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musiqueYelle : "Peaches porte la coupe mulet beaucoup mieux que moi"

Par Antoine Patinet le 05/05/2020
Yelle

La plus pop des chanteuses françaises est de retour avec un nouveau single, déclaration d'amour amère à la France, et un nouveau clip, réalisé par Loïc Prigent. TÊTU lui a passé un petit coup de fil.

Il est des allié.e.s qui se font parfois discret, mais dont on sait qu'ils ne nous quittent jamais. On se souvient de sa robe smiley en sequin, époque "Je veux te voir", où Yelle déboulait sur la scène électro-pop française comme une fusée, forte d'un featuring azimuté avec le chanteur parodique Fatal Bazooka. Après trois albums, et plusieurs années d'absence, compensées par des titres lâchés sur internet comme des petites bombes dansantes et pop, Yelle est de retour, pour le meilleur et pour le pire, et entend bien dire à l'Hexagone  ce qu'elle a sur le coeur.

TÊTU : Salut Yelle ! Comment ça se passe ton confinement ? 

Yelle : Oh tu sais moi j’ai l’impression d’être tout le temps confinée ! (rires) Mais cela dit, je remarque quand même que cette période n'est pas très inspirante pour écrire.  J’ai plutôt l’impression d’être inspirée par des choses positives, même si ça me ramène à des évènements moins drôles mais là c'est assez déprimant :  tu te questionnes sur toi, sur la société, la politique... C'est pas fun du tout. Heureusement, on avait pas mal de choses à préparer pour la sortie du single et pour terminer l’album. 

Justement, tu as dévoilé le premier signal de ce nouvel opus, "Je t'aime encore". Une balade électro au piano, qui tranche avec tes précédents singles. T'as plus envie de nous faire danser ?

Je trouvais intéressant de revenir avec quelque chose de différent, et d'essayer de ne pas être là où les gens nous attendent. Ce morceau se devait un peu d'être le premier titre que l'on dévoilait, parce qu'il s'adresse à la France avec lequel on a une histoire particulière. J'ai toujours chanté en français, et pourtant, je me suis toujours sentie le cul entre deux chaises : d'un côté, un public fidèle, de l'autre, cette étrange sensation d'être incomprise dans mon propre pays. Ce qu'on propose avec Yelle, c'est de la pop française, mais on a toujours l'impression de faire quelque chose de beaucoup plus complexe que ça !

C'est à dire ? Tu as le sentiment de n'être pas assez diffusée par rapport à ce que tu proposes ?

J'adore la manière dont je fais de la musique, et je ne rêve pas du tout de remplir des stades, même si ça doit être grisant. Ce qu'on aime, c'est être au contact des gens, leur parler après les concerts, sentir l'énergie de la proximité. On fait de la musique depuis 2005, et Yelle a une super réponse de la part du public français et international. On a vraiment pas besoin de plus. Mais parfois, quand on voit les programmations, on ne comprend pas pourquoi on est "hors format". Même si on a jamais rien fait pour l'être.

Ton succès à l'international, et notamment aux Etats-Unis, tu en parles dans "Je t'aime encore". Ça confirme l'adage que nul n'est prophète en son pays ?

Peut-être ! En tout cas, on a fait proportionnellement plus de concerts aux Etats-Unis qu’en France. On a fait plus d'une vingtaine de dates, traversé le pays de long en large... Il y a une vraie fidélité de leur part, et une fidélité qui se propage, comme une chaîne humaine très forte. Chacun fait découvrir à son voisin, sa famille, ses amis... Il y a des gens qui nous suivent depuis des années, mais aussi un public plus jeune, des gens de 18-25 ans qui n'ont pas vraiment grandi avec nous. 

Tu vis en Bretagne, et tu as bossé avec Loïc Prigent, documentariste mode et breton notoire, sur ton nouveau clip. Tu veux asseoir la puissance du "lobby breton", c'est ça ?

Voilà ! (rires). Loïc, on le connait depuis longtemps et on s’est tout de suite très bien entendu. Sur le précédent disque, "Complètement Fou", on voulait collaborer avec lui sur Florence en Italie mais les emplois du temps n’ont jamais matché.  Mais quand on a commencé à imaginer "je t’aime encore", on a tout de suite pensé à lui, à la proximité qu’il peut amener dans son travail. C'est un créateur d’intimité, et on avait envie de ça avec ce titre. Ce morceau se chuchote à l’oreille, c'est un morceau qui dit : "je te parle, regarde moi écoute moi".

Dans le clip, Charlie Le Mindu, le célèbre coiffeur et costumier qui a notamment travaillé avec Lady Gaga, qui te coupe les cheveux pour revenir au carré avec lequel on te connaît tous. C'est un retour à la base ?

J'ai toujours changé de coupe, de couleur, à chaque rupture, à chaque changement, à chaque nouveau départ. Revenir avec un nouveau titre, un nouvel album, ça nécessitait une nouvelle coupe de cheveux !(rires). J'avais envie de revenir à ce carré plus court, c'est une coupe dans laquelle je me sens vraiment bien. Et elle permet de m'identifier. C'est un nouveau départ, mais c'est toujours moi ! C'est moins radical que se faire un mulet - ce que Charlie m'avait proposé.

Avec la hype autour de Tiger King, c'est peut être le moment ! 

C'est vrai ! Je l'ai déjà fait tu sais (rires). Mais Peaches le porte beaucoup mieux que moi. 

Ce titre montres que tu es une vraie songwriteuse, et pas qu'une poupée pop. Tu souffres de cette image ? 

Beaucoup de gens ne s’attachent qu’à la musique, à la mélodie. Mais c’est pas grave chacun prend ce qu’il a à prendre, mais parfois, je me demande pourquoi je ne suis pas reconnue pour ça. 

Du sexisme ?

Peut-être. C'est vrai qu'à une époque, les filles, on les collait devant un micro avec une chanson et on leur demandait pas trop leur avis. Plein de femmes auteurs ou compositrices ont mis du temps avant d’imposer leur style, leur patte. Et malheureusement je pense que ça existe encore, les mecs qui se permettent de faire des réflexions d'un autre temps. Jean-Louis Murat en a donné un bon exemple en s'en prenant, récemment, à Angèle. Les gars, on est en 2020, il va falloir vous mettre à jour ! 

Ton public est particulièrement queer, et tu as beaucoup joué dans des soirées LGBT+. Pourquoi à ton avis ?

Peut-être parce que j'ai toujours essayé d'être libre et joyeuse dans ma musique. Et que le public queer est libre et joyeux ! A chaque fois qu'on a participé à des soirées queer, comme les Flash Cocottes, j'ai pu vraiment me rendre compte de ces deux aspects. Les gens ne sont pas là pour se regarder, se juger, c'est très bienveillant. J'ai de la chance d'avoir un public positif, fêtard, mais très respectueux.

Tu es fêtarde, toi ? Même en vivant en Bretagne ? 

C'est vrai que j’ai tendance à sortir moins souvent mais plus, quand je sors c’est longtemps et tard ! Je pousse un peu le bouchon, mais je fais pas non plus toutes les semaines ou tous les soirs. L’autre jour j’écoutais de la musique, et j'ai ressenti physiquement le besoin de danser. On se fait chier quand même en confinement, on ne peut pas aller boire un coup, retrouver des amis, danser... 

Pourtant tu as l'air plus rangée, plus calme dans ce titre... 

C'est vrai. Mon disque sera un peu plus mélancolique. Les tempos moins soutenus, même s'il y a des titres plus club. Peut-être que ça allait un petit peu moins bien. On grandit, on vieillit, on est moins optimistes sur l’état du monde, de la planète... L’année 2018 a été marquée par le décès de mon père, et forcément, son départ a changé un peu ma manière de prendre la vie.  Je suis d'ordinaire très joyeuse, je me dis toujours que ça va bien finir. Mais depuis que j’ai perdu mon père, j’ai perdu un petit morceau d’optimisme. Peut être que ça reviendra un jour, mais ça a teinté l’album, c'est sûr. 

Il y a toujours eu quelque chose de naïf, d'enfantin presque dans tes chansons. C'est fini ? T'es devenue adulte ? 

Je me suis vraiment dit le jour où mon père est mort que je devenais adulte. A 37 ans, je n'avais jamais ressenti ça. J'ai vécu ma vie jusqu'à présent avec une forme d’innocence, de légèreté. J’avais l’impression d’avoir toujours 17 ans. Mais je suis grande maintenant, même si j'aurai toujours cette part d’enfant. 

 

 

 

 

Crédit : Marcin Kempski