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interviewAntoine Griezmann dans TÊTU : "L’homophobie dans le football, ça suffit !"

Par Alessandra Sublet le 29/08/2019
Antoine Griezmann en couverture du magazine gay Têtu.

Le champion du monde de 28 ans veut en finir avec le tabou de l’homosexualité dans le football. Et avec l’image, souvent homophobe, de son sport. TÊTU a rencontré Antoine Griezmann, qui fait pour l'occasion la couverture du magazine.

Champion du monde, étoile brillante du FC Barcelone (après avoir passé cinq saisons à l'Atlético de Madrid de 2014 à 2019), sourire ravageur et yeux bleu délavés, Antoine Griezmann est le joueur le plus attachant de l’équipe de France, un grand timide qui parle peu. Mais qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense. TÊTU a sollicité plusieurs joueurs de l’équipe de France pour s’engager contre l’homophobie. Entre les fins de non-recevoir et les réponses gênées, Antoine Griezmann est le seul à avoir répondu immédiatement présent. Car ce combat lui tient à cœur. À 28 ans, le petit gars de Mâcon a voué sa vie au football, un sport qui lui a tout donné. Mais un sport qui reste hostile pour les homosexuels. Un sport où aucun joueur n’ose être ouvertement gay, où les chants et les insultes homophobes sont légion.

Antoine est timide. Pour le mettre à l’aise, TÊTU a confié à Alessandra Sublet le soin d’interviewer le footballeur. L’animatrice le connaît par cœur, notamment pour lui avoir consacré deux documentaires, dont un disponible sur Netflix. "Quand TÊTU m’a proposé de faire l’interview d’Antoine, précise-t-elle, je me suis dit que, définitivement, ce garçon était surprenant. Et, en même temps, quelle fidélité à lui-même ! Lui, si sincère et si honnête avec un sujet qui dérange encore nombre de ses coéquipiers : l’homosexualité." Il fallait bien un champion du monde ultra-populaire pour que les choses changent et que les mentalités, notamment celles des plus jeunes, évoluent. Car Griezmann exerce sur eux une certaine fascination. Et sur nous aussi, d’ailleurs nous l'avons mis en une de notre magazine n°219 (toutes nos archives sont disponibles ici sur abonnement).

Antoine Griezmann en couverture du magazine gay Têtu.

Avant toi, David Ginola et Olivier Giroud ont fait la couverture de TÊTU, mais des tas d’autres footballeurs ont refusé. Vas-tu te faire chambrer ?

Antoine Griezmann : Je ne crois pas. Mais tu me connais : je ne me préoccupe jamais de ce que les autres pensent. Pour moi, TÊTU est un magazine emblématique et on est là pour parler d’un sujet important : l’homophobie dans le football. Des tas de potes m’ont félicité en me disant : "Tiens, tu vas faire la couv’ de TÊTU, c’est important." Et ils sont super contents pour moi.

Faire la couverture d’un média LGBT+ comme TÊTU, ça va provoquer des réflexions. Tu y es préparé ?
Il y en aura sûrement. Notamment sur les réseaux sociaux. Sur internet, c’est assez facile de balancer des commentaires, surtout de manière anonyme. Mais je t’assure, ça ne va absolument pas me déranger. Je fais ça pour démarrer une conversation sur l’homophobie dans le football. Et elle tient en quelques mots : "Maintenant, ça suffit !"

Comment expliques-tu qu’il n’existe aucun footballeur professionnel en activité qui ait fait son coming out ?

Je ne sais pas. Sûrement par peur d’être stigmatisé, en club ou par les supporters. C’est vrai que les stades ne sont pas des endroits très accueillants pour les homosexuels. Il y a parfois des chants homophobes... À notre époque, c’est inacceptable. Cette agressivité, on finit tous par la payer.

Mais, statistiquement, c’est impossible qu’il n’y ait aucun joueur homosexuel dans le football. As-tu déjà échangé avec des joueurs gays qui n’osent pas faire leur coming out ?

Honnêtement, non. Tu sais, je crois que ça demande une sacrée dose de courage de faire son coming out. Et pour qu’un coéquipier se sente assez en confiance pour te le dire, il faut vraiment que ce soit un très bon ami. Et une telle confiance est difficile à obtenir, je crois. Si un joueur veut faire son coming out, je veux qu’il sache qu’il aura quelqu’un sur qui compter : moi. Je serai à ses côtés. Et il y aura d’autres joueurs sur lesquels il pourra s’appuyer.

Penses-tu vraiment que si tu prends chaque joueur de l’équipe de France, ils auront tous le même discours ?
Je ne crois pas. Mais c’est mon discours et je le pense vraiment. Si un footballeur gay souhaite faire son coming out, il n’aura peut-être pas tous les joueurs de l’équipe de France à ses côtés, mais il m’aura, moi !

Tu pratiques le football depuis que tu as 6 ans. Qu’est-ce qui rend ce milieu aussi hostile aux homosexuels ?
Je crois que l’homophobie est partout. Dans le football, elle est peut-être plus exacerbée parce que c’est un sport populaire qui attire tous les regards. C’est le sport le plus regardé et le plus joué. Nous sommes des personnages publics et, parfois, des cibles idéales. Les commentaires pleuvent sur nous. Vu ce climat, je peux comprendre qu’un joueur évite de dire qu’il est gay. Mais personne ne devrait jamais avoir honte de qui il est.

As-tu déjà entendu des remarques homophobes sur le terrain ?

Bien sûr. On entend parfois des insultes sur la pelouse. Les joueurs avec lesquels j’évolue aujourd’hui sont plutôt tolérants. Mais ça m’est tout de même arrivé d’entendre des petites conneries dans les vestiaires.

Tu dis "des petites conneries dans les vestiaires", mais ce sont des propos homophobes que l’on banalise ?

Exactement. Et je me dis que c’est le genre de commentaires qui vont sûrement retenir un joueur de nous dire qu’il est gay.

Tu as vu la vidéo où Patrice Évra hurle : "Paris, c’est des pédés" ? S’il avait tenu ses propos devant toi, tu l’aurais repris ?

Je pense, oui. Cette insulte est devenue trop banale. C’est triste parce que les gens qui la prononcent ne se rendent pas compte qu’ils tiennent des propos homophobes qui provoquent de vrais dégâts.

Récemment, le capitaine d’Amiens, Prince-Désir Gouano, a été visé par des cris de singe. Les chants homophobes ou racistes, on les entend quand on est sur le terrain ?

Il n’y a pas que des gens intelligents qui se rendent aux matchs. C’est malheureux mais c’est ainsi. Pour moi, ces chants et ces commentaires n’ont pas leur place dans un stade. L’homophobie, ça suffit. Quand tu es près de la tribune, vers la ligne de touche ou des corners, tu entends ce genre d’insultes. Je me suis souvent fait traiter de "pédé" depuis les tribunes, ou de "sale blonde", quand j’avais les cheveux longs et blonds. C’est fait pour nous déstabiliser. C’est une insulte tellement facile. Le "supporter" qui tient ce genre de propos pense qu’il peut t’insulter en toute impunité, parce qu’il est assis sur son siège pendant que toi tu joues sur le terrain. Ce serait magnifique de débarrasser les terrains et les tribunes de ces insultes. Mais ça va être dur. Très dur.

Qu’est-ce que les joueurs peuvent faire pour inverser la tendance ?

En parler, déjà. Répéter que l’homophobie n’est pas une opinion, mais un délit. Et, désormais, si un joueur tient des propos homophobes sur le terrain, je pense que j’arrêterai le match. Parce qu’il faut que ça change. Mais je pense aussi que les gens des clubs, de la Fédération française de football et de la Ligue doivent également prendre ce sujet au sérieux. Le football est un beau sport. On ne peut pas lui laisser cette image homophobe. Mais c’est plus profond que ça. Depuis quelques semaines, je suis papa pour la deuxième fois. C’est à nous, parents, d’éduquer nos enfants pour qu’ils grandissent dans un monde moins homophobe et moins sexiste.

Quand tu étais plus jeune, en club, les coachs t’ont-ils alerté de l’homophobie ?

Non. Jamais. Personne ne nous a sensibilisés à l’homophobie. Ni en centre de formation, ni en club. On commence souvent à jouer au foot très jeunes, le club est notre école, notre maison. Donc c’est aussi l’endroit où l’on devrait nous apprendre à accepter les autres et leurs différences.

On se connaît. Tu as des potes homos ou lesbiennes ?

Bien sûr. À commencer par mon cuisinier !

Tu en parles avec lui ?

On parle souvent de lui, de ses amours, de sa vie. C’est un sujet totalement banal à la maison. Il est comme moi, il se fout du regard des autres.

Es-tu conscient d’être un sex-symbol ?

(Il explose de rire.) Tu sais que c’est difficile pour moi de parler de mon physique.

Tu es conscient que tu as des fans garçons et, parmi eux, des fans homosexuels ?

Et c’est super! Plus j’ai de fans, plus je suis content. (Rires.) Je suis totalement à l’aise avec cette idée.

Te trouves-tu beau, Antoine Griezmann ?

Ça dépend des jours. (Rires.) Mais, cet après-midi, en faisant les photos pour TÊTU, je dois dire que je me suis trouvé plutôt beau gosse ! (Rires.)

Tu pourrais poser nu dans TÊTU ?

(Il explose de rire.) Im-pos-si-ble ! Je suis trop pudique. Lors du shooting, ma chemise était trop ouverte, on voyait presque mes tétons, j’ai dit : "C’est pas possible !" J’essaie de ne pas trop exhiber mon corps. Mon corps est à ma femme et à personne d’autre.

Qu’est-ce qu’un beau mec pour toi ?

C’est quelqu’un que tu croises dans la rue en te disant : "Tiens, ce mec dégage quelque chose." David Beckham, par exemple, je le trouve très beau mec. Derrick Rose [le basketteur de la NBA meneur des Pistons de Détroit, ndlr] aussi a vraiment quelque chose. Après, ce sont mes deux idoles, donc, forcément, je ne suis pas objectif. (Rires.)

David Beckham, c’est ton modèle ?

Totalement ! Sur le terrain, c’est un très bon joueur. Mais c’est surtout le premier à avoir fait se rencontrer la mode et le football. Il a quasiment inventé le sponsoring pour les joueurs.

Ton image est importante pour toi ?

Bien sûr. Mais je veux dégager ce que je suis vraiment. Je ne veux pas jouer un rôle. Dans la vie, je suis simplement un peu moins timide que devant les caméras ou l’objectif de TÊTU.

Crédit photo : Javier Biosca/Toast Management