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coming out"Ça a été une renaissance" : le jour où mon père a fait son coming out

Par Timothée de Rauglaudre le 10/04/2020
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Comment faire son coming out gay quand on a construit une vie de famille avec une femme ? Entre mensonges, angoisses et libération, des enfants et des pères racontent le jour où tout a basculé.

"Maman, Papa il sort avec Alain* ?" Pauline a 14 ans quand elle se décide à demander à sa mère, de but en blanc, si celui que son père présente comme son "meilleur ami" depuis six ans, depuis la séparation, est en fait son "amoureux". Sa mère acquiesce tranquillement. "Je pense que je l'ai toujours su, avance la jeune journaliste aujourd'hui âgée de 23 ans. On partait en vacances ensemble, ils dormaient dans le même lit. Quand il s'est enfin décidé à faire son coming out, il était extrêmement mal à l'aise, encore aujourd'hui il a beaucoup de mal à en parler. Je l'ai rassuré, je lui ai dit : "Je m'en fiche avec qui tu sors, l'essentiel c'est que tu sois heureux.""

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Si Pauline a tout de suite accepté la vérité, les choses n'ont pas été forcément aussi évidentes pour le reste de sa famille. Le petit frère de Pauline, qui a 16 ans, fait parfois des blagues homophobes alors qu'il est tout à fait au courant de l'homosexualité de son père. Quand sa grande sœur le reprend, il répond : "Ce n'est pas pareil, ça n'a rien à voir." De son côté, Pauline a mis longtemps avant de pouvoir en parler à ses proches : "Pour le protéger, j’essayais toujours de rester très évasive dessus. Ça doit faire deux ans que j'ai arrêté de mentir. Je me sens mieux."

Angoisses

Comment faire son coming out gay quand on a construit une vie de famille ? Comment faire la part des choses entre la volonté de s'épanouir et la peur de jeter un pavé dans la marre ? Y a-t-il une solution miracle pour faire que la transition se passe au mieux ? Pour Joseph Agostini de l'association PsyGay, si chaque situation est singulière, une chose est sûre : le mensonge n'est jamais la bonne voie. "Souvent, la personne gay qui n'a pas fait son coming out et vit avec quelqu'un de l'autre sexe a une vie clivée, explique le psychologue clinicien et psychanalyste. Quand on manque de sécurité affective, il peut y avoir beaucoup d'angoisses liées à l'avenir, à la peur d'être démasqué. Le faux-semblant permanent peut générer beaucoup d'angoisses."

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C'est ce qu'a vécu Mika, 46 ans, personnel civil dans la police. Lui qui a grandi dans un petit village des Ardennes belges au milieu des années 1980 a toujours su qu'il était homosexuel. "Je me suis menti à moi-même et j'ai mis ça de côté." Il rencontre sur Internet celle qui deviendra son épouse pendant cinq ans et la mère de ses enfants. Cinq ans d'un mariage de raison qui l'a endommagé. "Je me réfugiais dans la bouffe, je faisais 130 kilos. Aujourd'hui je ne suis plus du tout le même. J'ai fait un bypass (opération chirurgicale contre l'obésité, ndlr), je fais 70 kilos et je me sens mieux dans ma peau."

"La vie m'a fait un chouette cadeau"

Henri*, chef d'entreprise âgé lui aussi de 46 ans, a eu trois enfants, qui ont aujourd'hui 10, 12 et 14 ans, avec son ex-femme. Tous les deux ont décidé de leur expliquer la situation par étapes : "Ils ont réagi dans l'indifférence générale. On s'est posé la question pour l'adolescence. On surveille, on leur pose des questions de temps en temps. Ils voient que ça se passe bien avec mon ex-femme." Avant d'en arriver là, Henri a dû vivre six mois dans le mensonge, amoureux d'un homme rencontré sur une application. "Je culpabilisais, j'étais en train de tromper ma femme, je somatisais pas mal, j'ai fait des poussées de boutons, de fièvre."

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Voilà dix ans que Mika a divorcé de son ex-femme, qui est devenue sa "meilleure amie". Quant à sa fille, désormais âgée de 13 ans, elle n'a que 5 ans lorsqu'elle rencontre, de manière impromptue, son compagnon. "C'est ton amoureux ? lui demande-t-elle alors. En tout cas, il a l'air gentil." Aujourd'hui, quand il les voit tous les deux assis dans le canapé, il se dit : "Finalement, la vie m'a fait un chouette cadeau... une seconde chance."

Bonheur contagieux

Arnaud, juriste de 48 ans, a longtemps refoulé son orientation sexuelle après avoir été abusé sexuellement dans son enfance. Opposé par principe au mariage, il reste quinze ans en couple avec une femme. Aujourd'hui, leurs enfants ont 9 et 15 ans. C'est eux qui l'ont longtemps fait hésiter avant de faire son coming out, mais avec le recul il ne regrette rien : "Tout le monde le sentait un peu, quelque part. Je pense que ça a plus été une délivrance pour eux que pour moi. C'est mieux d'avoir été transparent. Je ne me vois pas, au bout de dix ans, avoir caché tout ça à mes enfants et leur dire maintenant que je suis homosexuel."

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Alexandre avait 6 ou 7 ans le jour où son père est parti, avant de tomber amoureux d'un homme quelque temps après. Un événement qui n'a rien changé dans sa vie ni dans celle de ses grandes sœurs. Dans la vie de leur père, en revanche, c'est autre chose, comme le souligne le chargé de communication de 28 ans : "Après des années dans le placard, à cacher qui il était, après le divorce, ça a vraiment été une renaissance. C'était visible d’un point de vue physique, mental. Il a commencé à vivre sa vie à cet âge-là."

Et si, finalement, la vérité, aussi bouleversante soit-elle, était moins déstabilisante pour les enfants que la dissimulation ? C'est en tout cas l'avis de Joseph Agostini : "Un enfant, quand on lui parle vrai, quand le parent se libère d’un tabou, va forcément mieux. Il y a des moments de turbulences mais l’enfant va être heureux d’avoir un parent heureux. C'est très contagieux, le bonheur."

*Les prénoms ont été modifiés

 

Crédit photo : Pixabay