Benoît Rivière, évêque d'Autun, Chalon et Mâcon, est le deuxième évêque en France à se distancier des "thérapies de guérison" de l'homosexualité. Interrogée par TÊTU, la Conférence des évêques pointe des pratiques "inutiles et risquées".
Des sessions d'été pour "restaurer" l'hétérosexualité à côté de Chalon-sur-Saône, des parcours pour inciter les homosexuels à l'abstinence à Paray-le-Monial... La Saône-et-Loire semble être un terreau favorable à ce qu'on appelle communément les "thérapies de conversion". Ces pratiques, au carrefour de la pseudo-psychologie et du fondamentalisme religieux, prétendent, à visage couvert, "guérir" l'homosexualité. C'est donc en toute logique que Le Journal de Saône-et-Loire a consacré ce week-end deux dossiers, samedi 7 et dimanche 8 décembre, à ce phénomène en expansion.
Un maire "très inquiet" des "dérives"
Le quotidien régional donne d'abord la parole à Benoît Berthe, jeune homme envoyé par ses parents très catholiques dans des sessions pour "guérir" son homosexualité entre ses 15 et ses 18 ans, qui a témoigné dans le dernier numéro de TÊTU. Le journaliste Nicolas Desroches s'est aussi intéressé à Torrents de vie. Antenne française du programme américain Desert Stream/Living Waters, l'association évangélique organise depuis 1995 des séminaires estivaux et des groupes de parole à l'année, dans une quinzaine de villes, pour, entre autres, "guérir" les homosexuels.
Ces dernières années, les sessions d'été ont eu lieu à Lux, petite ville à côté de Chalon-sur-Saône. Interrogé par Le Journal de Saône-et-Loire, son maire, Denis Evrard, se dit "très inquiet" de ces "dérives". Il dit avoir reçu, depuis la diffusion du documentaire Homothérapies sur ARTE, "de nombreux mails pour [l'alerter]". "Je ne sais pas ce que l'on peut concrètement faire, mais rassurez-vous, nous nous en occupons", affirme-t-il encore.
"Favoriser l'éveil de la liberté profonde"
Mais c'est surtout une autre interview, sur la même page, qui interpelle. Nicolas Desroches a donné la parole à Benoît Rivière, évêque d'Autun, Chalon-sur-Saône et Mâcon pour le faire réagir à la récente actualité sur les "thérapies de conversion", et pour savoir, selon lui, "quel regard porte l'Église sur ce genre de pratique".
Sa réponse est assez limpide : "Effectivement, il existe des propositions en ce sens et, à ma connaissance, il faut distinguer les propositions adressées à des personnes homosexuelles voulant se ressourcer spirituellement, et d'autre part, les propositions émanant de groupes prétendant réorienter les dispositions psychoaffectives des personnes ; dans ce dernier cas, l'Église ne s'engage absolument pas. Quelles que soient les dispositions psychiques d'une personne, le travail éducatif de l'Église est toujours de favoriser l'éveil de la liberté profonde."
"Le message est clair"
Cyrille de Compiègne, vice-président de l'association chrétienne LGBT+ David & Jonathan, se félicite auprès de TÊTU de la prise de position de l'évêque : "La terminologie qu'il utilise montre bien qu'il a compris de quoi il s'agit. On peut se réjouir du fait qu'il ait compris le problème de la confusion entre le spirituel et le psychologique." Benoît Rivière est, à notre connaissance, le deuxième évêque français à s'exprimer publiquement sur ces parcours qui prétendent "guérir" l'homosexualité. Le premier était Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay qui a repris en main l'Agapè, une des sessions dans lesquelles le jeune Benoît Berthe avait été envoyé. Dans le livre Dieu est amour (Flammarion), le dignitaire religieux déclarait : "Dieu m'accueille comme je suis. L'orientation homosexuelle, ce n'est pas quelque chose qu'on change comme ça."
Interrogé par TÊTU, Benoît Berthe, victime de ces "thérapies de conversion" pendant son adolescence, y voit un "signe positif d'une vraie avancée" : "Le message est clair : l’Église ne doit pas s’engager sur de telles pratiques. Ça devrait faire réfléchir beaucoup de croyants persuadés que ces thérapies fonctionnent et aident les personnes homosexuelles." Il regrette en revanche le "silence assourdissant" de la Conférence des évêques, sommet de la hiérarchie catholique en France, qui n'a pas publié de réaction officielle depuis la récente médiatisation du sujet. "Nous sommes pourtant nombreuses victimes, croyants ou non, à faire un appel aux Églises pour se positionner clairement contre ces pratiques mais aussi prendre des actions précises pour les interdire", poursuit-il.
"Inutile et risqué"
Pourtant, contactée par TÊTU, Oranne de Mautort, directrice adjointe du service national famille et société de la Conférence des évêques, est très claire sur la position de l'Église catholique : "Les thérapies de conversion existent, mais l'Église ne les cautionne pas et ne les a jamais cautionnées. C'est inutile et risqué."
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Elle va même plus loin : "La simple condamnation ne suffit pas. Il faut écouter les personnes victimes." Et d'inciter lesdites victimes à se tourner si elles le souhaitent vers la cellule des dérives sectaires dans des communautés catholiques, mise en place par la Conférence des évêques. Cette dernière ira-t-elle jusqu'à publier un communiqué ? "Je ne peux pas vous dire", répond Oranne de Mautort.
Courage épargné
Pour Cyrille de Compiègne, ce silence relatif pourrait être révélateur du "fait qu'il n'y a pas de consensus en interne". En effet, une poignée de diocèses (Fréjus-Toulon, Paris, Lyon et Bayonne) ont soutenu Courage, programme américain implanté en France en 2015, qui s'inspire des Alcooliques anonymes et promeut l'abstinence pour les homosexuels. L'institution catholique est ainsi plus réticente à critiquer Courage : "Ce n'est pas Torrents de vie, il ne faut pas exagérer, estime Oranne de Mautort. En termes de discours, ça n'a rien à voir."
#Lyon 8 octobre @Courage_France Offrir Soutien & Accueil ds l'Eglise aux personnes ayant une attirance homosexuelle pic.twitter.com/rnvEW6LeKr
— L-Marie Guitton â Ù (@lmguitton) September 17, 2016
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Une erreur pour Benoît Berthe, dont les parents ont assisté trois étés de suite aux sessions Courage à Paray-le-Monial : "Courage pratique l’incitation à l'inhibition sexuelle et à l’abstinence forcée pour ne pas tomber dans l’homosexualité. Ça reste des pratiques dangereuses, accompagnées de discours culpabilisants et déformés sur l’homosexualité. C'est une forme de violence faite aux personnes homosexuelles."
"Liberté religieuse"
Toujours dans Le Journal de Saône-et-Loire, Benoît Rivière est interrogé sur la mission d'information qui se tient depuis le mois de septembre à l'Assemblée nationale. Menée par une députée LREM et un de ses collègues LFI, celle-ci doit faire la lumière sur ces pratiques et, en principe, aboutir à une proposition de loi pour les faire interdire. Une communication sur cette mission d'information sera d'ailleurs dévoilée par les députés mercredi 11 décembre. L'évêque d'Autun déclare à ce propos : "Je fais confiance au sérieux du travail parlementaire dans notre pays. Je suis convaincu que cette mission n'a pas pour but de limiter la liberté religieuse."
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— Famille Chrétienne (@FChretienne) October 2, 2019
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À quoi fait-il allusion ? Pour Oranne de Mautort, il pourrait s'agir d'une référence à Famille chrétienne. Début octobre, le magazine chrétien très conservateur avait en effet intitulé son dossier sur les "thérapies de conversion" : "Homosexualité : l'Église bientôt hors la loi ?" Et avait, de façon à peine masquée, pris la défense du groupe Courage. "C'est une ressource de contre-attaque de la part de Courage et Torrents de vie, remarque Cyrille de Compiègne, dont l'association David & Jonathan soutient la proposition de loi. Selon ces groupes, il faudrait un pluralisme religieux et on ne serait pas tous obligés d'avoir le même point de vue. [Benoît Rivière] va plutôt à l'encontre des personnes qui utilisent cet argument." Benoît Berthe lui aussi balaie cet argument de défense des "thérapies de conversion", qui selon lui "renverse totalement les choses" : "Ce n’est pas accuser, accabler ou agresser les religions que de faire cet appel mais c’est tendre la main pour encourager les Églises à être plus inclusives et humaines."
Crédit photo : Flickr / Tony Webster