Ce 17 mai, c'est la journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie, alors que 2018 a été une année particulièrement noire pour les personnes LGBT, selon le dernier rapport de SOS Homophobie. Comment se reconstruire après une agression ? TÊTU a pris des nouvelles de plusieurs personnes victimes de violences ces derniers mois.
"Les montagnes russes." C’est ainsi qu’Arnaud Gagnoud décrit son état, depuis que lui et son compagnon ont été agressés à Paris. En septembre dernier, il avait publié une photo de son visage tuméfié, violemment frappé à coups de casque. Avec, en amorce, ce message : "Je savais qu'un jour ça m'arriverait". Ce n’est pas pour autant qu’il y était préparé.
Surtout, pour lui, comme pour toutes les victimes d’agressions LGBTphobes, le chemin vers la reconstruction peut parfois être long. D’autant plus quand on assiste, impuissant.e, à d’autres violences incessantes. « 2018 a été une année noire pour les personnes LGBT+ », selon SOS Homophobie, qui a fait état, dans son dernier rapport annuel, d’une hausse de 66% des agressions physiques. "Tous les matins, j’avais l’impression de revivre mon agression dès que j’allais sur les réseaux sociaux", confie à TÊTU Damien, frappé à l’entrée d’une discothèque gay bordelaise en août dernier.
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Dépasser "l’homophobie intériorisée"
Comme Arnaud, Damien avait intégré qu’il se ferait "forcément" agresser un jour, "mais sans vraiment y croire". "Toujours est-il que, quand c’est arrivé, je me suis dit que c’était normal." Et c’est cette "homophobie intériorisée", qui rend particulièrement difficile la première étape vers la reconstruction, selon le psychologue Joseph Agostini, adhérent de l'association Psygay. "Le principal danger est de se dire : et si c’est l’agresseur qui a raison ? Ça peut conduire à un sentiment de culpabilité, de dévalorisation, de détestation totale, d’annulation de soi." Safir*, agressé à Lille en septembre dernier, rapporte aller encore très mal aujourd’hui : "Je me suis renfermé sur moi, j’ai perdu 12 kilos et je suis sous antidépresseurs".
Damien est resté dans le déni plusieurs semaines après la violente altercation qu’il a subie. "Parce que, pour moi, le mot ‘pédé’ n’était qu’un terme parmi d’autres. Puis j’ai pris conscience que j’avais vraiment vécu une agression à caractère homophobe." Et la rage a pris le pas sur l’incompréhension : "Ça a été assez violent. J’étais en colère contre tout. Et surtout contre moi-même, pour avoir intégré le fait qu’il était normal que je me fasse agresser parce que je suis homo". Il lui aura fallu près de trois mois pour réussir à penser l’inverse. Notamment en en parlant beaucoup autour de lui et grâce au soutien de ses proches.
Un support d’une importance cruciale, comme l’explique Sylvain Dehove, membre de la commission d’écoute de SOS Homophobie. Mais qui, parfois, ne suffit pas : "Il est important de leur répéter que ce n’est pas de leur faute s’ils se sont fait taper dans la rue. Quand on l’entend de la part d’une personne extérieure qui vous connaît peu, ça aide à réaliser beaucoup de choses." C’est pourquoi il conseille aux victimes d’agressions LGBTphobes d’appeler, dans un premier temps, la ligne d’écoute de SOS Homophobie. "Le premier pas vers la reconstruction, c’est d’accepter ce qui est arrivé, de mettre des mots dessus", constate-t-il. "Et d'accepter son statut de victime, ainsi que la responsabilité de l'autre", ajoute Joseph Agostini. Une fois cette première étape de parole et d'écoute passée, Sylvain Dehove et les autres bénévoles orientent ensuite souvent les victimes vers des psychologues LGBT-friendly.
Ne pas avoir peur de se faire aider
"Il ne faut pas tarder à consulter, ne pas rester seul.e avec ça. Il ne faut pas sous-estimer ce qu’on a vécu. Quand on a été victime d’une agression homophobe, la reconstruction passe forcément par un long processus de transformation de soi", analyse Joseph Agostini.
Arnaud, lui, a vu une psychologue à plusieurs reprises. Même s’il pensait au début pouvoir s’en passer. "Le jour de l’agression, je n’ai pas pleuré. Je me disais que j’étais fort et que je n’avais pas besoin d’être accompagné. Puis je me suis effondré au bout d’une semaine. Je me suis effondré une deuxième fois chez la psy, et c'est là que j’ai compris que ça allait être une étape très importante pour me reconstruire." Et ce n’est pas pour rien, estime Sylvain Dehove de SOS Homophobie : "Chaque démarche active pour sortir de la passivité représente une étape pour aller mieux".
L'étape du dépôt de plainte
Parmi ces démarches, bien sûr, la plainte, pour "sortir du statut de victime et passer à l’offensive". Puis le procès. S’il a lieu. "Car beaucoup de plaintes sont classées sans suite", rappelle Sylvain Dehove. Mais il incite tout de même les victimes à engager des poursuites juridiques quand elles le peuvent : "Dans tous les cas, ça n’aura pas servi à rien, car ça permet de laisser une trace en cas de récidive".
Marie*, agressée avec sa compagne dans un train à Pontoise en février 2018, a obtenu la condamnation de ses agresseurs. L’un a été reconnu coupable de violences commises en raison de l’orientation sexuelle de la victime, l’autre d’injure publique en raison de l’orientation sexuelle. "Ça a pris un an, mais ça nous a permis de tourner la page", confie-t-elle, "parce que ça montre qu’on a le droit d’être là, qu’on n’est pas hors la loi".
Transformer son agression
La médiatisation de son agression a également aidé Marie, "parce qu’il faut montrer ce qu’on vit au quotidien". A condition de ne pas tomber dans la récupération médiatique et politique, comme a pu le regretter Safir. Et même si cette visibilité soudaine a pu être à double-tranchant pour certain.e.s : "Avant mon agression, je ne cachais pas ma sexualité mais je choisissais les personnes à qui j’en parlais. Avec la médiatisation, je me suis en quelque sorte 'outé' auprès de tout le monde", rapporte Arnaud. Aujourd’hui, il filtre les différentes demandes de journalistes, mais continue d'accepter des sollicitations. "Ça permet de ne plus subir l’agression. Avec Rémi, on l’a transformée en action", analyse-t-il. Et d’ajouter : "Je me mets en danger mais c’est pour une bonne cause. Ça ne m’a rien apporté à titre personnel, mais je sais pourquoi je le fais".
Damien, lui, n’a pour l’instant pas de nouvelles de la plainte qu’il a déposée, mais il a désormais dépassé sa peur, à défaut d’avoir apaisé sa colère. "J’en ai encore beaucoup en moi aujourd’hui. Non pas tant envers les agresseurs qu’envers les politiques et ce système qui ne prend toujours pas en considération le fait que l’homophobie soit systémique. Contre les politiques qui ne prennent pas ces violences au sérieux et ne proposent aucune mesure à la hauteur. Si mon agresseur est passé à l’acte, c’est pour un tas d’indicateurs qui ont fait que, pour lui, ce n’était pas très grave."
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Être visible et s'engager, si on le peut
Mais sa colère, il a décidé de la transformer, et de l'extérioriser d'une autre manière. Car la reconstruction après une agression "est un long parcours subjectif qui peut aussi mener à une envie d’entraide et de solidarité", observe Joseph Agostini. Damien est bénévole à SOS Homophobie et est devenu co-référent national du pôle LGBT du mouvement Génération.s. Car pour lui, "il n’y a qu’en restant visible et en s’engageant que ça bougera".
Aujourd’hui, Damien réussit de nouveau à s’assumer dans la rue, mais il est plus méfiant. Tout comme Marie. Safir a toujours peur de sortir, et garde le sentiment amer que sa plainte n’a pas été prise au sérieux. Arnaud, lui, tient de nouveau la main de son compagnon en public depuis janvier, et se porte mieux malgré son ascension des montagnes russes et le peu de suites données à sa plainte. "Un jour, ma psy m’a demandé si j’attendais le procès avec impatience. Mais en fait, je ne voulais pas attendre d’obtenir justice pour tourner la page", a-t-il réalisé. Et d'ajouter : "Je me suis rendu compte que j’étais déjà passé à autre chose."
*Le prénom a été changé.
La ligne d'écoute nationale anonyme de SOS homophobie est accessible au 01.48.06.42.41.
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