La coprésidente de l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), Marie-Claude Picardat, a reçu la plus haute distinction française. L’occasion d’entrevoir avec elle, depuis son cabinet de psychanalyste, les multiples visages de l’homoparentalité.
À vue de nez, on n’affirmerait pas que l'APGL est la plus grande association LGBT en France. Et pourtant c’est probablement le cas, avec ses plus de 2 000 adhérents. De quoi prendre le temps de se pencher sur le sujet de l’homoparentalité, dont on ne voit souvent la couleur que dans la bataille de slogans qui oppose les partisans de la PMA (Procréation médicalement assistée) à la Manif pour tous. L’APGL vient d’ailleurs de porter plainte pour incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle et pour injure publique contre la Manif pour tous après l’épisode des affiches comparant les bébés nés de GPA ou de PMA à des légumes OGM.
Reconnaissance de la Nation
Marie-Claude Picardat est coprésidente de l'association depuis huit ans avec Dominique Boren. Le 12 octobre dernier, elle recevait des mains de Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes sous François Hollande, la Légion d'honneur : « Nous sommes ici pour vous distinguer, distinguer le combat d’une vie, votre engagement au service de la reconnaissance de toutes les familles et de leur diversité, commençait l’ancienne ministre. Évoquer votre parcours, c’est saluer une personne de conviction qui a de la ténacité et de la suite dans les idées. C’est votre épouse Françoise qui le dit ». Françoise qui partageait sa vie depuis 26 années... À travers Marie-Claude Picardat, estimait l'APGL dans un communiqué, c'est tout le travail de l'asso qui est récompensé :
En lui octroyant la Légion d’honneur, la Nation reconnaît cet engagement associatif aussi bien personnel que collectif, mais aussi l’intérêt pour notre société des avancées obtenues par l’APGL. L’APGL perçoit cette distinction comme un encouragement à poursuivre et à approfondir les actions diverses, et notamment politiques, qui ont porté l’APGL et à ouvrir de nouvelles perspectives à ses adhérent·e·s et leurs familles.
Les avancées obtenues remontent à loin : l’APGL, qui naquit « de la souffrance de parents ou de futurs parents qui n’étaient pas reconnus », a fêté ses 30 ans en début d’année. Marie-Claude Picardat, elle, adhérait à l’association il y a une quinzaine d’années, avant la naissance de son fils aîné en coparentalité avec Françoise et un homme, Jean-Charles : « Nous étions venues à l’APGL avec ma compagne pour réfléchir à notre projet de parentalité. Je suis entrée comme une adhérente lambda, comme beaucoup d'autres ».
Dans les années 80, les cas d’anciens hétéros qui se voient privés des droits de visites et d’hébergement en raison de leur homosexualité sont courants : « Un des présidents de l’asso n’avait le droit de voir sa fille qu’une fois tous les quinze jours en milieu médiatisé. Je ne sais pas quels étaient les fantasmes derrière, mais c’était des décisions de justice, rappelle Marie-Claude Picardat. Ces cas-là ne peuvent plus passer devant un tribunal : il faut trouver un autre motif que l’orientation sexuelle. » On revient de loin.
Homo + parent = homoparent
L’homoparentalité se définit par le fait qu’un des parents au moins se dit homo. À partir de là, une multitude de situations : des anciens hétéros, des parents sociaux qui veulent adopter l’enfant de leur conjoint·e, des coparents, des situations de GPA ou de PMA, mais aussi des familles recomposées.
Si tous les homoparents de France n’adhèrent pas à l’APGL, la moitié des adhérents de l’APGL vit à Paris et en région parisienne. L’asso comptait dans les années 1990 une majorité de femmes et environ un tiers d’hommes, mais le ratio est en train de s’équilibrer avec les demandes masculines sur la GPA. Marie-Claude Picardat décrit « une relative homogénéité » en ce qui concerne la classe sociale des adhérents, « plutôt des catégories socio-professionnelles moyenne et supérieure ». Les lesbiennes et les gays arrivent soit par le bouche-à-oreille, soit en faisant des recherches. Ils tombent en l’occurrence assez vite sur le site de l’APGL qui contient déjà une grande somme d’informations sur l’homoparentalité.
Et pour cause, l’asso a vécu dans le soutien aux parents en difficulté mais aussi dans une élaboration théorique sur la question de l’homoparentalité :
C’est à l’APGL qu’ont été pensées les différentes formes de familles homoparentales. Elle a été le point de référence, affirme Marie-Claude.
À commencer par le terme lui-même : « On s’est rendu compte au début des années 2000 qu’il n’y avait pas de mot pour traduire les termes anglais ! Deux ans plus tard, le mot homoparent entrait dans le Petit Robert. »
Au début des années 1990, l’APGL a écrit à toutes les unités de recherches en France pour savoir si les universitaires étaient intéressé·e·s par la question de l’homoparentalité. En 2002, l’asso publiait un guide de l’homoparentalité qui rassemblait toutes les études sur l’homoparentalité... la plupart venant de l’étranger. En France, les études commencent tout juste à se pencher sur le développement et le vécu des enfants dans les familles homoparentales.
Une ribambelle de batailles politiques
Coprésider l’APGL implique un sens aigu de la diplomatie. Marie-Claude Picardat a été aux premières loges des décisions politiques de ces dernières années agitées : « Dominique Bertinotti a mené la loi mariage pour tous et Laurence Rossignol a été du côté d’un certain apaisement. On a très bien noté un avant et un après mariage. Les effets de la loi se sont fait sentir très vite avec les premiers dépôts de demandes d’adoption en tant que couple marié. »
Laurence Rossignol, en plus de devenir la ministre des Familles, a aussi aidé l’APGL à intégrer l’UNAF (Union nationale des associations familiales) d’où elle était jusqu’alors exclue. Le changement de président de l’UNAF a été un déclencheur : « Monsieur François Fondard n’avait rien fait pour défendre nos positions. Au moment où Rossignol est devenue ministre des Familles, Marie-Andrée Blanc l’a remplacée. C’est le jour et la nuit avec l’ancienne direction. Elle était présente au moment de la remise de ma Légion d’honneur, par exemple ».
Marie-Claude Picardat porte un regard sévère mais compréhensif sur le quinquennat précédent : « Hollande n’a pas tenu ses promesses de campagne, notamment la PMA. Un des objectifs du gouvernement à l’époque était de ne plus avoir la Manif pour tous sur le dos et de pouvoir mener sa politique économique. » Elle espère que celui qui débute sera plus calme : « Emmanuel Macron s’est singularisé par une façon de monter au créneau sans aller au conflit. Sur la PMA aujourd’hui, le leitmotiv sera le même : c’est pourquoi il veut ouvrir le débat dans un temps prévu par la loi, fin 2018, lors des États généraux de la bioéthique. »
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Alors que beaucoup d’associations exigent la PMA pour toutes dès aujourd’hui, le CCNE ayant rendu un avis positif au mois de juin après quatre années de réflexions, l’APGL tient une position qui dénote et surprend :
On trouve que ce n’est pas une mauvaise chose d'attendre 2018, car on évite de construire un projet de loi qui ressemblerait à un projet de loi spécifique pour les homosexuels. Pour la PMA, nous n’avons pas d’autre choix que de s’appuyer sur le gouvernement. On aurait préféré qu’elle arrive plus tôt, certes… Mais nous avons dit à Marlène Schiappa que nous ne voulions pas de nouveau être pris entre le marteau et l’enclume.
En somme, parler de PMA raviverait les forces de la Manif pour tous.
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Des choux et des roses
Soudain, Marie-Claude Picardat nous sort un scoop : depuis l’adoption du mariage pour tous en 2013, un seul couple d’hommes mariés a pu adopter en France, à Paris. « On ignore pourquoi ce couple-là et pourquoi pas un autre, avoue-t-elle. La situation de l’adoption en France est problématique car il y a très peu de pupilles de la nation qui sont adoptables et parce que le nombre d’enfants à adopter diminue en même temps qu’augmentent les demandes. » Résultat : la plupart des personnes vont déposer des dossiers à l’étranger. Or le mariage pour tous a eu l’effet retors de faire voir les dossiers de célibataires avec un œil suspicieux. La Russie a par exemple très rapidement acté qu’elle ne donnerait plus d’enfants à adopter à des célibataires français.
En revanche, les adoptions sont nombreuses quand il s’agit d’adopter "l’enfant du conjoint ou de la conjointe" pour reformer un foyer stable et devenir parent aux yeux de la loi. Mais sans une loi sur la PMA, la situation demeure absurde : « Dorénavant, à chaque fois qu’un couple de femmes revient d’Espagne ou de Belgique, la mère non reconnue peut adopter l’enfant de sa conjointe. La loi mariage a laissé les familles homoparentales dans une situation tout à fait inaboutie. »
Autre sujet épineux sur lequel l’APGL a une position tranchée : la GPA. « Elle fait partie de nos revendications, affirme Marie-Claude. L’ADFH (Association des familles homoparentales, qui est née d'une scission avec l'APGL, ndlr) prétend représenter la GPA éthique et avoir la clef du débat sur la question. Nous considérons que les familles homoparentales doivent être reconnues y compris quand les enfants sont nés par GPA. La question devrait être ouverte en France.
On préconise une GPA qui ne soit pas commerciale : il faut qu’elle permette une rémunération des mères porteuses, comme pour les donneuses d’ovocytes, mais sous forme de dédommagement des frais de grossesse. »
Encore un scoop de Marie-Claude : avant les lois de bioéthique dans les années 1980, la GPA et la PMA étaient autorisées ! « Nous avons des adhérentes qui ont fait des IAD (Insémination avec donneur) en France. Quand les dons de sperme ont été ouverts, toute femme pouvait se présenter. La loi de bioéthique est venue fermer ces possibilités. Et pour la GPA c’était la même chose ! » Les temps changent vite…
Marie-Claude sur le divan
Marie-Claude Picardat nous a donné rendez-vous dans son cabinet de psychiatre et psychanalyste à Paris. On l’imagine écouter ses patients avec la même concentration. Alors on a décidé d’inverser les rôles :
« Quand j’ai commencé à réfléchir à la question de l’homoparentalité avec ma compagne, il fallait dépasser un certain nombre de préjugés internes à ma discipline. L’homosexualité est sortie des maladies mentales dans les années 80, les discours qui mettaient en doute la possibilité des enfants de grandir dans des familles homoparentales s’appuyaient souvent sur la psychanalyse. Tout un discours théorique dans ma discipline venait s’opposer à mon désir d’être mère. J’ai moi-même quitté ma première analyste parce que je me suis rendue compte qu’elle n’arrivait pas à traiter la question du désir d’enfant et de l’homosexualité en même temps. L’APGL m’a donc été d’une grande aide car beaucoup de gens, dans mon métier, trouvaient que c’était une question problématique.
En tant que psys, nous passons notre temps à recevoir des gens qui ont des problèmes avec leurs parents, qui viennent en souffrance du fait de leur enfance. Donc nous prenons très au sérieux cette question : qu’est-ce qui fait qu’un parent ne sera pas mauvais ? »
Son choix s’est porté sur la coparentalité : « Nous sommes trois parents et avons deux enfants », dit-elle pudiquement, préférant parler au nom de l’association qu’elle copréside. Lors de la remise de la Légion d’honneur, Laurence Rossignol racontait avec émotion le moment où Françoise, Jean-Charles et Marie-Claude ont décidé de faire un enfant ensemble : « Vous étiez tellement sur la même longueur d’onde que vous avez décidé de vous poser mutuellement la même question, le même soir, dans un café du Marais où vous jouiez à des jeux de société. C’est peut-être l’aspect le plus curieux de cette histoire. »
« La coparentalité, nous dit Marie-Claude avec des étincelles dans les yeux qui trahissent sa tempérance habituelle, est la forme la plus inventive des familles homoparentales. On a tous les cas de figure : des familles recomposées, des familles à quatre parents, trois parents, deux parents (un homo et une hétéro, une homo et un hétéro, ou un gay et une lesbienne). Avec tout un tas de variation : la garde alternée 50/50, le père qui voit ses enfants un week-end sur deux, les femmes qui veulent que ce soit les pères qui élèvent majoritairement l’enfant, etc. »
Il existe ainsi plusieurs manières de rencontrer son ou ses coparents. On lui parle des fameux speed dating entre gays et lesbiennes, qui peuvent notamment s'organiser via la plateforme co-parents.fr : « C’est avant tout une rencontre, les speed dating étant une manière de ne pas perdre de temps, d’avancer sur des prémisses communes. Il y a des gens qui se rencontrent sur des sites, d’autres à l’APGL. Ou dans la vie, des gens qui mettent en lien des amis. » Cette forme de parentalité pose des problèmes juridiques car il demeure toujours deux parents biologiques et deux parents sociaux qui n’ont pas de liens avec l’enfant. L’APGL travaille à donner un statut légal à ces parents sociaux. Les Pays-Bas, par exemple, viennent de passer une loi pour l’autoriser.
Photo de couverture : Les coprésidents de l'APGL, Marie-Claude Picardat et Dominique Boren.