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dragTech Noire : rencontre avec le fondateur de la soirée queer et gothique la plus folle de Paris

Par Marion Chatelin le 23/01/2019
Tech Noire

La Tech Noire, c'est un repère pour les goths, les drags et les fans de sonorités "wave" et post-punk. Un havre de paix, car cette soirée se veut évidemment queer et inclusive. Et prouve que les mots "dark" et "queer" peuvent s'accorder sur un même beat. On a voulu savoir pourquoi cette soirée de flamboyants hurluberlus rencontrait un tel succès. Interview avec Lenny, aka Ghōst, l'une des queen fondatrices.

Un lieu de convergence de créatures en tout genre. Voilà comment on pourrait décrire la Tech Noire, concept de soirée drag complètement loufoque et alternative. Dans la foule, les visages sont angéliques, et les yeux sont - forcément, ce n'est pas la Tech "Noire" pour rien - entourés d'un large trait de crayon khôl. Les crêtes roses (ou noires) s'agitent et les tenues de latex sont de sortie.

La Tech Noire, c'est avant tout un esprit : celui de la liberté de venir comme on veut, que l'on soit goth, punk, dark, club kid, drag-queen, drag-king ou autre. Un savant mélange de nostalgie et de futur un tantinet rétro, qui diffuse de la new wave, de la synthpop et du post-punk dans nos chastes oreilles. Initié.e.s ou non, la soirée est ouverte à toutes et à tous. Elle se veut queer et inclusive. 

Déjà deux ans que la soirée au concept novateur attire de plus en plus de monde, au rythme d'un événement tous les deux mois en moyenne à Paris. 100 fêtards et curieux, fans de sonorités "wave" étaient présents à la première édition le 13 janvier 2017, au club le Tigre, dans le centre de la capitale. Ils sont en moyenne 400 aujourd'hui et 700 prévus le 9 février prochain à la Station Gare des Mines, en banlieue parisienne. Alors forcément, et pour fêter l'anniversaire de leurs deux ans, on a voulu en savoir plus. Rencontre de Lenny, aka Ghōst, l'une des queen fondatrices.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, pourrais-tu d'abord nous plonger dans l'ambiance de la Tech Noire ? 

Sur le dancefloor, tu verras des looks incroyables, extravagants. Des goths avec des crêtes d'un mètre sur la tête, des drag-queens et des club kids flamboyants (inspirés du mouvement éponyme né dans les années 1980 à New York, ndlr). Donc c'est vaste, coloré et assez inouï. 

Il y a une performance qui me vient à l'esprit, pour décrire l'ambiance. C'est celle d'une drag-queen qui avait fait un make-up assez japonisant. Elle performait sur un morceau de Björk avec un poulpe fabriqué en polystyrène. Le tout était inspiré de l'univers Hentaï, et à la fin, elle faisait semblant de pénétrer le poulpe (rires) ! Ça claque.

Et bien, au moins, ça donne le ton ! 

(Rires) Oui c'est certain. Et puis à côté de ça, tu peux aussi voir une drag-queen qui danse sur 'Étienne' (un morceau de Guesch Patti sorti en 1987, ndlr) avec ses seins qui se balancent dans tous les sens et sa crête longue d'un mètre qu'elle n'arrête pas de secouer sur scène !

Tech Noire : rencontre avec le fondateur de la soirée queer et gothique la plus folle de Paris
Crédit photo : Alan Marty-Paquet.

Autre scène plutôt banale à la Tech Noire : quand on met un grand classique, par exemple un morceau des Rita Mitsouko et que tout le monde se met à chanter et à hurler ensemble. Queens, kings, club-kids, et tous les autres. Un joli moment de communion. 

Comment est née l'idée de créer la Tech Noire ? 

Je fais du drag depuis maintenant deux ans, en tant que Ghōst (son nom de drag-queen, ndlr). Et je dois dire que quelque chose me chiffonnais : je ne me retrouvais pas dans le milieu des drag-queens. Il était trop orienté pop et house à mon goût. Un peu trop mainstream aussi, même si j'ai toujours adoré aller dans ces soirées et passer du bon temps avec les copines. Mais la musique ne me correspondait pas. C'était un fait. 

J'ai toujours évolué dans le milieu plutôt goth (gothique, ndlr). Avec mon copain, on hésitait tout le temps à aller en soirée : soit drag soit goth. On était obligé de choisir. Alors on a voulu rassembler les deux. L'idée étant d’allier les scènes alternatives, plutôt new wave, goth, EBM (Electronic body music, ndlr) avec l'univers des drags, un peu plus mainstream et pop. 

Aujourd'hui, la Tech Noire se définit comme une soirée de drag alternative. Et c'est la seule de ce genre à Paris.

Tech Noire : rencontre avec le fondateur de la soirée queer et gothique la plus folle de Paris
Performance de Ghost à Tech Noire. Crédit Photo : Alan Marty-Paquet.

C'est quoi être "dark" et queer aujourd'hui ? 

Être dark - j’ajouterais goth - et queer, c'est difficile. Surtout à Paris. Quand je me balade dans la capitale avec ma crête rose, mon anneau de 6 mm dans le nez, je me fais insulter et cracher dessus. Je suis constamment la cible d'attaques. Surtout, je ne suis pas à l'aise dans la rue.

Et puis être dark, goth et queer aujourd'hui, c'est aussi avoir du mal à trouver son milieu. On voit bien qu'à Paris, tous les endroits alternatifs ferment, les uns après les autres. Le Batofar, la Mécanique Ondulatoire, et plus récemment, l'Espace B. Sachant que, sans être forcément queer, c'est déjà difficile de trouver un endroit dans lequel on se sent bien, alors si en plus tu es queer... tu peux imaginer la galère !

Pourtant, en évoluant dans le milieu goth et post-punk, je me suis rendu compte que c'est fondamentalement un milieu queer. Sauf que le milieu de la nuit a cette fâcheuse tendance à séparer les communautés.

Alors, heureusement, j’ai eu des retours de personnes trans', non-binaires et goth sur la Tech Noire. Et elles me disaient qu’avant, elles n’osaient plus du tout sortir dans les soirées parisiennes. Elles se sentent enfin à l’aise et ça me fait vraiment chaud au coeur. 

Tech Noire : rencontre avec le fondateur de la soirée queer et gothique la plus folle de Paris
Crédit photo : Alan Marty-Paquet.

Oui, un "safe space" dans le milieu de la nuit, ça fait du bien.

Exactement ! On a mis un point d’honneur à faire de la Tech Noire un safe space. Un havre de paix pour tout le monde, toute femme cisgenre, comme trans’, toute personne non-binaire, bref pour toutes et tous, peut importe le genre et la sexualité.

Mais on est lucides. On sait qu’on n’est jamais à l’abri d’un incident. Et on incite toujours les personnes qui ont un problème à venir nous voir pour qu’on puisse réagir. Parce que dans les grosses soirées queer, c’est plus difficile à gérer. Comme nous sommes un petit événement (environ 400 personnes par soirées, ndlr), on décide de travailler vraiment très dur là-dessus. On fait des annonces au micro avant les shows de drag s’il y a le moindre problème, et on dit haut et fort que ce n’est pas permis.

Tech Noire : rencontre avec le fondateur de la soirée queer et gothique la plus folle de Paris
Ghost. Crédit Photo : Ema Discordant.

Comment vous choisissez les drags qui performent ? Cela doit les changer des autres soirées !

On ne les choisit pas vraiment, on voit qui veut venir faire une performance avec nous. Ce qui est sûr c’est qu’on ne va certainement pas leur demander qu’elles soient dark dans l’identité visuelle. Car, sinon, cela serait presque ennuyeux, ou trop redondant. Voilà pourquoi on a des queens très glam, très féminines. Ce qui est sympa c’est que les performeuses font en sorte de rajouter quelques touches « dark » dans leur show.

Par exemple, une drag-queen un peu burlesque est arrivée dans une tenue, fidèle à elle-même, mais lorsqu’elle a pressé ses seins, du faux sang a giclé partout (rires) ! Du coup, il y a une énergie très créatrice chez les drags, et il n’y a qu’à la Tech Noire qu’elles peuvent aller dans cette direction.

La seule chose qu’on demande aux drags, c’est que la musique de la performance corresponde au genre musical passé à la soirée. Pas de R'n'B ou de rap, donc. 

Tech Noire : rencontre avec le fondateur de la soirée queer et gothique la plus folle de Paris
Jeroen Dejonckheere. Crédit photo : Alan Marty-Paquet.

Vous soufflez votre deuxième bougie ce 25 janvier. Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?

On aimerait continuer sur cette lancée ! On souhaite aussi conserver le public le plus queer et alternatif possible. On essaye de garder la tête froide, pour ne pas se laisser avoir par l’appât du gain, pour rester une soirée centrée sur l’art, la musique wave et les vibes queer.

Mais je pense aussi à la diversité dans le milieu de la nuit et j’aimerais que la Tech Noire donne le la, dans le sens où elle inspire d’autres collectifs pour faire ce genre d’événements. Car on a un cruel manque de soirées queer et inclusives en France. 

Tech Noire fêtera ses deux ans au Klub, vendredi 25 janvier de minuit à 6h. L'événement ici

Tech Noire recevra également le duo de dark synthpop Psyche à la Station Gare des Mines le 9 février prochain. L'événement ici

Crédit photo : Ema Discordant.