musiqueAustra: "Quand j'étais jeune, c'était difficile d'avoir accès à des artistes queers"

Par Romain Burrel le 01/05/2020
Austra

La chanteuse et productrice canadienne Katie Stelmanis revient avec un épisode electro plus intime mais toujours aussi aventureux. Interview.

Trois ans après son dernier effort, la Canadienne Katie Stelmanis, alias Austra, est de retour avec un disque plus personnel. HiRUDiN, son quatrième album, est un disque de rupture. D’abord amoureuse mais aussi avec ses travaux précédents.

En quête de nouvelles émotions, la créatrice de Beat And The Pulse et de Young and gay livre cette fois une variation sur le thème des relations toxiques, amoureuses ou artistiques, sur lesquelles elle a définitivement tiré la chasse.

Brillante idée puisque HiRUDiN est son album le plus chaleureux et innovant à ce jour, oscillant entre mélodies accrocheuses (Anywayz) et dérapages electro controlés (Risk it). Le tout dominé par une voix maîtresse, comme sur ce Your Family, sommet d'émotion, où la chanteuse ouvertement lesbienne demande à son ex-amoureuse ce qu'elle dira à sa famille lorsque celle-ci reviendra en ville...

C’est sans langue de bois que Stelmanis revient pour TÊTU sur la genèse de son album, mais aussi sur ses influences queers ou la misogynie de l’industrie du disque.

Tu as baptisé ton album «  HiRUDiN ». Ça veut dire quoi ?

Katie Stelmanis: L'hirudine est une protéine que les sangsues lâchent dans ton corps lorsqu’elles sucent ton sang. On les utilise en médecine pour cette vertu anticoagulante. Je trouve que c’est une bonne métaphore car le thème de mon album est les relations toxiques. Les sangsues sont des créatures parasitaires qui certes te pompent le sang mais qui, à la fois, sécrètent cette substance guérissante… Les relations toxiques sont des parasites mais elles nous offrent également des opportunités d’apprendre et de guérir.

"Beth Ditto a été une énorme influence pour moi."

Ok, j’ai compris : tu viens de rompre, c’est ça ? D’ailleurs, ça expliquerait le clip de ton premier single, « Risk it », qui montre un couple de filles qui se sépare…

(Elle explose de rire) C’est drôle, j'étais en promo à Berlin et personne ne m’a posé la question mais toi, tu ne me rates pas ! (rires) J’ai traversé une période difficile après une rupture il y a trois ans avec mon ex-partenaire. Mais HiRUDiN parle également de mes rapports avec des collaborateurs artistiques ou même avec des amis... Mais t'as raison, je me suis en partie inspirée de ma vie amoureuse. J’ai eu cette séparation douloureuse, il y a trois ans puis j’ai eu une nouvelle histoire… et je viens à nouveau de rompre il y a à peine deux mois. (rires) C’est si frais que j'ai encore mal qu’en j’en parle ! Et voilà que je me retrouve avec un disque qui parle d’une rupture précédente !

 

On parle souvent de tes influences Bjork, Kate Bush... Mais sur "Anywayz", le titre qui ouvre le disque, a un petit coté Klaus Nomi. C'est une référence pour toi ?

Oh j’adore Klaus Nomi ! Mais je ne sais pas si c'est une influences sur mon travail ? Peut être a-t-on lui et moi les mêmes affinités. Il venait de l’opéra et j’ai une formation classique...

Quand tu étais jeune, en tant que lesbienne, tu cherchais des références d’artistes queers dans la pop ?

Je crois, oui. Quand j’ai commencé à étudier la musique, si j’avais su qu’un artiste comme Klaus Nomi existait, ça m'aurait sûrement beaucoup excitée. Mais c’était difficile d'avoir accès à des artistes queers. A l’époque, l’archétype de l’artiste lesbienne, c’était Ani DiFranco, Melissa Etheridge... le folk lesbien. Je ne m’identifiais pas du tout dans ce mouvement. Mais Beth Ditto a été une énorme influence pour moi. Je crois que je l’ai vu Gossip jouer au moins neuf fois à Toronto.

« Mountain baby » est l'un des plus titres les plus surprenants de ton nouvel album. On y entend un choeur d'enfants. D'où vient de morceau ?

C’est aussi un de mes titres préférés ! Au départ, j’avais juste la boite à rythme et le riff de piano. Et j'ai eu envie d'un choeur d’enfant dessus, sûrement étais-je influencée par le Charlie Brown Christmas album (rires). Comme ma mère est prof, elle a fait venir ses élèves pour chanter en studio. Pendant longtemps, la démo n'avait pas de refrain. C’était juste une chanson bizarre avec un refrain instrumental, un truc à la Skrillex (rires). Puis j’ai envoyé le morceau à ma pote Cecile Believe (qui chante également sur l’album de la productrice Sophie). Deux heures plus tard, elle m’a renvoyé le titre avec ce super refrain. C’était parfait.

Le titre qui clôture l’album s’appelle « Messiah ». Tu crois en Dieu ?

Non. Cette chanson parle plutôt d’être mise sur un piédestal. On a parfois une idée de l’autre qui ne correspond pas à ce qu’il ou elle est vraiment. Mais on devrait voir les gens pour ce qu'ils sont. Avec leur qualités et leurs fêlures. Avec ce titre, j’avais envie de dire: « Ne me mets pas sur un piédestal. Ne pense pas à moi comme une personne supérieure à toi ». Dans Messiah, j’explore ce qui selon moi serait une relation idéale. C'est-à-dire une relation où deux personnes indépendantes se soutiennent mais ne sont pas dépendantes l’un de l’autre. Qui marchent à l’une à coté de l’autre sans que l’une guidant l’autre.

Austra: "Quand j'étais jeune, c'était difficile d'avoir accès à des artistes queers"

Ça a été un album difficile à écrire ?

Très difficile, oui. J’ai traversé tellement de changements, notamment au niveau émotionnel. Il m’a fallu du temps avant de comprendre quel genre de disque je voulais faire. Tu sais, écrire un album, le sortir, aller au devant du public, des critiques, partir en tournée… tout ça est très fatiguant. Et je me demandais vraiment si j’avais encore la force de traverser tout ça à nouveau.

Tout a été une lutte pour réussir ce nouvel album. C’est un miracle que ce disque existe. (rires) C’était aussi l’expérience artistique la plus gratifiante que j’ai vécue. C’est la première fois que je me suis autorisée à collaborer avec de nouvelles personnes, des gens avec qui je n’avais jamais travaillé auparavant. J’ai fait des tas de sessions et ça m’a appris tellement de choses.

"Bien sûr que la musique est misogyne ! C'est une industrie menée par des hommes. Ce sont eux qui ont l’argent et le pouvoir. Tous les labels, les agences de booking, les tourneurs, sont tous dirigés par des hommes. A l'image du reste de la société."

Austra désormais, c’est juste toi ?

Mais Austra, ça n’a toujours était que moi ! Au début, on a été marketé comme un groupe. Mais c’était juste des musiciens pour me soutenir en live, C’est moi qui écrivais les chansons. Avant Austra, j'ai commencé par faire de la musique sous mon vrai nom. Et ça ne menait nulle part. Les gens ne comprenaient pas mon projet. A l’époque, il n’y avait pas d’archétype pour une artiste féminine ne jouant pas la carte de la popstar sexy. Et moi, je ne me sentais pas de me la jouer « reine de la pop » mais c’était le seul chemin vers le succès. Il n’y avait pas la place pour une fille comme moi : une artiste solo un peu chelou qui produit sa propre musique (rire). Ça n’existait pas. J’ai changé mon nom, j’ai présenté le projet comme un groupe et soudain, les gens ont capté. Six mois après la sortie de mon premier album, le standard de la meuf productrice de sons a explosé. Maintenant la plupart des artistes à qui je pense sont des musiciennes féminines, solos et productrices.

L’industrie de la musique est misogyne ?

Bien sûr que la musique est misogyne ! C'est une industrie menée par des hommes. Ce sont eux qui ont l’argent et le pouvoir. Tous les labels, les agences de booking, les tourneurs, sont tous dirigés par des hommes. Pourtant, il y a aujourd’hui il y a des tas d’artistes féminines incroyables. Mais tout passe par les mecs. Je ne vais pas jusqu’à dire que tu dois pas les satisfaire mais tu dois les convaincre que tu vas leur rapporter de l’argent. Et s’ils ne comprennent pas ce que tu fais, ils ne te fileront pas de fric. Tu n’auras de contrat de maison de disque. Tu ne seras pas programmée en festivals. C’est une problème profond. Seule une petite partie de la démographie est représentée parmi les gens décident.

Mais on commence à en parler. Avant on me demandait  « Ça fait quoi d’être une femme dans la musique ? » C’était une question très générale. Un peu conne d’ailleurs. Maintenant, les questions se font plus précises. On rentre dans le détail comme tu viens de le faire. On dissèque la misogynie plus en profondeur. C’est une conversation importante mais je pense aussi que le problème est plus systémique et plus large que seulement l’industrie musicale. C’est toute la société qui est misogyne.

Austra: "Quand j'étais jeune, c'était difficile d'avoir accès à des artistes queers"

Le son de ce nouvel album est plus chaud que disque précédent. C’était une volonté de départ ?

Définitivement ! Je voulais quelque chose de plus chaleureux et je voulais bosser avec des gens nouveaux. Je voulais sortir de mon cercle de habituel de connexions. J’ai grandi à Toronto, dans une communauté musicale où tout le monde connait tout le monde et où j’ai déjà bossé avec la plupart d’entre eux. Et je continue mais je veux aussi de nouvelles énergies !

C’est ce qu’on appelle être dans une relation ouverte…

(Rires) Exactement !

'HiRUDiN', le nouvel album d'Austra est disponible le 1er mai chez Domino Record Co et sur les plateformes de streaming. Elle sera en concert le 26 novembre à La Machine Du Moulin Rouge à Paris.

Crédits images: Virginie Khateeb/Domino Record Co