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chemsex#MeTooGay : pourquoi c'est ENFIN le moment d'avoir une conversation sur le consentement

Par Anthony Vincent le 24/01/2021
#Metoogay

Plus de trois ans après #MeToo, de nombreuses victimes de violences et d'agressions sexuelles de la communauté gay ont brisé le tabou sur les réseaux sociaux grâce au hashtag #MeTooGay. Un réveil tardif mais salutaire.

Comme une traînée de poudre. Jeudi 21 janvier, après le témoignage d’un jeune homme tweetant avoir été violé par un élu PCF de la Mairie de Paris et son compagnon, plusieurs twittos ont raconté leurs propres expériences de viols et d’agressions sexuelles avec le mot-clé #MeTooGay.

Parmi eux, Jérémie, 27 ans, qui nous explique y avoir vu l’opportunité d’un changement structurel : “En voyant les témoignages affluer, j’ai trouvé cela bouleversant et utile, alors je l’ai fait à mon tour. Non parce que j’en ressentais le besoin personnel, mais pour soutenir et encourager ce mouvement naissant. Pour que d’autres victimes se reconnaissent dans mes mots et se sentent moins seules. Pour contribuer à créer un appel collectif de remise en question de notre communauté.”

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Crainte de réveiller l'homophobie 

“Je redoutais de parler de peur de jeter l’opprobre sur notre communauté qui galère déjà bien par ailleurs, à cause de l’homophobie qui la stigmatise et contribue à l’hypersexualiser”, redoutait le jeune homme qui travaille dans les politiques publiques. “Parler de violences sexuelles, c’était s’exposer à ce que cela soit récupéré et instrumentalisé contre nous, pour recriminiliser ou repathologiser l’homosexualité. C’est comme si les précédents #MeToo nous avait aidés à maturer ces questions et les risques spécifiques qu’elles comprennent pour notre communauté.”

Ce délai de réflexion explique peut-être en partie pourquoi le mouvement n’avait pas pris autour du hashtag #GayToo qui essaimait au moment de l’affaire Kevin Spacey en octobre 2017, ni en juin 2018, date de la première occurrence du hashtag #MeTooGay.

En s'interrogeant sur les raisons de ce silence dans un article, “À la recherche du #MeToo Gay” publié par Vice en septembre 2020, Matthieu Foucher a contribué à cette impulsion retardée : “L’article avait été extrêmement relayé dans la communauté mais n’avait pas été suivi par une telle vague de témoignages. Il rassemblait des clés de compréhension et de réflexion, notamment à propos de la surreprésentation des gays parmi les victimes de violences sexuelles dans l’enfance.” Il cite l’enquête Virage, menée par l’Institut National d'Études Démographiques (INED), qui chiffre que 6% des gays et 5,4% des bis déclarent en avoir subies, contre 0,5% des hommes hétérosexuels, et 2,5% des femmes hétérosexuelles.

Une "étincelle nécessaire" 

Le journaliste indépendant souligne que les violences sexuelles tiennent de violences patriarcales qui traversent également notre communauté : “Sauf qu’à la différence des #MeToo précédents, le groupe social des hommes gays occupe une position ambivalente, avec un pied dans le patriarcat, l’autre en dehors. Maintenant qu’on a commencé à le comprendre, les témoignages récents ont créé l’étincelle nécessaire pour que #MeTooGay explose aujourd’hui.” 

Comme un passage de relais des féministes en 2017, des victimes d’inceste hier avec l’affaire Duhamel, et des gays aujourd’hui, les voix s’unissent donc contre les violences patriarcales. Dans un ordre qui éclaire d’ailleurs son fonctionnement, poursuit le sociologue : “Les rares témoignages d’hommes victimes de violences sexuelles à l’émergence du #MeToo initial étaient dilués, inaudibles, au milieu de ceux massifs des femmes. Parce qu’une grande part de la société considérait encore le consentement comme une affaire hétérosexuelle enjoignant à un homme de respecter le oui ou non d’une femme. Puis #MeTooInceste a permis de mieux voir combien les hommes peuvent également être victimes de ces violences qui sont commises dans 96% des cas par des hommes, d’après l’INED. Aujourd’hui, #MeTooGay montre bien qu’elles peuvent advenir même au-delà de l’enfance.”

 

Des témoignages qui font mentir les clichés

Et que les hommes, y compris gays, ne sont pas constamment consentants par défaut : “L’idée d’un désir masculin irrépressible est un mythe patriarcal. Il sert notamment à légitimer le viol dans l’hétérosexualité. Mais complique la question du non-consentement chez les gays. D’autant que l’homophobie contribue à les stigmatiser comme des obsédés sexuels. En réalité, ce ne sont pas dans les backrooms ou les lieux de cruising en extérieur qu’il y a le plus de violences sexuelles. Les lieux de sexualité collective gay ne sont pas plus dangereux que le lit conjugal ou le foyer hétérosexuel, comme le prouvent la plupart des témoignages de #MeTooGay”, ajoute le sociologue.

Parmi les agressions et viols rapportés avec le hashtag, peu parlent d’inconnus dans des lieux de cruising sombres ou des soirées chemsex ; l’écrasante majorité parle de personnes connues par la victime, parfois droguée à son insu, ou de rencontres par appli dans des lieux privés qui ont viré en abus.

Manque d'éducation sexuelle

S’il a fallu #MeToo puis #MeTooIncesete pour que beaucoup d’hommes comprennent eux-mêmes que ce qu’ils ont subi tient de violences sexuelles, mais aussi que la société soit prête à les écouter comme telles, cela éclaire aussi les manques en matière d’éducation sexuelle, selon Jean-Baptiste, linguiste de 27 ans, qui a également témoigné sur #MeTooGay.

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Ce militant dans plusieurs associations sur les questions de sexualité remarque ainsi : “D’après le Ministère de l'Éducation nationale, au moins trois séances annuelles doivent y être allouées. Mais qui en a connu autant, dans les faits ? L'éducation sexuelle à l'école s’avère baclée, centrée sur la reproduction et la prévention des IST, les sexualités minoritaires sont rarement abordées pour parler d’autres choses que du VIH. Les associations LGBTI+ sont surtout subventionnées pour parler IST et LGBTIphobies venant de l'extérieur, mais rarement sur les violences pouvant être intracommunautaires. Les hommes dont les gays ne comprennent pas toujours ce qu’est le consentement éclairé : ce n’est pas que dire oui, mais aussi pouvoir dire non, ainsi qu’avoir l’espace psychologique, physique et social de le faire !”


"La zone grise se rétrécit" 

Pour de nombreux gays, la découverte de la sexualité se fait sur le tas, isolé, par internet souvent, avec des inconnus plus âgés parfois, et généralement en cachette, a observé le sociologue Damien Trawalé : “Sans dire que les asymétries d’âge ou de statut social seraient nécessairement génératrices de violence, cette configuration produite par un environnement homophobe complique la compréhension d’éventuels abus et leur dénonciation. Dans un contexte social où l’homosexualité doit être discrète si ce n’est cachée, difficile d’en parler, de les visibiliser et d’obtenir justice et réparation.

#MeTooGay semble également cristalliser une différence générationnelle, selon l’autre sociologue, Sébastien Chauvin : “La culture gay des hommes plus âgés s’est en partie construite autour du droit à la sexualité, en la présentant comme une forme de résistance, face à l’homophobie et au Sida. Maintenant que le risque du VIH est relativement mis sous contrôle, et que l’homosexualité s’avère moins stigmatisée, la jeune génération éduquée à la PrEP et au TasP (traitement comme prévention) peut mieux prendre en compte d’autres problématiques de risques, comme les violences sexuelles. La zone grise se rétrécit.” Quelques témoignages #MeTooGay à propos de stealthing (retrait du préservatif sans l’accord du partenaire pendant un rapport sexuel) montrent bien que le VIH et les IST restent une menace bien présente.

Une opportunité pour transformer la culture gay ?

En plus d’améliorer l’éducation sexuelle de la part de l’école publique et de mieux subventionner les associations communautaires qui tentent d’en compenser les lacunes, Jérémie espère que #MeTooGay amène à de meilleures formations de l’accueil des personnes LGBTI+ par les hôpitaux, la police, et la justice : “Je n’ai même pas envisager de porter plainte, car je me suis senti jugé par le personnel soignant quand je suis allé aux urgences demander un traitement post-exposition. Je n’ose même pas imaginer ce que cela aurait été face à la police, souvent mal formée. Quant à la justice, même après des années de procédure, cela aboutit rarement sur des condamnations et je doute que cela m’aurait aidé, encore moins mon agresseur.”

En dehors d’un face à face avec la justice pénale, #MeTooGay pourrait même être une interpellation de la communauté à elle-même pour se responsabiliser, selon Jean-Baptiste : “#MeTooGay ne cherche pas à moraliser nos sexualités, mais à les vivre de manière éclairée et sans honte. Mettre de l’affect, de l’émotion, de l’attention, se montrer responsable au lit et en tant que communauté, c’est du bon sens !”

À Matthieu Foucher de conclure : “On peut également changer, enrichir nos représentations. Face à des violences qu’on a refoulées, se reconnaître dans d’autres récits aide à les admettre à soi-même. Le personnage de Kwame dans la géniale série “I May Destroy You” a pu contribuer à la pédagogie nécessaire autour des violences sexuelles, par exemple. Ce mouvement représente une opportunité vitale de transformer la culture gay et de redéfinir les rapports qu'on veut avoir entre nous en tant que membres d'une même communauté. En s’inscrivant dans la continuité de #MeToo, #MeTooGay représente également une occasion de créer des ponts, des complicités, entre gays et féministes.

 

Association de  psychologues, psychothérapeutes, psychanalystes, psychiatres et psychopraticien·ne·s sensibilisé·e·s aux questions LGBTI+ : http://www.psygay.com/ 

 

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