[Interview à retrouver dans le dossier spécial JO du magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques, ou sur abonnement] Il fallait bien une gardienne pour marquer des buts contre l'homophobie. Et ça tombe bien, Pauline Peyraud-Magnin, celle de l'équipe de France féminine de football (défaite par le Brésil ce samedi 3 août en quart de finale des JO de Paris 2024), veut relever le défi.
Photographie : Laurence Revol pour têtu·
Crampons plantés dans la pelouse, gants vissés aux poignets, Pauline Peyraud-Magnin garde d’une main de fer les buts de l’équipe de France féminine de football depuis 2019. Entre deux entraînements pour la Juventus de Turin, où la numéro 16 joue depuis bientôt quatre ans, nous l’avons retrouvée dans sa ville natale, Lyon, pour un week-end de repos, lunettes de soleil en forme de cœurs vissées sur le nez.
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Bien que le foot soit considéré comme le sport de lesbiennes par excellence, et sans qu’elle ne se soit vraiment cachée auparavant, la gardienne des Bleues a dû se montrer explicite en 2020, devenant la seule internationale française out en activité – rejointe depuis par Constance Picaud. Elle salue d'autant plus la première footballeuse française out, Marinette Pichon, ancienne attaquante de l’équipe de France.
Pourtant, la gardienne de 32 ans n’est pas du genre à rechercher la notoriété, ni même à apprécier la lumière des projecteurs. Elle aspire davantage à faire des cocktails à ombrelle dans le bar lesbien de sa meilleure pote. Seulement l’athlète a conscience que pour lever le tabou de l’homosexualité dans le sport, “il faut en parler, et en parler beaucoup”. Si la lutte doit passer par l’incarnation, alors soit. “Entendre 'je n’ai plus peur', c’est une victoire en soi, argue-t-elle. Je veux me battre pour que les gens se sentent libres d’être eux-mêmes.”
- C'est un cliché de dire que le foot est un sport de lesbiennes ?
On est de plus en plus représentées par des footballeuses lesbiennes connues, comme l’Américaine Megan Rapinoe. Mais certaines préfèrent ne pas faire de coming out public. Moi je ne me suis jamais cachée et j’ai toujours été accueillie avec bienveillance. J’ai déjà vu des regards en biais, mais, quand je sens que ça peut dégénérer, j’évite d'entrer en conflit. Si les gens ne comprennent pas, c’est leur problème. Je ne veux pas répondre à la violence par la violence. Ça ne résout rien.
- Lorsque tu fais ton coming out public en 2020, tu as conscience de l’écho dont il va bénéficier ?
Pas du tout ! Je n’avais pas conscience de la portée de mon geste parce que mon premier coming out remontait à plus de quinze ans. Je ne l’ai pas fait pour qu’on sache que j’étais lesbienne mais pour que ça devienne un non-sujet, que ça rentre dans les mœurs. Il y a des filles qui rêvent de montrer qui elles sont mais, aujourd’hui, on est critiquées pour un oui ou pour un non. Parfois, tout ce à quoi on aspire, c’est la tranquillité d’esprit. J’ai reçu beaucoup d’amour après mon coming out, mais pas seulement. Si tu n’as pas un minimum de coffre, que tu n’as pas confiance en toi, c’est difficile à encaisser.
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- Tu avais conscience d’être la seule internationale out en France ?
C’était après le premier confinement, c’était la fin du monde. J’étais persuadée qu’on ne pourrait plus jamais jouer au foot. J'ai juste posté une photo banale et tout est parti de là. Je n’aime pas me mettre en avant, mais je voulais faire avancer les choses. Quand j’y pense, les premiers coming out dans le sport féminin devaient être sacrément costauds : Amélie Mauresmo, Marinette Pichon… Moi, je n’ai pas le sentiment d’avoir eu besoin de courage. C’était naturel. Il n’y a rien d’extraordinaire à dire que j’aime une femme. C’est après que je me suis rendu compte de la portée de tout ça. J’ai reçu des remerciements venant de personnes qui vivent dans des pays où l’homosexualité est illégale. Des gens qui risquent la prison, voire pire…
- La façon dont un pays traite les personnes LGBTQI+ influence ton choix de rejoindre un club à l’étranger ?
Je refuserais de jouer dans l’équipe d’un pays où je crains pour ma vie. J’ai toujours été assez discrète sur ma vie personnelle, mais je n’ai pas envie de me cacher. Je ne veux pas vivre dans un endroit où je ne peux pas prendre la main de la personne que j’aime dans la rue, c'est hors de question. C’est un geste simple qui ne devrait offusquer personne, alors si je dois tout le temps être à l’affût des regards malveillants, c’est non.
- Tu as toujours vécu sereinement le fait d’être lesbienne ?
J’ai commencé à regarder les femmes vers 8 ans, mais j’étais à fond dans le foot. Tout le reste, je m’en fichais. Des petits bisous par-ci par-là mais rien de fou. Ce n’est qu’en sortant de l’internat, à 16 ans, que j’ai découvert la vie au-delà des cages. Je savais que j’étais lesbienne, j’étais prête à l’assumer, alors je l’ai dit à ma mère ; ma famille est très importante pour moi et je ne sais pas mentir. J’ai profité d’un moment où elle était devant Plus belle la vie, sa série préférée. Je prends mon courage à deux mains, je baisse le son de la télé et je lui dis “il faut qu’on parle” d’un air bien dramatique. Je lui annonce de but en blanc : “Voilà, j’aime les filles.” Et elle ne trouve rien d’autre à répondre que : “Et c’est pour ça que tu baisses le son ?” Elle m’a quand même dit qu’elle m’aimait comme j’étais… une fois l’épisode terminé.
- Heureusement qu’il y avait des personnages gays dans Plus belle la vie…
J’avoue, merci Plus belle la vie ! Rien ne pouvait plus m’atteindre, je me sentais trop forte parce que je savais que ma famille était derrière moi. Avec mon père, on n’en a pour ainsi dire jamais parlé tous les deux, mais je sais qu’il m’aime. Même chose pour ma sœur et mon frère.
- À ton avis, pourquoi l’homosexualité passe mieux dans le foot féminin que masculin ?
L’homophobie est partout. Le foot est le sport le plus populaire et reflète juste ce que pense la société dans son ensemble. Je veux me dépasser parce que je veux être la meilleure, mais je ne ressens pas d’autres formes de pression. En revanche, les mecs gays vont être considérés comme plus faibles et vont devoir montrer que ce sont des durs à cuire. On sait très bien pourquoi l’homosexualité féminine passe mieux : on est sexualisées. Heureusement, dans les médias et sur le terrain, les joueuses ne sont plus traitées comme des pin-up. J’ai fait huit clubs et j’ai l’impression que les supporters qui viennent nous voir sont là parce qu’ils sont fans de notre équipe, qu’ils apprécient sincèrement le foot féminin.
- Être lesbienne et ne pas le cacher, ça change quoi face aux supporters ?
J’ai un look androgyne et les gens se trompent assez peu sur ma sexualité – même si on m’appelle régulièrement monsieur. Sur les réseaux, on trouve de tout : des dizaines de messages bienveillants et autant de violents. Insultes, menaces de mort… Si je fais attention à tout ce que les gens disent, je ne sors plus de chez moi. Je me suis coupée de tout ça, parce que donner du crédit aux commentaires anonymes, c’est la porte ouverte à tout. C’est facile de se cacher derrière son téléphone… Alors je ne vais pas me fatiguer à leur répondre, je n’ai pas envie de perdre mon temps. Je signale, j'efface.
- Changer les mentalités dans le foot, ça passe forcément par les hommes ?
Tout le monde doit s’y mettre : que des joueurs hétéros comme Griezmann disent ouvertement qu’il n’y a aucun problème à être gay, ça peut grandement aider. Mohamed Camara de l’AS Monaco qui prend le temps de découper un petit carré de scotch uniquement pour cacher un logo contre l’homophobie, c’est aberrant, c’est tout sauf un comportement normal. On ne demande rien de fou, juste, les gars, venez on se montre tolérants ?
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