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politiqueEntretien exclusif : Emmanuel Macron et son programme (tiède) pour les LGBT

Par Adrien Naselli le 24/04/2017
Emmanuel Macron élection présidentielles

Emmanuel Macron est arrivé au second tour de l'élection présidentielle face à Marine Le Pen. Voici l'interview du créateur d'En marche ! parue dans le magazine TÊTU du 28 février 2017.

Nous l’avions rencontré début février dans son QG du 15e arrondissement, où les helpers courent en tous sens dans une atmosphère de start-up branchouille. Emmanuel Macron se voyait déjà président ; son programme pour les droits LGBT se révèle assez tiède. Il a l’art et la manière pour ménager la chèvre et le chou. Difficile de percer la carapace enjôleuse de cet animal politique qui a choisi de s’attaquer frontalement aux rumeurs sur sa sexualité (on lui a attribué une relation gay avec Mathieu Galet, PDG de Radio France). Une semaine avant le premier tour, il publiait aussi une lettre ouverte aux personnes LGBTI.

• Emmanuel Macron ministre

Quel bilan dressez-vous du quinquennat de François Hollande pour les questions spécifiques aux droits LGBT ?

La loi du mariage pour tous était, à mes yeux, à la fois souhaitable et nécessaire. Elle constitue un acquis que je défendrai. En revanche la nature du débat, le tour qu’il a pris, ont fracturé la société française. Sans doute n’a-t-on pas assez expliqué le pourquoi, des ambiguïtés ont vu le jour, qui in fine ont affaibli tout le monde. Les questions de société nécessitent un débat apaisé et ne doivent jamais être instrumentalisées à des fins politiques pour créer du clivage ou opposer un camp à un autre.

Comment avez-vous perçu le mouvement social représenté par la Manif pour tous ? Aviez-vous en tête les souffrances qu’elle a engendrées chez une grande partie de jeunes – et moins jeunes – qui se sont sentis quotidiennement attaqués ?

Après la loi Travail, c’est le mouvement social le plus important du quinquennat. Avec deux choses : l’indignation de certains qui ne comprenaient pas ce qui était dans la loi, et en même temps une violence que personne n’avait vu poindre. Certains n’ont toujours pas compris que l’orientation sexuelle n’est ni un choix ni un luxe. En même temps, je pense indispensable de savoir entendre les craintes et les convictions fortes de certains qui défendent un modèle auquel ils sont attachés. Je veux conduire un travail de pacification de la société et de lutte pour l’égalité des droits en application et en actes. Il faut ramener celles et ceux qui se sont opposés au mariage pour tous à comprendre ce qui se passe dans la société. J’ai défendu le mariage pour tous en tant que citoyen et je le protégerai si je suis élu président. Cette loi n’enlève rien à la famille, elle reconnait d’autres types de famille. C’est un enrichissement et en rien un reniement de ce qu’est la famille en France. Cela montre son importance et sa diversité pour chacun d’entre nous. Mais c’est plus particulièrement le combat contre la souffrance quotidienne que vivent les LGBT, surtout hors des métropoles, dont je ferai ma priorité. Un rejet, une homophobie ordinaires se sont installés, on l’a vu dans les chiffres de SOS Homophobie. Il y a encore beaucoup de régions ou ce n’est pas compris ni accepté.

• Emmanuel Macron candidat

Depuis que vous avez annoncé votre candidature à l’élection présidentielle, vous n’avez jamais abordé la question des droits LGBT [interview réalisée début février, ndlr]. Légaliserez-vous la procréation médicalement assistée (PMA) ? Après l’avoir promise, François Hollande a décidé d’attendre l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), qui sera rendu « au printemps ». Doit-on s’attendre avec vous à ce genre de procrastination politique ?

Je souhaite qu’on avance de manière pédagogique. À titre personnel, je suis favorable à la PMA pour les couples de femmes. 95% des PMA pour les couples hétérosexuels sont thérapeutiques. Il n’y a pas de justification sur le plan théorique pour que la PMA ne soit pas décidée. Mais je souhaite qu’on attende l’avis du CCNE afin qu’il y ait un vrai débat dans la société : si un tel débat aboutit favorablement, je légaliserai la PMA, mais je ne le porterai pas comme un combat identitaire.

Comme le proposait Manuel Valls, le seul candidat à la primaire de la gauche qui souhaitait un nouveau débat alors que tous les autres, dont Benoît Hamon, proposaient la PMA sans condition ?

Je ne me définis pas par rapport à lui, ni par rapport à quiconque. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut s’enferrer dans un éternel débat ou avoir des manœuvres dilatoires. Je veux vraiment mettre tout le monde autour de la table, c’est la fonction du président de la République que de savoir mener un débat de société et le conclure.

Quel est votre avis sur la gestation pour autrui (GPA) ? Certains pays pratiquent une GPA « éthique » ou « altruiste ». Le candidat à la primaire de la gauche, François de Rugy, souhaitait l’encadrer en France.

Je ne suis pas favorable à autoriser la GPA en France. Ce sujet soulève un débat philosophique sur la capacité à disposer de son corps et à le marchandiser. À mes yeux, c’est un débat impossible à trancher. Je lancerai une initiative internationale pour lutter contre le trafic d’enfants et des femmes ; il faut s’attaquer à la racine du problème : la GPA très peu payée et subie par les femmes, en Inde par exemple. En revanche, il faut permettre la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger. On ne peut pas les laisser sans existence juridique. Ces enfants participent d’un projet d’amour. Il faut arrêter l’hypocrisie, et je porterai ce projet pour compléter la circulaire Taubira.

Depuis d’innombrables années, les associations trans réclament le changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration devant un officier d’état civil. L’autoriserez-vous ?

Selon moi, la loi Justice du XXIe siècle a répondu à ces préoccupations en allégeant la procédure.

Les personnes trans doivent encore passer devant le juge. Par ailleurs, de nombreux pays l’ont appliqué comme l’Argentine, le Québec ou Malte. Pourquoi la France ne va pas au bout ?

Cette question repose sur certaines conceptions morales et mêmes métaphysiques. La psyché collective s’est construite autour de croyances religieuses qui sont plus que réticentes devant les évolutions dont vous parlez pour des raisons quasiment ontologiques. Ces croyances, même laïcisées, ont du poids dans nos sociétés. Au fond, c’est de notre façon de concevoir l’universel qu’il est question, ainsi que de notre capacité à pratiquer la bienveillance. En quoi donner des droits à quelqu’un vous prive-t-il de quelque chose ? Je constate l’opposition presque indépassable entre d’un côté une souffrance sociale, et de l’autre des indignations radicales. La fonction d’un président n’est pas de prendre parti personnellement sur ces sujets mais d’accompagner le dépassement de certains clivages et de favoriser le dialogue. C’est pourquoi j’ai beaucoup de respect pour les militants qui mènent des combats de longue date pour faire avancer les choses.

« Concevoir l’universel » va être compliqué : la Manif pour tous explique qu’elle est prête à parler avec tous les candidats après l’entretien de Jean-Luc Mélenchon dans Familles chrétiennes qui parle d’une « confusion » induite par le terme de mariage. Elle déclare que son seul objectif est de « faire gagner la famille ». Quelle est votre idée de la famille ?

Il se trouve que je suis hétérosexuel, mais j’ai une famille peu ordinaire : j’ai épousé une femme qui a 24 ans de plus que moi et nous avons fait le choix de ne pas avoir d’enfants ensemble. Ce sont des questionnements qui me sont familiers. Elle avait trois enfants, et j’ai maintenant sept petits-enfants avec elle. Il n’y a pas un modèle de famille. On est en train de découvrir que la filiation peut être naturelle ou construite. Il suffit de lire la littérature française : c’est une question qui a toujours existé. Il faut l’expliquer d’un point de vue anthropologique : quand un couple de même sexe adopte un enfant ou procrée avec la PMA, il réinscrit l’enfant dans une filiation. Une famille c’est un couple, des enfants, mais aussi des grands-parents. Ce qui fait le socle d’une famille, c’est le projet d’existence.

Les adolescents LGBT ont plus de risques de tenter de se suicider que leurs camarades hétéros à cause du manque d’information à l’école et dans les familles. Comment comptez-vous lutter contre l’homophobie en sachant que le moindre ABCD de l’égalité à l’école crée un tollé ?

Les ABCD ont fait naître une polémique et je ne les réintroduirai pas. Ils ont renvoyé certains et certaines à leur propre normativité. C’est la preuve que ces enseignements ont été mal présentés. Ce qui est inacceptable, c’est le harcèlement des minorités qui existe dans l’environnement scolaire comme familial, dans la rue, dans le voisinage. Comment déconstruire les stéréotypes ? Pour moi, cela ne passe pas par des manuels ou des guides. Mais les associations peuvent intervenir dans le temps scolaire, beaucoup se battent avec courage.

On se souvient de l’immense confusion sur les études de genre transformées en « théorie du genre » par la Manif pour tous – entre autres. Doit-on considérer que la mention du sexe sur les papiers est essentielle ? En Allemagne, en Australie, on peut choisir un « genre neutre ». Avez-vous réfléchi à cette question ?

Je ne suis pas sûr que la reconnaissance d’une indétermination permette de régler le problème. C’est plutôt la reconnaissance des différences qui est importante. Il n’y a pas de genre neutre, mais une orientation personnelle, ce de quoi on est faits, les hasards de la vie, les doutes qu’on peut avoir, qui font que chacune et chacun est singulier. Ne créons pas un grand tout qui nous acquitterait sur le plan moral. Il faut une politique de la reconnaissance, de la considération, accepter pleinement que des gens soient différents. Ils ont une place pleine et entière dans la société. Beaucoup de ceux qui devraient défendre cela ne le font pas, et j’ai du mal à la comprendre – je pense en particulier à certains catholiques qui prônent l’esprit de bienveillance par ailleurs.

• Qui êtes-vous, Emmanuel Macron ?

En tant qu’ancien ministre de l’Economie, l’égalité des droits ne figurait pas en première ligne de votre portefeuille. Estimez-vous être armé intellectuellement pour penser les enjeux de société ?

Oui car je m’y suis toujours intéressé. Mes années de philosophie m’y ont beaucoup aidé. Ma réflexion est continue même si mon exercice ministériel ne portait pas sur ces sujets-là.

Laurence Haïm – et d’autres – voient en vous le Barack Obama français. L’ancien président des États-Unis avait un talent certain pour parler aux communautés et en particulier à la communauté LGBT. Or en France, l’idée de communauté est controversée. Comment l’appréhendez-vous ?

La psyché française aurait tendance à dire : « Il est multiculturaliste, c’est terrible, il va diviser la République ». Mais il y a des communautés sur le plan religieux, géographique, sur la base de l’orientation sexuelle. Elles sont là. Ai-je envie de les traiter comme des communautés ? Non, car cela comporte un aspect fermé. L’entre-soi rend toujours bête. Il n’y a rien de pire quand, autour d’une table, par exemple, il n’y a que des hommes. Les communautés renvoient à des réflexes. La France est une République diverse et indivisible. Cette diversité est un trésor. Au fond, j’ai une vision assez classique de la République.

Et Justin Trudeau ? Lui aussi accorde une grande attention aux minorités. Il a été jusqu’à défiler dans trois Marches des fiertés différentes en une seule saison avec toute sa famille. Vous êtes-vous déjà rendu dans une Marche ?

Oui, avant de devenir ministre. C’était à Paris. Justin Trudeau est très inspirant, il est dans son siècle. Ceci dit le Canada est une société totalement multiculturelle. En France, il faut assumer de pouvoir parler à tout le monde. Certaines personnes vont voir d’un très mauvais œil que je vous accorde un entretien. Je leur dirai : « Vous n’avez rien compris ». De la même manière, le fait que des gens de la communauté LGBT aient mal pris le fait que je rencontre des abbés, que j’aille chez Philippe de Villiers ou que Geneviève de Fontenay vienne à mon meeting, c’est idiot aussi. Je ne partage pas leur avis sur les sujets de société et bien d’autres points, mais il faut non pas mettre des murs partout mais bâtir des ponts. La seule chose qui ne sera jamais acceptée, ce sont les discours de haine et d’exclusion.
N’est-ce pas un pari risqué d’ouvrir autant la porte ? Geneviève de Fontenay par exemple était devenue en octobre l’une des têtes d’affiche de la Manif pour tous en étant même invitée à s’exprimer à la tribune…

Je ne la connaissais pas ; elle m’a dit qu’elle était venue à mon meeting de Lyon pour voir si je n’avais pas « une banque à la place du cœur ». Si je peux convaincre des gens de changer, j’en suis très heureux. Les meetings pour des gens qui sont déjà convaincus, c’est grisant, mais ce n’est pas la finalité. J’assume cette ouverture : quand je me déplace dans une ville, j’informe tous les élus, à l’exception du Front national.

Comme vous, la Manif pour tous estime n’être « ni de droite ni de gauche » et Ludovine de la Rochère vous fait des appels du pied. La rencontrerez-vous ?

Je rencontrerai toutes celles et ceux qui le veulent. Que je reçoive des associations LGBT ou la confédération des évêques de France, je leur tiens le même discours. En revanche, si elle veut être honnête, il me semble que la Manif pour tous a choisi son camp sur le plan politique…

De multiples personnalités vous rejoignent comme Marik Fetouh, l’un des adjoints d’Alain Juppé. Il avait créé la première association LGBT de Bordeaux. A l’heure où Laurent Wauquiez supprime des subventions régionales aux associations, comment percevez-vous l’engagement associatif ?

Il est vital. Quelque part, notre mouvement En marche ! en vit aussi car nous sommes entre une association et un parti. Les associations correspondent à l’ambition que nos concitoyens portent aujourd’hui : être des acteurs de leur propre cause. Je travaille pour qu’on puisse le promouvoir. C’est une énorme erreur que des élus, sur des bases partisanes, décident de supprimer les subsides d’associations.

• "Macron gay" : la rumeur

Pourquoi avoir décidé de démentir les rumeurs sur votre sexualité alors que celles-ci n’excédaient pas le cadre des « dîners en ville » parisiens, comme vous le disiez vous-même ? Peu de gens connaissent Mathieu Gallet [le PDG de Radio France, ndlr] en dehors des médias et des politiques…

Détrompez-vous. Il y a des tas de gens qui connaissaient la rumeur, même en province. La coiffeuse de ma chargée de presse [ils se jettent un regard complice] lui a dit que je ne serai jamais président car un homosexuel ne pourra jamais devenir président de la République... Il se trouve que je connais très mal Mathieu Gallet, je l’ai vu trois ou quatre fois et uniquement à titre professionnel lorsque j’ai fait des interviews à la radio. Cette polémique était folle et deux choses sont odieuses derrière le sous-entendu : dire qu’il n’est pas possible qu’un homme vivant avec une femme plus âgée que lui soit autre chose qu’un homosexuel ou un gigolo caché, c’est misogyne. Si j’avais eu 24 ans de plus, personne ne l’aurait pensé. Et c’est aussi de l’homophobie. Si j’avais été homosexuel, je le dirais et je le vivrais.

Selon vous, pourquoi y a-t-il si peu de personnalités politiques ouvertement gays ou lesbiennes ? À l’Assemblée nationale, on ne compte que Sergio Coronado (EELV) et Franck Riester (LR), soit 0,3% des députés. À la Chambre des Communes du Royaume-Uni, on compte trente députés ouvertement gays ou lesbiennes ! Des figures comme Bertrand Delanoë n’avaient-elles pas ouvert la voie il y a presque vingt ans ?

Je suis sûr qu’il y en a plein d’autres. Certains ne le disent pas. Le champ politique est mâle dans tout ce que ça représente. Il manque de civilité. Il est très dur à la fois pour les minorités et pour les femmes.

Vous faites beaucoup appel aux femmes dans votre campagne. D’où vous vient cet engagement féministe ?

J’ai été élevé par des femmes, ma grand-mère, ma mère. Ma femme est en même temps ma meilleure amie. Moi-même, pourtant, je pâtis des représentations habituelles. J’ai une culture rentrée qui est trop normative et contre laquelle je travaille. Les réflexions des femmes qui travaillent avec moi m’ont fait bouger. C’est très appauvrissant de ne pas être féministe. Pour changer la politique, il faut être féministe, c’est une obligation morale. Ce n’est pas parce qu’on met trois femmes au gouvernement que les choses changeront.

Que pensez-vous des arguments qui disent que l’orientation sexuelle, pour une personnalité publique, fait partie de la vie privée ? Tous les présidents de l’Histoire ne se sont-ils pas de facto affichés avec leurs femmes ?

Cela dépend de l’élection et du type de personne politique. Pour l’élection présidentielle, les gens veulent, et ce n’est pas illégitime, savoir qui vous êtes dans le moindre détail.

Vous-même, pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène votre couple avec Brigitte Trogneux, là où Benoît Hamon, par exemple, était beaucoup plus discret ?

J’ai décidé de ne pas me cacher. À la fin des fins, ça vous rattrape parce que les Français vous prennent dans votre totalité. Si je pars en vacances avec ma femme et que les gens prennent des photos, je ne vais pas me cacher dans un bunker. Nous sommes un couple atypique mais je l’assume. À l’inverse, si je créais ce couple juste pour l’image, ce serait une pure mise en scène.

Emmanuel Macron, toutes les personnes qui vous ont fréquenté dans votre jeunesse, au lycée Henri IV par exemple, disent à quel point votre personnalité séduit. Êtes-vous conscient de votre côté séducteur et n’avez-vous pas l’impression de vous reposer dessus ?

Me reposer, non. Cela ne me caractérise pas. J’aime les gens et j’aime ce que je fais. Si c’est ça qui séduit, tant mieux. Pour être honnête, je ne m’aime pas beaucoup. C’est peut-être pour cette raison que je fais tout cela. J’aime casser les murets qui peuvent se dresser entre deux personnes et qui empêchent la communication. J’ai besoin de toucher, de passer du temps, de regarder en face. Il y a des gens qui n’aiment pas les autres. Je ne cherche pas à séduire pour obtenir quelque chose, car séduire, ce n’est pas aimer les gens, c’est s’aimer soi-même.

>> Entretien exclusif avec Emmanuel Macron, paru dans le magazine TÊTU mars/avril 2017 (n°213).

Couverture : crédit photo Yannick Mittelette pour TÊTU