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électionEst-on devenu fan de Pete Buttigieg trop vite ?

Par Youen Tanguy le 25/04/2019
Pete Buttigieg

[PREMIUM] Depuis plusieurs jours, des critiques venues des militants LGBT+ et du camp démocrate émergent sur le jeune candidat Pete Buttigieg, après des déclarations controversées. Déjà, ses concurrents scrutent son passé, ses tweets, et sa politique. Et quelques casseroles refont surface...

Il est décrit comme l'étoile montante des démocrates. Le maire de South Bend, Pete Buttigieg, ouvertement homosexuel, est devenu un véritable phénomène depuis qu'il a annoncé sa candidature à la Maison Blanche le 14 avril dernier. Du coup, l'élu de 37 ans est passé en un temps record d'un quasi-anonymat au peloton de tête.

L'homme politique de 37 ans a d'ailleurs effectué un bond spectaculaire, en passant de 2% début mars à 17% des intentions de vote chez les électeurs démocrates, d'après un sondage de Change Research, publié le 25 avril, et mené en ligne auprès de 2.518 personnes. Il se place ainsi au troisième rang, talonnant Bernie Sanders (20%) et Joe Biden (21%).

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Mais depuis quelques jours, des militants et des internautes LGBT+ américains se demandent s'ils ne se sont pas emballés un peu vite. L'auteur et défenseur des droits des minorités Shaun King s'est dit "très déçu" d'apprendre que Pete Buttigieg touche de l'argent des "lobbyistes". Dans son message Twitter, il relaie un article du HuffPost intitulé : "Pete Buttigieg est l'un des seuls candidat démocrate à la présidentielle 2020 à prendre de l'argent aux lobbyistes de Washington".

Une mauvaise politique à South Bend ?

Le site internet du magazine OUT s'est également inquiété des propos du candidat lors d'une émission de CNN diffusée le 23 avril dernier. Interrogé pour savoir si, comme le propose son opposant démocrate Bernie Sanders, il était favorable à la levée de l'interdiction totale du droit de vote des prisonniers américains, il a donné une réponse étonnante. "Pendant l'incarcération ? Non, je ne le pense pas."

Selon le site The Marshall Project, plus de six millions d'Américains sont empêchés de voter à cause des lois de 48 Etats, dont 2,2 deux millions d'hommes et de femmes noir.e.s. Pour le magazine OUT, "lorsque Buttigieg dit qu'il ne faut pas rétablir le droit de vote des prisonniers, il dit que près d'un demi-millions de Noir.e.s incarcéré.e.s ne devraient pas avoir leur mot à dire sur les lois votées en leur nom." 

L'autrice et journaliste Jodi Jacobson, rédactrice en chef de Rewire News, estime de son côté qu'il a, lors de ce même débat, "éludé les questions sur les problèmes de logements à South Bend et les résultats d'une politique ne prenant pas en considération les effets négatifs sur les minorités de couleurs".

Le candidat est notamment accusé de faire une politique de "gentrification" (embourgoisement des quartiers, NDLR) dans le centre de la ville au détriment des populations les plus pauvres, et notamment des Afro-américains.

Le New York Times a récemment rappelé que le maire avait également fait "virer le premier chef noir de la police de South Bend", Darryl Boykins, en 2012. Officiellement, le maire "n'avait plus confiance en lui après avoir découvert que le FBI enquêtait sur des supposés enregistrements d'appels de policiers" par Buttigieg.

Mais Darryl Boykins, qui avait poursuivi la ville pour "discrimination raciale", avait remporté son procès en 2013 et reçu 50.000 dollars de dommages et intérêts.

https://twitter.com/shaunking/status/1120709506877419520

Mais bien que ces sujets soient encore discutés dans la ville de South Bend, le maire semble globalement très apprécié. Selon Chris Meagher, l'attachée de presse de Buttigieg, un sondage réalisé en mars 2019 a montré que "86% des habitants, dont beaucoup sont afro-américains, estiment que la ville est sur 'la bonne voie'".

De son côté, le site ELLE a épluché ses prises de position sur "neuf questions qui préoccupent le plus les électeurs américains", y compris sur le système de santé, les armes à feu ou l'immigration. Et à quelques sujets près, il semble globalement sur la même ligne que ses collègues démocrates.

Ses concurrents cherchent des casseroles

Comment expliquer alors que toutes ces casseroles remontent aujourd'hui à la surface ? Pour NBCNews la réponse est simple : "Buttigieg n'était dans le radar de personne il y a quelques semaines. Maintenant, ses concurrents se démènent pour lui trouver des points faibles." Selon le même média, les équipes des autres candidats "sont en train de déterrer tout ce qu'il a dit en public ou affiché sur réseaux sociaux et de fouiller dans les vieux budgets de South Bend".

Nous avons aussi posé la question à l'historien spécialiste des Etats-Unis, Corentin Sellin. Il émet plusieurs hypothèses pour expliquer les critiques émanant du camp démocrate. La première : Buttigieg est jeune, brillant et charismatique. "On avait jamais vu un maire, a fortiori d'une ville moyenne, devenir un présidentiable dont tout le monde parle, détaille-t-il. Alors forcément, à un moment on voit le revers de la médaille : l'inexpérience et l'indétermination sur beaucoup de choses." 

Le candidat n'a, par exemple, toujours pas publié de programme électoral. Paradoxalement, c'est aussi ce qui fait sa force auprès des électeurs et ce qui lui permet de fédérer. "On sait qu'il se bat pour le droit des LGBT+ et ça suffit à faire de lui un démocrate, analyse Corentin Sellin. Il n'est pas clivant, il rassemble et chacun peut projeter ce qu'il veut en lui." Et d'ajouter : "Mais à un moment il faudra qu'il donne du contenu".

"Il peut devenir, pour nous les gays, ce que Barack Obama a été pour les afro-américains"

Deuxième hypothèse pour l'historien : "Son identité gay et le fait qu'il soit très engagé sur les questions LGBT+ rendent l'argument 'il n'est pas assez de gauche' difficilement tenable". Du coup, puisqu'il se trouve dans "le couloir médian du parti démocrate", ses collègues préfèrent l'attaquer sur sa politique économique jugée 'libérale'. Ils prennent en exemple sa politique en tant que maire dans la ville de South Bend.

Et enfin, dernier point pour expliquer ces récentes attaques : la crainte de revivre les années Obama. "Beaucoup de gros donateurs gays se disent : 'il peut devenir, pour nous les gays, ce que Barack Obama a été pour les afro-américains", avance Corentin Sellin. Mais d'un autre côté, "certains groupes à gauche du parti démocrate se disent : 'pas deux fois !'. On va nous vendre le petit jeune qui monte, super brillant... et on va se retrouver avec du 'Clintonisme', à savoir du social-libéralisme mou du genou".

Et d'ajouter : "Il faut faire attention à ne pas s'en remettre sans examen à cet homme parce qu'il est très charismatique pour ne pas revivre la désillusion qu'il y a pu avoir à gauche sur Obama."

Campagne homophobe du camp républicain

Corentin Sellin estime aussi que son identité chrétienne pourrait bien poser problème, à gauche, comme à droite. Croyant et pratiquant, il a épousé son mari dans une église épiscopale de sa ville, dans l'Indiana. Son époux était d'ailleurs à ses côtés lorsqu'il a lancé officiellement sa candidature, dimanche 14 avril. Une image forte et hautement symbolique.

"Cela pourrait s'avérer très bénéfique s'il était nommé pour représenter le parti démocrate à la présidentielle parce que ça lui permettrait d'aller chercher des électeurs du mid-west, détaille-t-il. Mais pour une primaire démocrate, cela peut s'avérer être un handicap."

Son identité chrétienne pose en tout cas problème aux républicains. Il est en effet victime, depuis quelques mois une campagne de haine homophobe sur les réseaux sociaux et sur le terrain.

A LIRE AUSSI : La réponse parfaite de Pete Buttigieg aux homophobes qui perturbent ses meetings

Dernière actualité en date : le pasteur Franklin Graham, fervent soutien de Trump, a appelé Pete Buttigieg à "se repentir" pour le "pêché" d'homosexualité. La campagne s'annonce (très) longue.

Crédit photo : JOSHUA LOTT / AFP.