Dans une tribune publiée par TÊTU, le président de AIDES, Aurélien Beaucamp, explique pourquoi la modification du régime de mécénat des entreprises est une très mauvaise nouvelle pour les associations qui luttent contre le VIH/sida.
Depuis deux ans, les acteurs de l’économie sociale subissent des réformes fiscales successives qui les fragilisent gravement. La baisse des contrats aidés, la transformation de l’ISF ou la suppression de la réserve parlementaire sont autant de mesures qui impactent directement les structures associatives et restreignent leurs actions.
Depuis deux ans, nous alertons le gouvernement sur les conséquences graves de ces réformes, comme cela a été le cas dans une précédente tribune parue le 25 octobre que nous avons co-signé avec 117 autres associations et fondations.
Une mesure lourde de conséquences
Malgré notre mobilisation, nous constatons une nouvelle démonstration du mépris de la majorité qui fait fi de nos cris d’alarme en adoptant dans le Projet de Loi de Finances une modification du régime du mécénat des entreprises. Cette mesure qui affecte l’ensemble du secteur de la générosité sera également lourde de conséquences pour la lutte contre le VIH/sida.
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Abaisser à 40% (contre 60% jusqu’à présent) le taux de défiscalisation des dons faits par les entreprises à partir de deux millions d’euros, aura pour conséquence immédiate de réduire la générosité de ces mécènes et par ricochet la baisse des ressources pour les associations.
Pourtant, ces financements sont aujourd’hui absolument indispensables pour pallier aux lacunes des politiques publiques dans la bataille contre le virus puisqu’ils nous permettent d’investir des territoires ou champs d’action totalement délaissés par l’Etat.
Des enjeux complètement désinvestis
C’est grâce à ceux-ci, par exemple, que nous avons pu pendant plusieurs années en Guyane, région d’Outre-mer particulièrement touchée par l’épidémie, mettre des appartements de passage à disposition de personnes précaires, dépistées positives au VIH lors de nos actions afin qu’ils/elles puissent y séjourner pendant leurs consultations à l’hôpital le plus proche.
C’est également grâce aux financements privés que nous avons pu initialement aborder des enjeux complètement désinvestis par les politiques publiques, tel que l’accompagnement des travailleurs-euses du sexe, des Chemsexeurs ou des personnes migrantes.
Sans ces financements, sans nos actions, ce sont des milliers de personnes qui se retrouvent seules, sans réponses adaptées à leurs besoins parfois vitaux.
Un impact tragique sur les populations vulnérables
Sans eux, également, nous n’aurions pu mettre en place des outils aujourd’hui indispensables à la lutte contre le VIH/sida, qui résultent de nos stratégies d’innovation : le déploiement des tests de dépistages rapides (Trod) ou l’étude Ipergay qui a permis la mise en place de la Prep en France résultent en partie de ces dons privés.
Au-delà de l’impact tragique que nous pouvons craindre d’une telle mesure sur les populations vulnérables et sur nos possibilités d’innovation, celle-ci met le gouvernement face à ses contradictions en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
Alors que ce gouvernement martèle jour après jour que tout le monde doit se mobiliser, citoyens-nes et entreprises pour l’intérêt général et demande à ces dernières de développer cette fameuse responsabilité sociale, il la limite en même temps par cette mesure de restriction des avantages fiscaux.
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Par la même occasion, il restreint l’accès des salariés.es des entreprises concernées à la possibilité d’être informés.es et sensibilisés.es aux problématiques sociétales ou environnementales. La lutte contre le VIH/sida fait partie de ces thématiques qu’il est nécessaire de promouvoir au sein des entreprises.
Impliquer les salarié.es
Quand une puissante fondation d’entreprise française participe au financement d’actions de prévention en Guyane, ce sont les 110 000 salariés.es de l’entreprise qui peuvent être fiers.ères de contribuer à cet ouvrage. 110 000 personnes qui peuvent prendre conscience que la lutte contre le VIH n’est pas terminée et que nous sommes toutes et tous concerné.es par celle-ci. Le don d’une seule fondation, c’est potentiellement 110 000 nouveaux-elles alliés.es dans la lutte contre l’épidémie.
En parallèle des dons, les démarches de nos partenaires sont aussi nombreuses pour permettre à leurs collaborateurs.trices de prendre connaissance de nos luttes, parfois de s’y engager, à nos côtés. Des visites d’observation de nos sites sont régulièrement organisées, ce qui permet non seulement aux personnes de découvrir nos actions et nos engagements, mais aussi de remettre les questions de prévention dans les esprits de chacun-e. Impliquer les salarié.es sur ces enjeux, c’est contribuer à faire adopter des comportements bénéfiques pour les autres et pour soi-même !
Dans un contexte où le VIH/sida fait de moins en moins peur mais est paradoxalement toujours invisibilisé et stigmatisé, l’implication des entreprises, financière comme sociétale, est un soutien évident de la cause, dont nous craignons d’être privés au lendemain de cette modification. C’est bien la connaissance globale des problématiques du VIH/sida qui sera directement impactée.
Deux millions de personnes salarié-es
Nous redoutons enfin l’impact néfaste de cette mesure dans le cœur même de nos structures : le monde associatif représente près de deux millions de personnes salarié-es. Si la générosité du public continue à baisser comme c’est le cas depuis 2018 et si les mécènes privés suivent cette tendance du fait de la réduction de la défiscalisation, ce sont aussi des emplois qui se trouvent directement menacés.
Nous posons donc la question au gouvernement : si vous réduisez l’incitation des financeurs privés à investir dans nos structures, serez-vous présents pour pallier ce manque ?
Sans financements, sans dons, nos combats seront vains. Nous avons besoin de toutes et tous, à titre individuel et collectif, pour pouvoir prétendre mettre fin à l’épidémie.
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