Deux députés planchent depuis trois mois sur une mission d'information pour faire la lumière sur les "thérapies de conversion". TÊTU dévoile le document qui en est ressorti et ce qu'il préconise.
40 heures d'auditions, près de 60 personnes entendues... On peut dire que cette "mission flash" n'aura pas chômé. Depuis début septembre, la députée LREM de l'Allier Laurence Vanceunebrock Mialon et le député LFI de Seine-Saint-Denis Bastien Lachaud tentent de brosser un portrait des "thérapies de conversion", encore méconnues jusqu'il y a peu en France. Ils présentaient ce matin, mercredi 11 décembre, leurs conclusions devant la commission des lois à l'Assemblée nationale.
Après 40 heures d'auditions pendant 3 mois, et presque 60 personnes auditionnées je suis très fière de pouvoir présenter demain en @AN_ComLois les conclusions de ma mission d'information sur les #therapiesdeconversion, suivi d'une conférence de presse à l'@AssembleeNat à midi
— Laurence Vanceunebrock (@LaurenceVanceu) December 10, 2019
Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.
TÊTU a eu accès à la synthèse du rapport qui fait la suite à cette mission d'information sur les "pratiques prétendant modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne". Quatre pages qui résument les trois mois d'auditions et listent une série de préconisations pour venir à bout des "thérapies de conversion" (cette synthèse est consultable à la fin de l'article).
"Un spectre très large de pratiques"
En effet, explique le rapport en préambule, "le droit français ne dispose pas d’un délit spécifique condamnant ces "thérapies", et les pouvoirs publics connaissent mal ce phénomène qu’ils ne mesurent ni ne surveillent". Pourtant, le Parlement européen tout comme le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, respectivement en 2015 et 2018, ont appelé les États à prendre des mesures contre ces pratiques.
Si l' "imaginaire collectif" associe les "thérapies de conversion" aux électrochocs ou aux lobotomies par lesquelles la médecine et la psychiatrie "traitaient" l'homosexualité notamment au XXe siècle, "en France, ces "thérapies" couvrent aujourd'hui un spectre très large de pratiques", développe le rapport. Et les députés de classer ces pseudo-thérapies en trois catégories : les thérapies religieuses, médicales et sociétales.
Torrents de vie et Courage
Les "thérapies religieuses" sont principalement le fait de deux groupes, émanations du mouvement "ex-gay" américain. Torrents de vie, association évangélique implantée en France dès 1995, propose des sessions de "restauration" de l'hétérosexualité. La mission d'information en a reçu le fondateur historique et président d'honneur, le pasteur suisse Werner Loertscher, et le coordinateur national, le pasteur Claude Riess. Leur audition, glaçante, est toujours disponible en vidéo.
À LIRE AUSSI : Un évêque français condamne les « thérapies de conversion »
Courage, arrivé en France après La Manif pour tous en 2014-2015, s'inspire du programme catholique américain Courage International, qui lui-même s'inspire des Alcooliques anonymes pour promouvoir l'abstinence pour les homosexuels. La mission en a reçu le responsable français, le prêtre Louis-Marie Guitton, ainsi que deux responsables du groupe de Paris, Xavier Guillaume et Timothée Jolivet. À leur demande, la vidéo de leur audition n'est pas disponible.
Hypnose et électrochocs
Les deux députés ont également mené des auditions qui laissent à penser que les "thérapies de conversion" existent dans d'autres courants religieux. Dans le protestantisme luthéro-réformé, elles sont incarnées par le pasteur Gilles Boucomont et son mouvement des "Attestants". Elles ont aussi, à l'Assemblée nationale, été dénoncées dans leur version islamique par Mehdi Aifa, président de l'Amicale des jeunes du Refuge, et Yacine Djebelnouar, président de Shams France, et dans leur version judaïque par Alain Beit, président du Beit Haverim. Plusieurs victimes de ces thérapies auditionnées par la mission, comme Benoît Berthe, qui a témoigné dans le dernier numéro de TÊTU, décrivent des "retraites spirituelles" ou des exorcismes qu'ils ont subi pour les "guérir" de leur homosexualité.
Mais la mission d'information a également identifié la persistance, en France, de "thérapies médicales". Elle en a auditionné deux victimes : " l’une a subi des séances de semi-hypnose à l’occasion desquelles des messages à connotation sexuelle lui étaient répétés ; l’autre a subi plusieurs séances d’électrochocs tout en étant soumise à des charges médicamenteuses importantes". Enfin les "thérapies sociétales", plus insidieuses, "l’obligation, au sein d’un groupe d’individus, d’adopter la norme hétérosexuelle sauf à risquer l’exclusion". Typiquement, le mariage forcé avec une personne d'un sexe par lequel on n'est pas attiré.
"Ces pratiques prennent une ampleur inquiétante"
Chez l'ensemble des victimes auditionnées, le constat est clair : non seulement ces pseudo-thérapies "ne guérissent pas", mais elles sont dangereuses. Certains ont traversé de longues dépressions, des troubles de la personnalité voire des idées suicidaires. S'il n'existe pas de "mesure objective" des "thérapies de conversion" en France, relève le rapport, "les travaux de la mission suggèrent néanmoins que ces pratiques s’étendent et prennent une ampleur inquiétante".
La mission d'information a ainsi eu connaissance, par témoignage direct ou indirect, d'une "centaine de faits". De même, l'association Le Refuge, qui a mis en place à la demande de Laurence Vanceunebrock-Mialon un relevé sur sa ligne d'écoute, a noté une dizaine d'appels par mois concernant des "thérapies de conversion" - un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes.
Un délit spécifique dans le code pénal
Comme l'ont fait remarquer certains acteurs institutionnels auditionnés par les deux députés, certaines infractions déjà existantes dans le droit français pourraient permettre aux victimes de porter plainte : l'abus de faiblesse, l'exercice illégal de la médecine ou l'escroquerie. Mais le rapport pointe un "droit peu lisible" et, par conséquent, des "victimes peu enclines à porter plainte". C'est pourquoi, après de nombreuses hésitations, Laurence Vanceunebrock-Mialon et Bastien Lachaud : il faut, selon eux, "l'instauration d'un délit spécifique dans le code pénal". Cette option aurait une "valeur symbolique forte", ainsi que l'avait remarquer Benoît Berthe lors de son audition. Les deux élus tâcheront de déposer une proposition de loi en ce sens début 2020.
À LIRE AUSSI : Cette députée veut mettre fin aux « thérapies de conversion » en France
D'autres préconisations s'ajoutent à celle-ci, comme renforcer certaines infractions comme le harcèlement sexuel ou la circonstance aggravante pour les violences sur mineurs, de façon à inclure les "thérapies de conversion". Ou encore, envisager la création d'une ligne d'écoute consacrée aux LGBTphobies pour "faciliter le dépôt de plainte". Au-delà de la solution pénale, des options pédagogique, permettant de prendre le problème à la racine sont envisagées. Le rapport recommande ainsi d'inclure d'avantage la problématique des discriminations contre les personnes LGBT dans les cours d'éducation à la sexualité, dans les établissements publics comme privés sous contrat. Au mois d'octobre TÊTU avait par exemple cité l'enquête de Rue89 Lyon sur des "passages homophobes" d'un manuel scolaire dans un lycée catholique à Lyon. En trois mois d'auditions, la mission d'information n'a peut-être fait qu'effleurer l'ampleur du phénomène...
Synthèse 4 pages MI thérapies de conversion - version définitive by Antoine Patinet on Scribd
Crédit photo : Wikimedia Commons / Jebulon