Comme toutes les librairies de France, les librairies LGBT ont fermé leurs portes. Une nouvelle période d'incertitude qui met en danger une activité déjà fragile, malgré le "click & collect" et la solidarité des clients.
Mercredi 28 octobre, Emmanuel Macron annonçait un deuxième confinement et avec lui la fermeture des lieux considérés comme "non essentiels". Parmi eux, les librairies. Immédiatement, de nombreux acteurs de l’industrie du livre ont contesté cette décision, qualifiée d’injuste, et ont pointé du doigt les plateformes comme Amazon, toujours autorisées à vendre des livres en ligne.
La pétition, lancée le 30 octobre par le Syndicat de la librairie française, un collectif de plus de 250 éditeurs, écrivains et libraires, a récolté en moins d’une semaine près de 200.000 signatures. Depuis les annonces présidentielles, les librairies LGBT ont également du fermer leurs portes. Et chez ces libraires presque comme les autres, l'annonce du gouvernement laisse circonspect.
Des libraires mitigés
"Ce n’est pas absurde, mais le problème c’est qu’il y a deux poids deux mesures, explique Ayla, l’une des deux cogérantes de la librairie La nuit des temps à Rennes. Les services de réanimations sont pleins or nous brassons beaucoup de monde ici, donc c’est logique de fermer. Mais certains commerces non essentiels restent ouverts, et il est toujours possible d’acheter ses livres sur Amazon."
"Je suis très partagée sur cette décision", confie quant à elle Géraldine. La libraire des Bien-aimés, à Nantes, comprend la nécessité de redoubler d’attention face à une crise plus forte que la précédente, mais elle l’affirme : "si le syndicat arrive à négocier la réouverture, on saisira l’opportunité. Mais on ne sera pas à l’aise vis-à-vis des autres commerces indépendants."
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Le Click & Collect, travail à perte
Comme dans les autres boutiques de livre, si le rideau est baissé, les employés sont pourtant là. Ils assurent notamment la préparation des commandes effectuées via le "Click and Collect", un système d’achat en ligne et de retrait en magasin. À Nantes, Géraldine tente de positiver : "Quand je pense aux cinémas, je me dis qu’on n’est pas les plus à plaindre, dit-elle. On a au moins ce filet de sécurité." Mardi, à 17h, la libraire avait déjà géré 150 mails de commandes.
Mais les commerçants sont unanimes, le Click and Collect ne compensera pas la fermeture. "Ça va à peine sauver les meubles, affirme Eva depuis la célèbre librairie parisienne "Les mots à la bouche". On est obligés de venir travailler pour assurer la réception des livraisons et la préparation des commandes, donc on ne bénéficiera pas des aides liées au chômage technique que nous avions reçues lors du premier confinement. Sauf qu’on ne vend pas puisqu’on est fermés, donc on travaille à perte."
En trois jours, la librairie a recensé une vingtaine de commandes via le Click and Collect, soit trois fois moins d’achats que d’habitude.
Méconnaissance du terrain
Les librairies LGBT ont une difficulté supplémentaire par rapport aux librairies classiques. C’est en tout cas ce qu’affirme Christine, libraire chez Violette and Co, à Paris. "Notre clientèle vient de partout, pas seulement du quartier, explique-t-elle. Certains ne pourront plus venir, car ils n’habitent pas tous dans la limite du kilomètre autorisé par l’attestation de déplacement." Une inquiétude à tempérer, puisque l'attestation autorise les déplacements à plus d'un kilomètre de chez soi, si c'est pour faire des courses.
Pour Christine, dire que le Click and Collect est l’avenir des librairies, "c’est méconnaître le terrain". "Le gouvernement nous pousse à passer au numérique mais ignore que le métier de libraire c’est aussi le contact, le conseil, pas que l’envoi de paquet par la poste. Ça c’est un métier de manutentionnaire, c’est le métier d’Amazon."
La menace Amazon
La concurrence générée par Amazon est un motif d’inquiétude important pour tous les libraires interrogés ici, et les mesures prises face au Covid-19 exacerbe la crispation. Lors du premier confinement, Amazon avait cessé la vente de "produits non essentiels", apaisant ainsi les libraires.
Si cette mesure n’a pas encore été renouvelée, Ayla de La nuit des temps, l'attend de pied ferme. "Avec la fermeture des lieux non essentiels, les clients vont être tentés de tout acheter sur internet, y compris leurs livres", s’inquiète-t-elle. Une concurrence digne de David contre Goliath, selon Eva, la libraire des Mots à la bouche, qui compte sur la fidélité de ses clients. "On va en perdre c’est évident, car on ne peut pas promettre le même service qu’Amazon, dit-elle. Mais certains continuent de venir chez nous, non seulement pour notre sélection de livres, mais aussi par soutien."
Soutien des habitués
Messages de soutien, affluence des commandes, la fidélité des clients des librairies LGBT s’est exprimée dés l’annonce de ce deuxième confinement. La journée du 29 octobre, veille de la fermeture, a été "une journée folle", raconte Ayla. "On a vendu dix fois plus que d’habitude. Un vrai déferlement de soutien."
Certains clients de la librairie Les bien-aimés ont même proposé de faire de la livraison à vélo gratuitement ou des paquets cadeaux pour aider les employés. "80 à 90% de nos clients sont des habitués, c’est pour ça qu’on risque moins d’en perdre beaucoup", explique Géraldine, sa libraire. Elle se souvient que le premier confinement avait été suivi d’une "euphorie de fréquentation". "Le panier moyen avait explosé, raconte-t-elle. Une façon pour les clients de nous dire qu’ils voulaient que la librairie tiennent, car ils savent que nous sommes fragiles".
Mais Eva, la libraire des Mots à la bouche tempère : "le soutien a été très fort le week-end qui a suivi l’annonce de la fermeture, mais on ne sait pas comment ce sera dans la durée. On voudrait faire une bonne communication en ligne pour garder le lien, mais cela prend du temps, or il passe entièrement dans le fait d‘honorer les commandes des clients."
Un manque pour la communauté LGBT
Parce qu’elles ne sont pas simplement des boutiques qui vendent des livres, mais aussi des lieux de rencontre, d’échange et de partage, la fermeture des librairies LGBT contribue à l’isolement de certains membres de la communauté. "Il y a une part de social dans notre métier de libraire LGBT, explique Eva. Quand certains clients appellent, on sait que c’est parce qu’on sera la seule personne à qui ils auront parlé de la journée. On va leur manquer."
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Pour Géraldine, la librairie Les bien-aimés est même "un refuge, un repaire où les clients LGBT se sentent écoutés". Mais à entendre ces libraires, le manque est partagé. Christine de Violette and Co, confie à demi-mot : "je n’irais pas jusqu’à dire que je ressens de la tristesse… mais pas loin".
Pour les retrouver et les soutenir :
Les mots à la bouche, 37 rue Saint-Ambroise, Paris 11e
Violette and Co, 102 rue de Charonne, Paris 11e
Les bien-aimés, 2 Rue de la paix, Nantes
La nuit des temps, 10 quai Emile Zola, Rennes
Cet article a été réalisé par un.e étudiant.e en journalisme, en partenariat avec le Centre de Formation Professionnelle des journalistes.