témoignages#MeTooGay : "Ce qui me hante, c'est de me dire qu'il y a peut-être un témoignage qui parle de moi"

Par têtu· le 04/02/2021
#metoogay

Une chronique de l'émission de Radio Campus Paris Le Lobby est revenue sur le #MeTooGay. Et s'interroge : les victimes, ici, peuvent-elles aussi être les bourreaux ?

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Comme chaque premier mardi du mois à 20H, Radio Campus Paris hébergeait Le Lobby, émission qui rend un peu plus queer les ondes radiophoniques françaises. Dans l'introduction de l'émission du 02 février dernier, Victor, l'un des chroniqueur.se.s de l'émission est revenu sur le phénomène du #MeTooGay.

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Le 22 janvier dernier, le témoignage d'un internaute - accusant un élu parisien et son conjoint de viol - a provoqué une libération de la parole inédite sur les réseaux sociaux. Des centaines de gays ont raconté les violences et agressions sexuelles qu'ils ont subies pendant l'enfance ou à l'âge adulte, dans les clubs gays mais aussi dans le contexte plus intime de la chambre à coucher conjugale.

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Cette libération de la parole s'est accompagnée, pour beaucoup, d'un examen de conscience dont les réseaux sociaux se sont peut-être moins fait l'écho. C'est de cette introspection dont parle le chroniqueur dans ce texte, que nous publions dans son intégralité ci-après.

"Croire les victimes"

"Comme des milliers de gays, j’ai pris la parole il y a 10 jours pour raconter pour la première fois publiquement les agressions sexuelles que j’avais subies à 19 et 24 ans. J’ai eu de la chance dans la manière que j’ai eu de les vivre, j’ai eu de la chance qu’elles ne laissent pas une trace trop profonde. Elles m’ont laissé un goût amer et désagréable, un malaise, qui a duré quelques semaines, mais je me suis construit en dehors d’elles et aussi par elles. Tout comme mon homosexualité a très certainement été un pilier dans ma construction politique et ma vision du monde et des inégalités, mon expérience du viol a participé de ma compréhension de ce que vivaient les autres, mes copines au premier plan. C’est ce qui m’a amené à partir du principe, parfois difficile, de croire, toujours, les victimes.
Le viol n’a pas été nécessaire à la constitution de ce que je suis. Mais il fait intimement partie de moi, d’un moi que j’ai appris à aimer. Je ne sais pas si j’aimerais réécrire l’histoire, mais je sais que je m’aime malgré ça. Aujourd’hui j’ai des souvenirs très précis des agressions. je sens ma propre odeur de bête traquée, je sens le contact du sexe flasque posé sur mon avant-bras, je sens la porte contre mon dos, mais ce ne sont pas ces souvenirs là qui me hantent.

"Il n'y a plus de camp"

Ce qui me hante c’est de me dire que dans les milliers de témoignages de garçons qui émergent, il y en a peut-être un qui parle de moi. Parce qu’il est impossible que parmi tant de victimes, il n’y ait pas aussi des bourreaux. Nous n’avons pas collectivement été abusés par un nombre limité d’agresseurs. C’est en ça peut-être que le #MeTooGay nous interroge plus intimement que le premier #MeToo. Les violences, les tabous et leur persistance ont la même origine, mais les bourreaux et les victimes se confondent ici dans le même vivier, il n’y a plus de camp.
Je ne suis pas certain que mes agresseurs aient eu conscience de ce qu’ils avaient fait ce jour-là. Comment pourrais-je donc être certain de n’avoir jamais été dans leur situation ? Suis-je moi-même parti un dimanche matin tout guilleret de chez un garçon qui aurait ensuite pleuré tout l’après-midi après avoir fermé la porte derrière moi ? Ai-je négligé un non que je voulais entendre comme un oui ? Ai-je moi aussi insisté sur le long trajet que je venais de faire pour convaincre un garçon qui n’avait finalement plus envie à mon arrivée ?

"Suis-je aussi un monstre ?"

Sincèrement, je ne crois pas, je suis même presque sûr que ce n’est pas arrivé. Mais c’est ce « presque » qui me révulse, cette idée que je me suis moi construit par-delà l’agression, mais que peut-être, quelque part, un garçon ne se serait toujours pas remis de ce que je lui aurais fait. La perspective d’avoir pu faire souffrir me terrorise bien sûr, mais ce qui me tient parfois éveillé est bien plus égoïste. Une question lancinante : serais-je donc moi aussi un monstre ?
Nous avons grandi sans représentation, sans code, sans mode d’emploi. Nous avons pour beaucoup débarqué dans la « jungle de la choppe » comme dirait Eddy de Pretto, sans rien connaître du sexe, de la sensualité, du consentement, de la domination. Nous avons été initiés par des gens aussi paumés que nous, parfois eux-mêmes violentés. Il ne s’agit ici pas de mettre victime et bourreau sur un pied d’égalité, ni de faire du relativisme. Encore moins d’essentialiser en disant que toutes les victimes seront bourreaux et que tous les bourreaux furent victimes.

"On a tous un rôle à jouer"

Je n’ai pas de remède miracle à proposer pour répondre à la question "Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ?". Ce que j’essaie de dire, c’est que nous avons tous un rôle à jouer. Interrogeons nos actions. Partageons nos expériences du couple, du consentement, du sexe en général. Relevons ce que l’on trouve craignos dans les comportements de nos amis, de nos amants. Demandons à ce jeune garçon qui nous envoie des nudes crus sur Grindr en nous disant qu’il veut se faire déchirer si c’est ce qu’il veut réellement ou si c’est ce qu’il pense que l’on attend de lui. Expliquons à ce mec qui nous met une main au cul dans un bar alors qu’on n’a même pas croisé son regard que ça ne se fait pas, même si - et surtout si - nous on s’en fout. Ne payons pas de verres à des garçons bourrés qui n’ont rien demandé, car si ce n’est pas nous, c’est peut-être l’un des nôtres qui les agressera.
Assurément rien ne changera totalement tant que la table du patriarcat n’aura pas été renversée, mais je suis convaincu que l’on peut quand même, chacun à son échelle, faire bouger quelques lignes à l’intérieur de notre communauté."
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