répond présente. Parmi eux, l'une devenue avocate, et un autre juriste, forment les bastions de l'association. Le gros du travail judiciaire est accompli par Etienne. Leur action est complétée par un "travail de sympathie et de connaissance" avec certains décideurs politiques qui s'intéressent beaucoup au projet. Sylvain devient président, et garant de l'intégrité et de la cohérence de l'association. Car s'il est dur avec soi-même en croyant qu'il n'a pas beaucoup de qualité, il est fier d'assurer qu'il a "au moins ça : quand je suis dans un projet, je m'assure qu'il restera collectif, ouvert, tourné vers un objectif sociétal, et qu'il réponde à des considérations éthiques. Il ne s'agit pas de gagner des procès, parce que là on entre dans l'orbite particulier. Mon rôle c'est de savoir où on va, pourquoi on le fait, et comment on s'exprime par rapport à ça. Je ne peux pas permettre - même à un ami et un avocat - d'être en roue libre là-dessus."
Contrairement à son identité visuelle, Mousse avance donc à découvert contre ceux qui se croient dissimulés derrière l’anonymat du web. "D'ailleurs, quand les auteurs de propos haineux sur internet arrivent au procès, ils se sentent con. Ils ne se rendent pas compte des dégâts. Ils chosifient l'autre" analyse Sylvain.
Lui a foi en la Justice, et ce n’est pas qu'une figure de style. Témoin d’un drame familial, il sait ce que l'action judiciaire apporte à une victime, il sait comment le rapport judiciaire permet de briser le huis-clos qui se tisse avec son agresseur, et il sait comment le bras judiciaire peut entamer le pouvoir ou l'immunité d'une personne présumée respectable.
Parole, violence... et puis quelques victoires
D'abord focalisée sur la lutte contre les propos homophobes, l'équipe de Mousse est aujourd'hui interpellée pour de la violence physique et des cas de discrimination dans la vie quotidienne. Comme ce couple de lesbiennes qui se battaient contre leur proprio qui leur avait coupé l'eau. Ou comme ce coiffeur, licencié par son employeur car les "PD, ils font tous des tours de pute". Heureusement, Mousse ne tremble pas face à ces menaces de tous les jours, et continuera d'agir, au grand jour des salles d'audience :
L'action de Mousse est très ponctuelle et très ciblée, car on s'attaque effectivement à la face émergée de l'iceberg. On souhaite que celui-ci n'émerge plus jamais.
Hier, Christine Boutin a été condamnée en appel pour "incitation à la haine" après avoir qualifié l'homosexualité d'abomination dans la revue Charles. Elle devra verser 5.000 € d'amende, ainsi que 2.000 € de dommages et intérêts et 3.000 € de frais d'avocat aux associations qui s'étaient constituées partie civile. Parmi elles, l'association Mousse des justiciers LGBT.
Plus d'information sur l'association Mousse sur leur site officiel.
Pour en savoir plus :
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