mariage7 ans après le mariage pour tous, une étude dresse le portrait robot des mariés de même sexe

Par Timothée de Rauglaudre le 23/04/2020
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Il y a sept ans, le mariage pour tous était définitivement adopté à l'Assemblée nationale. Doctorante en sociologie à l'Ined, Gaëlle Meslay étudie les caractéristiques des couples d'hommes et de femmes mariés.

"Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela. Ce sont des paroles qui vont s’envoler, restez avec nous et gardez la tête haute ; vous n’avez rien à vous reprocher. Nous le disons haut et clair, à voir puissante, parce que comme disait Nietzsche : "Les vérités tuent, celles que l’ont tait deviennent vénéneuses."" C'était il y a tout juste sept ans, le 23 avril 2013. C'est par ces mots désormais historiques que Christiane Taubira concluait à l'Assemblée nationale des mois de débats parfois douloureux sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.

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Où en est-on aujourd'hui ? Comment les personnes homosexuelles et bisexuelles se sont-elles emparées de l'institution du mariage, dont elles ont si longtemps été tenues à l'écart ? C'est ce qu'a voulu savoir Gaëlle Meslay, doctorante en sociologie à l'Institut national d'études démographiques (Ined). La chercheuse prépare une thèse sur le choix du mariage pour les couples de même sexe. Elle a interrogé une cinquantaine de personnes pour "questionner le choix d'union, pourquoi on se décide de se marier, quelles sont les spécificités de ces mariages", développe-t-elle auprès de TÊTU.

Âge plus tardif

En attendant la fin de sa thèse, elle a publié en décembre dernier dans Population, la revue scientifique de l'Ined, une étude intitulée "Cinq ans de mariages de même sexe en France : des différences entre les couples d’hommes et les couples de femmes". À partir des données d'état civil sur les mariages et de l'enquête "Famille et logements" de l'Insee, elle s'est efforcée de dégager les principales "caractéristiques sociodémographiques" des couples de même sexe qui ont fait le choix de se marier.

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Le premier élément qui a frappé la chercheuse, c'est le fait que les couples de même sexe se marient à un âge plus avancé que les couples de sexe opposé, notamment pour les premiers mariages en 2013 et 2014 : "Les couples qui ne pouvaient pas se marier jusque-là ont saisi cette opportunité." Cependant, depuis, l'âge au mariage a décliné, notamment pour les couples de femmes.

Droits à la filiation

Des chiffres qu'elle a pu mettre en perspective avec les motivations à se marier des couples qu'elle a interrogés. "Ce qui ressort pas mal dans leur discours, c'est le mariage comme acte militant. Peu de temps après le passage de la loi, certains l'ont vu comme une réaction à un contexte politique. Ils m’ont beaucoup parlé de La Manif pour tous, ils voulaient contredire ce type d’arguments. Plus largement, quand on étudie les statistiques, il y a plus de mariages de couples de même sexe dans les périodes électorales. On peut faire l'hypothèse d’un usage politique du mariage."

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Les couples de femmes se marient en moyenne plus tôt que les couples d'hommes car ils y voient plus souvent une porte d'entrée vers la filiation, là où dans les couples d'hommes les motivations patrimoniales sont plus prégnantes. C'est ce qu'a pu constater Gaëlle Meslay au cours de ses entretiens : "Une grosse majorité des femmes que j'ai interrogées se sont mariées pour accéder à des droits à la filiation. Il y a plus de possibilité de faire des enfants pour les femmes. Beaucoup ont fait des PMA à l’étranger, qui nécessitent que l’une des deux fasse la démarche d’adoption pour adopter l'enfant biologique de sa conjointe. Pour cela, il faut être marié. En comparaison, peu d'hommes sont dans cette configuration. La GPA est beaucoup plus compliquée que la PMA, ce ne sont pas les mêmes procédures, le coût est plus important. L’adoption en France est très compliquée."

Homogamie

L'étude publiée en décembre dans Population se penche surtout sur les différences entre les couples d'hommes et de femmes qui optent pour le mariage. Les couples d'hommes mariés sont plus présents à Paris et dans la petite couronne (28 % d’entre eux résident dans l'agglomération parisienne, contre 16 % des couples mariés de femmes et 19 % des couples mariés de sexe opposé), contrairement aux couples de femmes qu'on trouve davantage en milieu rural, dans les petites villes ou en banlieue, pour des raisons "propres à la répartition des gays et lesbiennes sur le territoire, aux moyens économiques, au rapprochement avec les parents", analyse Gaëlle Meslay.

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Par ailleurs, on trouve très peu de couples de femmes mariées binationaux (5 %), trois fois moins que chez les couples gays (16 %) et hétérosexuels (14 %). La doctorante explique cette différence par une plus forte "homogamie" chez les couples de femmes, c'est-à-dire des niveaux d'études, des âges ou encore des origines géographiques très ressemblants. "Les couples d'hommes et de femmes ne se rencontrent pas dans les mêmes endroits, décrypte la chercheuse. Les hommes se rencontrent davantage dans les lieux publics, dans les bars ou les cafés, sur les applications, alors que les femmes ont une sociabilité plus privée. L'affichage public de l'homosexualité est un affichage plutôt masculin."

 

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