Dans les communautés de « gens du voyage », déjà cibles de discriminations, les questions LGBT+ demeurent taboues. James*, jeune homosexuel de 29 ans qui a grandi parmi les voyageurs, témoigne pour TÊTU.
Je m'appelle James, et je suis issu d'une communauté des « gens du voyage ». Pour l'histoire, c'est une catégorie administrative qui a été créée en 1969 et qui englobe des personnes selon leur mode de vie, un habitat mobile et traditionnel. Ce sont majoritairement des minorités, qu'elles soient roms, manouches, sintis, gitanes, yéniches. Cette catégorie a été spécialement conçue pour les Tsiganes sans pouvoir les nommer. Sont alors créées des appellations étranges comme « gens du voyage sédentaire ».
Tabou
Chez les « gens du voyage », les personnes LGBT+ sont socialement inexistantes. On n'en fait pas état, ça ne se dit pas, c'est un tabou. Les voyageurs qui s'assument sont très rares. Il y a quelques années, un couple d'hommes voyageait en caravane ; en arrivant sur une aire d'accueil, ils ont été agressés. Les personnes « out » restent très marginales. Celles qui le font finissent par partir ou se font chasser. Cependant, les mentalités évoluent.
À LIRE AUSSI : Selon cette enquête, le racisme serait endémique chez les gays
L'homosexualité, qui était un tabou absolu il y a vingt ans, est de plus en plus acceptée, grâce à la pop culture (cinéma, musique, séries etc.) chez les jeunes générations mais aussi, paradoxalement, grâce au débat sur le mariage pour tous. Les gens se rendent compte que ce n'est pas quelque chose d'anormal et que ça fait partie de la nature humaine. En revanche, être transgenre, c'est presque inconcevable.
"Je sentais qu'on allait vers une forme de mariage obligé. "
J'ai grandi dans une communauté de voyageurs. Nous avons connu les expulsions, les coupures d'eau et de courant en plein hiver, les pratiques discriminatoires des maires, les pétitions de parents d'élèves qui ne voulaient pas de nous. Les « gens du voyage » sont exposés à des traitements discriminatoires. Il y a des expulsions très fréquentes des villes. Quand vous êtes itinérant, vous ne pouvez pas stationner ailleurs que dans les aires d'accueil, qui font l’objet de mises à l’écart des villes et se retrouvent souvent à proximité de déchetteries. Il y a une forme d’isolement, de séparation des « gens du voyage » avec le reste de la société.
Réunions de prières
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été attiré par les hommes. Dans mon adolescence, j'ai eu beaucoup de remarques parce que j'avais des comportements efféminés, je n'aimais pas trop faire du foot avec les autres garçons, j'avais beaucoup de copines filles. Tout le monde s'en doutait plus ou moins. Vers l'âge de 15 ou 16 ans, on m'a fait des remarques insultantes et humiliantes, on me disait qu'il fallait que je m'endurcisse, ça devenait impossible à supporter. Je sentais qu'on allait vers une forme de mariage obligé.
Une partie des « gens du voyage » se regroupent pour des questions religieuses. Depuis les années 1970, il y a eu un glissement du catholicisme vers le protestantisme, notamment évangélique, en raison de l'évangélisation des pasteurs (on estime qu'un tiers des « gens du voyage » sont évangéliques, ndlr).
Chez les « gens du voyage », il y a de grandes conventions évangéliques qui décident de voyages en groupe, de grands « passages évangéliques » avec des chapiteaux et des réunions de prière. Quand on est sur une mission évangélique de trois ou quatre mois, on ne déconnecte jamais, on a des réunions de prière et des témoignages tous les jours, on mange tous ensemble, il y a un esprit de communauté vraiment très fort.
« J'étais convaincu d'être possédé »
Dans les mouvements évangéliques, l'homosexualité est considérée comme satanique. Ça ne viendrait même pas à l'idée d’un jeune de s’affirmer publiquement face à une communauté. On considère que l’homosexualité peut être guérie par le Christ en se baptisant. Mes parents sont de tradition catholique, pas très pratiquants, ils ne m'ont pas baptisé, nous faisions le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer tous les ans par tradition.
Quand j'ai eu 18 ans, je suis allé à l'église de moi-même, j'ai rencontré un pasteur évangélique. J’étais convaincu d’être possédé, ou en tout cas impur. Je me suis persuadé qu’en me baptisant je pourrais guérir. J'ai beaucoup pratiqué la prière. Au fond de moi, je n'avais pas la foi. Je me suis baptisé mais mes désirs n'ont pas changé pour autant.
À LIRE AUSSI : Judaïsme et homosexualité en France, entre « thérapies de conversion » et ouverture
"Chez les « gens du voyage », on attend la personne qui aura le courage de parler, d'affronter son milieu social et d'avoir une parole publique, même anonyme"
Dans ma famille, je suis le premier à avoir décroché mon bac. Je suis parti de chez moi à 18 ans pour faire des études. Quand j'ai dit à ma mère, vers mes 20 ans, que j'étais homosexuel, elle en a fait une dépression, j'ai eu droit à des paroles extrêmement violentes. Pour autant, je n'ai jamais rompu avec mes parents, ce n'est pas dans mon éducation. Mon père, lui, a été très compréhensif. Aujourd'hui, je ne vis plus du tout sur le voyage, même si j'y retourne régulièrement. Je me suis marié avec un homme. Mes parents se sont séparés, mon père vient régulièrement chez moi, il est sédentaire et s'est marié avec une gadji (qui n'est pas tsigane, ndlr).
Une fois, ma mère est venue me rendre visite à l'improviste. Elle a rencontré mon mari, est restée choquée pendant trois heures et est repartie. Ça fait sept ans qu'elle n'est plus revenue. Chez les « gens du voyage », on attend la personne qui aura le courage de parler, d'affronter son milieu social et d'avoir une parole publique, même anonyme. La force du nombre fera aussi l'électrochoc.
*Le prénom a été modifié
Crédit photo : Akiry/Wikimedia Commons