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interviewMarlène Schiappa : "Nous allons lancer un grand plan contre les LGBTphobies"

Par Antoine Patinet le 03/07/2020
Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations

Dans une interview donnée à têtu·, la secrétaire d’État Marlène Schiappa défend son bilan en matière de lutte contre les discriminations et annonce de nouvelles mesures du gouvernement contre la haine anti-LGBT+.

La PMA pour toutes qui se fait désirer, un silence pesant sur la montée de l’homophobie en Europe de l’Est, un retard coupable sur l’aide d’urgence en faveur des jeunes LGBT+ confinés avec des parents homophobes… Ces derniers mois ont vu s’émousser la confiance déjà fragile entre la communauté LGBT+ et le gouvernement. À mi-mandat, le bilan de ce dernier sur ces questions n’est pas satisfaisant. Pour preuve la récente dégringolade de la France dans le classement Rainbow Index de l’association ILGA Europe, qui classe les pays européens en fonction des droits accordés aux personnes LGBT+. Moins six places. Mais Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, défend bec et ongles son bilan auprès de têtu·. Elle en profite pour annoncer un “grand plan contre les LGBTphobies, dont elle nous dévoile les grandes lignes en exclusivité. Certaines mesures sont déjà dans les tuyaux : un projet de loi déposé en juin par la députée LREM Laurence Vanceunebrock propose ainsi l’interdiction des “thérapies de conversion” contre lesquelles le plan veut lutter ; la PMA pour toutes arrive en deuxième lecture à l’Assemblée… Et les autres propositions sont encore un peu floues pour un plan qui devait être annoncé en mars. Mais le secrétariat d’État a-t-il seulement les moyens de ses ambitions ?

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Trois ans après votre entrée au gouvernement, que pensez-vous avoir accompli ?

Je ne suis pas la mieux placée pour porter un avis sur ce que j’ai fait. Mais ce que j’observe c’est que c’est la première fois qu’il y a un intitulé et un périmètre ministériel relatifs aux questions de lutte contre la haine anti-LGBT+. La chose emblématique, celle dont on est le plus fiers, c’est l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Je sais que vous allez me dire que ça ne va pas aussi loin que ce que souhaiteraient certaines associations, je sais que beaucoup de gens trouvent ça long – et je trouve cette impatience parfaitement légitime – mais il est acté que la PMA sera bien ouverte aux femmes lesbiennes, à toutes les femmes, et qu’elle sera remboursée !

C’est une promesse ? Parce que le Sénat a retiré son remboursement par la Sécurité sociale…

Tout à fait. Et je suis ferme là-dessus, en mon nom mais aussi au nom du ministre de la Santé et du Premier ministre : ne pas rembourser la PMA reviendrait à créer une rupture de droit et, juridiquement, une nouvelle discrimination.

Avez-vous conscience d’avoir mis des femmes dans des situations compliquées en ne faisant pas passer la loi dès votre arrivée au pouvoir ?

Nous n’avons pas fait comme le gouvernement précédent, qui avait choisi de reporter sine die son ouverture à toutes les femmes. Certes, nous avons tous des amies qui attendent depuis sept ans, qui sont dans des situations terribles. À ces femmes-là je voudrais dire que je me suis battue pour mettre la PMA au calendrier dès que je suis arrivée au gouvernement. Cela m’a d’ailleurs été reproché à l’époque, et ça me l’est encore, même dans mon propre camp. Mais le président de la République avait pris un engagement de méthode : “On attend l’avis du Comité consultatif national d’éthique.” Dès qu’on l’a eu, on l’a fait.

Les sénateurs LREM ont voté la suppression de l’amendement qui concerne les couples de même sexe dans le projet de loi sur les violences conjugales. Vous vous étiez engagée à y inclure les couples LGBT+. Comment expliquer ce décalage ?

La lutte contre la haine anti-LGBT+ et celle pour le droit de tous les couples à exister ne sont pas gagnées. Il y a encore des réticences, des gens qui considèrent que ce n’est pas un sujet. Mais il y en a un, puisque nous avons ajouté cet amendement à la demande des associations qui nous ont interpellés en nous demandant de ne pas oublier les couples de même sexe. Les députés LREM demanderont, en accord avec nous, que cet amendement soit remis dans la proposition de loi. J’ai par ailleurs confié à Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, une mission pour mesurer l’impact de la crise sanitaire sur les violences conjugales dans tous les couples, hétérosexuels ou homosexuels.

Les sénateurs ont justifié cette suppression par l’absence de statistiques. Ne faudrait-il pas autoriser les statistiques ethniques et celles selon l’orientation sexuelle ?

Sans demander de créer des statistiques, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a souhaité ouvrir dans une tribune du Monde un débat sur la difficulté de lutter contre des discriminations que l’on ne mesure pas de manière arithmétique, ce qui enferme le débat entre des extrêmes. Je ne suis personnellement pas favorable aux statistiques ethniques ou aux statistiques selon l’orientation sexuelle, mais je partage pleinement son constat. Elle dit qu’il y a un affrontement entre les gens qui pensent qu’il n’y a aucune discrimination, et ceux qui disent que la France est un État raciste dans lequel il y a un apartheid et qu’il est impossible de réussir si on est Noir. Je pense qu’il existe un racisme systémique en France, et que cette forme de racisme ne s’opère pas contre les personnes blanches. “On ne vous loue pas cet appart parce que le propriétaire n’a pas confiance dans les gens qui s’appellent Jean-Michel” : ce ne sont pas des choses qu’entendent massivement des personnes blanches. Il faut remettre dans le contexte la vérité des discriminations et du racisme.

"L’élection de Marie Cau est très importante à cet égard, c’est un signal très positif."

Ces dernières semaines ont montré la défiance d’une partie de la population vis-à-vis des forces de l’ordre. Plusieurs témoignages pointent l’homophobie de nombreux policiers…

La police est dans la société, et dans la société il y a du sexisme, du racisme, de l’homophobie, de la transphobie, de l’ignorance vis-à-vis de ce qu’est une personne trans. Il y a très peu de personnes trans connues en France qui peuvent être de vrais rôles modèles, des références pour des gens qui ne connaissent pas ce sujet. L’élection de Marie Cau [première femme transgenre élue maire] est très importante à cet égard, c’est un signal très positif. On travaille beaucoup pour faire en sorte que les plaintes soient bien qualifiées et bien transmises quand il y a des faits d’homophobie. Et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) saisit systématiquement les préfets quand les plaintes ne sont pas prises ou que la police n’intervient pas. Mais on a encore des marges de progrès. En cela, l’appli lancée par Flag ! [l’association de policiers LGBT+] va être utile, car elle libère l’écoute.

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Vous avez annoncé un plan d’urgence à destination des LGBT+ pendant le confinement. Il vous a été reproché de ne pas avoir prévu une enveloppe assez large pour le long terme, et qui notamment ne comprenait pas d’aide alimentaire…

Je veux bien que rien ne soit jamais assez bien, mais on peut aussi être factuel et reconnaître ce qui est fait de positif. On a dégagé beaucoup plus de financements que ce qui était demandé par les associations pour ce plan – l’enveloppe n’a d’ailleurs pas été consommée entièrement. Depuis la mise en place du plan d’urgence, près de 100 jeunes LGBT+ ont bénéficié d’un hébergement d’urgence. J’ai été présidente d’association pendant dix ans, c’est normal de demander plus au gouvernement, c’est le jeu. Mais il faut savoir reconnaître quand le gouvernement fait les choses correctement, ce qui ne veut pas dire qu’on est des vendus au gouvernement ou qu’on renie la communauté.

Est-ce normal de déléguer aux associations LGBT+ le travail social ?

C’est le même phénomène observé sur les questions des droits des femmes. L’action associative a préexisté historiquement à l’action politique. Il y a eu des associations féministes avant qu’il y ait un ministère dédié, et il y a eu des associations LGBT+ bien avant que ce soit un sujet de portage politique. Avant 2017, il n’y avait pas de ministère officiellement chargé de ce sujet. Alors c’est normal de travailler avec les associations qui sont structurées et qui ont développé des compétences d’accueil, d’écoute et d’aide. Comment réagiraient les associations si on décidait demain de les étatiser et qu’on les remplaçait par des agents de l’État ? Mal, et elles auraient raison. On peut d’ailleurs saluer le travail qui a été fait par ces associations parce que, pendant le confinement, elles ont été le seul point de contact et d’aide de beaucoup de jeunes. Je le dis clairement : je pense qu’elles ont sauvé des vies.

Pendant la crise du Covid-19, les travailleur·ses du sexe ont demandé la mise en place d’un fonds d’urgence que vous avez refusé de leur accorder. Regrettez-vous cette décision ?

Le gouvernement a créé une allocation exceptionnelle, versée automatiquement par les CAF à toutes les personnes précaires, et les autoentrepreneurs ont bénéficié de primes. Ces dispositifs ont de fait concerné de nombreuses personnes prostituées. On a multiplié par trois les subventions au Mouvement du nid et à l’Amicale du nid, qui accompagnent de longue date des personnes prostituées. Certaines associations m’ont effectivement demandé de créer un fonds spécifique d’indemnités, et j’ai été moquée pour avoir répondu que “juridiquement, c’est très compliqué”. En tant que membre du gouvernement, je ne peux pas faire des choses en dehors de la loi. J’avais donc deux possibilités pour mettre en œuvre un tel fonds. La première, c’était de recenser les noms, les adresses, les dates de naissance, les numéros de Sécu… et de faire un fichier des personnes prostituées pour leur adresser directement une allocation. Bon. Je ne suis pas sûre que le fichage par l’État des personnes prostituées aille dans le sens de ce que veulent les associations, et c’est un euphémisme. La deuxième option, c’était de donner le fonds à une association qui le reverserait à chacun. Cette option s’apparenterait à du proxénétisme – qui est illégal –, et j’aurais mis en danger, juridiquement, les associations. Mais je rappelle que les personnes prostituées ont pu bénéficier de tous les dispositifs de droit commun.

La France doit-elle revoir sa position sur le travail du sexe ? Ne faudrait-il pas remettre en cause la loi de 2016 qui a établi la pénalisation des clients ?

La position de la France est basée sur la loi de 2016. Je sais qu’il y a beaucoup de critiques à l’encontre de cette loi, mais l’idée c’est de dire que le gouvernement défend toutes les personnes prostituées.

La France a reculé de six places au classement de l’ILGA. Comment expliquez-vous qu’elle n’avance pas aussi vite que ses voisins sur ces sujets ?

Encore une fois, comparaison n’est pas raison. Il y a énormément de pays qui reculent dans ce classement, et je pense notamment à la Pologne, à la Hongrie, parce qu’ils mettent à mal les droits des personnes LGBT+. J’ai plutôt l’impression que les personnes LGBT+ qui veulent fuir ces pays ont plutôt tendance à venir en France. Elles ne sont pas masos, elles ne viendraient pas s’il y avait ici une homophobie insupportable au quotidien. On sait qu’il y a beaucoup de choses à améliorer, c’est pourquoi nous allons lancer un grand plan contre les LGBTphobies au début de cet été avec des mesures inspirées de Malte et de la Suède – qui arrivent à faire plus, plus vite, et mieux –, et qu’on a essayé de transposer. Dans son rapport sur l’inclusion des personnes LGBT+ en entreprise, l’OCDE classe la France en 3e position sur 35 pays étudiés. De gros efforts ont été faits, nous les poursuivrons. Il y a également une question méthodologique, relevée par le préfet de la Dilcrah, Frédéric Potier, le classement de l’ILGA comportant une erreur importante sur la temporalité de notre dernier plan national contre la haine anti-LGBT+.

Pourtant le plan contre les LGBTphobies décidé en 2016, pendant le mandat de François Hollande, est arrivé à terme fin 2019. Vous évoquez un nouveau plan, mais il n’est toujours pas en place…

Ce plan, que nous avions prévu de présenter juste après les municipales, en mars, et qu’il a fallu reporter, comporte une quarantaine d’objectifs et plus d’une centaine de mesures avec des initiatives nouvelles et des choses à amplifier. Il couvre l’ensemble des domaines de politiques publiques de l’État, allant de l’égalité des droits à la vie familiale, en passant par l’éducation et le sport. Nous intégrons, par exemple, les enjeux spécifiques liés aux personnes intersexes ou encore la sérophobie. Il contient des mesures fortes comme la PMA, une grande campagne de sensibilisation contre les LGBTphobies à l’automne 2020, la lutte contre les “thérapies de conversion”, la création d’observatoires dans toutes les académies ou encore l’extension de l’application de Flag !. Je veux lutter contre les LGBTphobies dans la vie quotidienne. Pour cela, il faut toucher des domaines très différents. Nous comptons, par exemple, renforcer les lignes d’écoute et les dispositifs de soutien aux victimes.

Plusieurs de nos partenaires européens s’enfoncent dans l’homophobie et la transphobie d’État. Comment expliquez-vous le silence du gouvernement ?

Très souvent, j’observe que lorsqu’il y a un sujet brûlant les associations veulent qu’on fasse un tweet, et si on ne fait pas de tweet elles ont l’impression qu’on ne s’en occupe pas. Il y a des sujets qu’on fait avancer en en parlant, mais il y a aussi des sujets sur lesquels on avance mieux quand on fait de la diplomatie, c’est notamment le cas des sujets qui touchent aux droits humains, et particulièrement aux droits LGBT+. Parfois, quand on intervient, ça peut se retourner contre les minorités sur place. Il faut être très vigilant, pour elles.

Et donc, que fait Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères ?

Jean-Yves Le Drian ne fait pas un tweet dès lors qu’il sort d’un rendez-vous bilatéral avec un autre ministre des Affaires étrangères ou un ambassadeur. Il y a une stratégie très claire, et le Quai d’Orsay s’est engagé sur cette question. On a envoyé une lettre, que vous avez publiée dans TÊTU d’ailleurs, écrite au nom du gouvernement par Frédéric Potier et par l’ambassadeur chargé des droits de l’homme. Il ne fait aucun doute que la France défend le droit des personnes LGBT+ sur la scène internationale. J’ai souvent porté moi-même cette position au nom de la France à l’ONU.

Que vous évoquent les déclarations du président polonais, le développement des zones anti-LGBT+ en Pologne et la loi qui empêche la reconnaissance des personnes trans en Hongrie ?

Utiliser des minorités comme boucs émissaires est un procédé ancien largement utilisé par les populistes, et qu’il faut condamner. Cela a été fermement rappelé à l’ambassadeur de Hongrie en France lorsqu’il a été reçu au Quai d’Orsay par notre ambassadeur chargé des droits de l’homme et par le préfet de la Dilcrah. Par ailleurs, la secrétaire d’État aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, a engagé une initiative commune avec ses collègues allemand et tchèque pour condamner fermement toute mesure conduisant à exclure ou à discriminer les personnes LGBT+.

À titre personnel, assumez-vous les personnalités proches de La Manif pour tous ou de Sens commun présentes sur des listes LREM ?

Je préfère perdre une élection que perdre mes valeurs. J’ai tendance à me réjouir que certaines personnalités présentes sur des listes LREM aient pu évoluer sur les questions d’égalité notamment. Ces candidats sont suffisamment clairs dans leurs engagements actuels, sans quoi je ne les soutiendrais pas. Avoir été à La Manif pour tous et évoluer, changer d’avis, devenir un soutien des droits LGBT+, c’est positif. Je ne soutiendrai jamais un candidat homophobe. Jamais.

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Photographie : Yann Morrison pour têtu·