confinementSolitude, transitions freinées... le confinement difficile des personnes trans

Par Delphine Dauvergne le 23/04/2020
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Solitude, accès aux soins, transitions freinées, retour dans une famille toxique… Les personnes trans subissent encore plus de complications et de mises en danger depuis le début du confinement.

Anxiété, violences intrafamiliales... Le confinement n'est évident pour personne. Mais pour certaines personnes trans, le confinement peut freiner la transition ou être aussi vécu comme un retour à la case départ. C’est un peu le cas de Lucie*, 21 ans, qui vit à Angers. « Je suis mégenrée par ma famille et appelée par mon deadname au quotidien car je ne suis pas out auprès des personnes chez qui je suis confinée. Elles pourraient d’ailleurs réagir violemment si elles l’apprenaient ».

Situation un peu similaire pour Stella, 19 ans, étudiante à Lyon, qui a dû revenir habiter chez ses parents. « Mon coming-out est récent, ma famille est bienveillante mais il est fréquent qu’on me mégenre ou qu’on m’appelle par mon deadname… On m'a demandé d'être bienveillante par rapport à ces erreurs, mais pour moi c'est très dur, ce n'est pas à moi que l'on parle quand on se trompe... »

Loin de la famille de coeur

Pour d’autres, comme Sufjan, qui a coupé les ponts avec sa famille, vivre seul n’est pas facile. Et son réseau de proches pour l’aider est réduit. En situation de handicap avec notamment une cardiopathie congénitale et de l’hypertension artérielle pulmonaire, le Nantais de 32 ans ne prend pas le risque de sortir de chez lui et sollicite deux amis pour l’aider avec ses courses, mais aussi pour ses médicaments à retirer à la pharmacie de l’hôpital. « Une vraie galère car il a fallu contacter mon cardiologue pour confirmer l’ordonnance manuscrite. J’aimerais que mes amis restent mes amis, ne pas trop les solliciter, d’autant plus que je ne pourrais pas sortir avant qu’un vaccin ne soit trouvé… » Il  confie également « ne pas avoir demandé de l’aide à [s]es ami-e-s trans, car je ne veux pas qu’iels soient embêté-e-s par des policiers lors d’un contrôle, si leur passing ne correspond pas à leur carte d’identité ». L’organisation de sa « survie » lui prend beaucoup d’énergie.

Nina, 37 ans, vit également seule. « L’isolement social est difficile, mais si le confinement avait eu lieu l’année dernière les conséquences auraient été encore plus fortes pour moi, car j’étais à un moment compliqué de ma transition, j’avais un endocrinologue qui ne me donnait pas des doses adaptées, j’étais en dépression et donc coupée de mes ami-e-s », raconte-t-elle. Cette Parisienne souligne également, qu’avec le confinement, « il n’y a plus tous ces moments communautaires où l’on se retrouvait avec une majorité de personnes trans, dans un endroit où notre identité n’était pas remise en cause, ce manque participe à cette sensation d’isolement ».

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Lucas*, 24 ans, a lui rejoint sa copine dans son appartement le temps du confinement, à Strasbourg. Mais cela n’a pas empêché « la réémergence de problèmes de santé mentale (anxiété, dépression), dont l’origine est liée notamment à du harcèlement et au rejet de ma famille. Le fait de rester enfermé est très pesant, comme un étau supplémentaire qui exacerbe le reste ». Pour lui, « ne plus voir et échanger avec [s]es amis trans – [s]a deuxième famille - de manière physique contribue à l’isolement social, ce n’est pas pareil en ligne ».

De la même manière, Stella trouve aussi cette période « déprimante. Elle me prive de toute perspective, je n'arrive plus à imaginer un avenir dans lequel je parviendrais enfin à être moi-même. » Car avec le confinement beaucoup de personnes trans, comme elle, ont vu leurs parcours de transition être freiné. Ce qui est source de mal-être.

Transitions ralenties

Stella est au tout début de sa transition. « Je devais être hormonée au cours du printemps mais cela a été reporté… Je venais également de commencer des séances d’orthophonie dans le cadre du travail de féminisation de la voix, mais cela a été stoppé ». Certain-e-s orthophonistes proposent des séances en ligne, mais ce n’est pas tous leur cas. Lucas, a lui dû retarder une prise de rendez-vous avec un-e endocrinologue.

Pour Yann (Natalie)**, qui vit à Angers, « la grande inquiétude c’est de voir le premier rendez-vous d’endocrinologue à Nantes, prévu pour fin mai, annulé ». La période du confinement lui a permis de porter plus régulièrement des vêtements perçus comme « féminins » sans avoir peur du regard des autres.

L’association OUTrans, contactée par Têtu, constate que « beaucoup de personnes ont profité du confinement pour réfléchir à leur transition et veulent se lancer. Or, si entamer un parcours de transition et décrocher des rendez-vous médicaux pour l’entreprendre est déjà long en temps normal, ça l’est encore plus pendant ce confinement, qui renforce le problème de la difficulté déjà existante de l’accès aux soins. Il faut parfois 6 mois pour décrocher un rendez-vous d’endocrinologue à Paris par exemple ».

Transphobie

Ce contexte, malheureusement habituel, renforce les inquiétudes. Ricardo, 26 ans, étudiant à Toulouse, craint « une restriction de l’accès aux hormones. Nous avons eu beaucoup de pénuries bien avant le coronavirus... Alors si on rajoute une crise sanitaire, où il y a, en plus, pénurie de matériel pour faire des injections... » Membre du collectif trans féministe de migrantes hispanophones la Asamblea Transfeminista Nati Yarza, il est aussi persuadé « que la crise du coronavirus va durcir les conditions de vie de toute une série de corps vulnérables. Celles et ceux qui sont en train de payer les premières conséquences sont les populations racisées des banlieues, les personnes âgées et les travailleuses du sexe. »

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Et chez les personnes trans, ce sont aussi ces populations qui sont le plus impactées par les difficultés. « Les femmes trans migrantes sont parfois mal reçues lorsqu’elles vont demander un renouvellement d’ordonnance à la pharmacie, leur français n’étant pas bon et le traitement étant cher, on juge parfois qu’elles ne sont crédibles », illustre Manuela de l’association Acceptess-Transgenres, qui accompagne les femmes trans en difficulté. Autre exemple : « les personnes sans papiers qui doivent aller chercher leurs antiviraux à l’hôpital ont peur des contrôles policiers et nous appellent à l’aide ».

Quant aux personnes en situation de handicap comme Sufjan, craignant pour sa santé, il attend d’ « être certain que les laboratoires soient bien équipés pour faire des prises de sang en toute sécurité pour vérifier les doses d’hormones ». Les médecins continuent à délivrer ces ordonnances d’analyse de bilan hormonal à distance. Nina a, elle, voulu continuer son suivi, mais s’est heurté à ce qui ressemble de très près à de la transphobie : « les laboratoires près de chez moi n’ont pas voulu faire mes analyses, ils m’ont rétorqué que ce n’était pas prioritaire ».

Opérations annulées

Nina avait prévu de prendre des rendez-vous pour des opérations, mais ce projet est remis à sine die… En effet, toutes les opérations liées aux transitions ont été annulées, sans aucune visibilité sur leur report. Manuela, 37 ans, militante à Acceptess-T, avait une chirurgie d'affirmation de genre programmée en juillet.

« Cela faisait deux ans que je la préparais, ma vie est organisée en fonction de cela. J’avais prévu de la faire l’été pour ne pas que cela affecte mon travail. Sur le plan émotionnel c’est aussi dur de devoir prolonger cette attente, tous nos niveaux de vie sont affectés, que cela soit nos projets de vie ou notre vie sentimentale. Ces opérations sont nécessaires pour notre bien-être ».

Etat civil

Les procédures pour les changements de prénom et de sexe à l’état civil ont toutes été stoppées étant donné que les tribunaux et les services d’état civil des mairies sont fermés. « Les délais, qui étaient déjà longs, vont se rallonger, d’autant plus qu’à la sortie du confinement les tribunaux ne les jugeront sûrement pas prioritaires. Il fallait déjà attendre entre 3 et 6 mois, cela pourrait passer de 6 mois à 1 an. Avec pour conséquence, des personnes qui circulent avec des papiers qui ne correspondent pas à leur identité sociale », souligne l’association OUTrans. Nina attendait la réponse de son audience, qui s’était déroulée début février, pour son changement d’état civil. Sur ses attestations de sortie, elle inscrit son nom choisi, et prend des risques en cas de contrôle policier.

Sufjan avait passé deux mois à monter son dossier de changement d’état civil. Il se montre pessimiste : « il est probable que les tribunaux ne jugent pas ces affaires prioritaires quand ils rouvriront… » OUTrans espère pouvoir obtenir auprès du ministère de la Justice « que les demandes de changement d’identité soient validées sans audience, pour plus de rapidité. »

Andy*, 30 ans, a lui vécu une situation ubuesque. En attente depuis plusieurs mois que sa mairie de naissance reçoive la copie du jugement de son changement de genre par le tribunal, il a eu la surprise de voir que ce changement était devenu effectif, lorsqu’il s’est rendu le jour du début du confinement, en pharmacie pour acheter ses traitements. « La carte vitale n’était plus valide, toutes les antennes physiques de la sécurité sociale fermées, et les conseillers vocaux inutiles. J’ai donc dû me résoudre à avancer plusieurs centaines d’euros et rogner sur mes achats alimentaires. »

Solidarité

Beaucoup de personnes trans font face à des situations de précarité, que cela soit des travailleuses du sexe qui sont contraintes d’arrêter leur travail, des personnes migrantes qui n’ont pas de logement pérenne ou encore des personnes à la santé fragile.  La solidarité s’organise à des échelles différentes, groupes de soutien ou entretiens individuels, organisés par des associations ou des collectifs, comme par exemple le groupe Facebook Plate forme solidaire TBPGIQ contre le Coronavirus (Paris / IDF).

Depuis le tout début du confinement l’association Acceptess – T a lancé plusieurs actions de solidarité. Environ 400 femmes trans en région parisienne bénéficient ainsi de colis alimentaires chaque semaine, de produits d’hygiène et de médicaments. L’association les aide aussi pour leurs traitements et leur logement. Une aide d’ampleur qui a été rendue possible grâce à la mobilisation de la communauté, mais aussi grâce à la création le 13 mars du FAST (Fonds d’aide sociale trans). « Ces femmes qui nous ont contacté pour demander de l’aide, c’est un bon signe, cela montre qu’elles sont prêtes à vivre, prendre leur bien-être en main », estime Manuela. 

*Ces prénoms ont été modifiés. 

**Dénomination choisie par la personne interviewée.