Avec son nouveau long-métrage Moffie, le réalisateur sud-africain Oliver Hermanus passe au crible l'histoire militaire de son pays. Et décortique, en même temps, le lien étroit (et pernicieux) entre l'homosexualité et l'idée de masculinité toxique.
S'il y a bien un film LGBTQI+ sur lequel il serait dommage de faire l'impasse cet été, c'est bien Moffie. En salles dès ce mercredi 7 juillet, ce nouveau long-métrage d'Oliver Hermanus (Beauty) s'apparente à une incursion dans l'Afrique du Sud des années 80, à travers l'expérience d'un adolescent prénommé Nicholas. Incarné avec beaucoup de justesse et de nuance par Kai Luke Brümmer, "Nick" entame son service militaire, alors obligatoire durant cette période d'apartheid, aux côtés d'autres jeunes hommes blancs. Des années formatrices mais délicates pour notre héros alors qu'il découvre son homosexualité…
Un contre-pied audacieux
Pour Oliver Hermanus, concevoir Moffie relevait presque de l'évidence. "En tant que réalisateur sud-africain, tu arrives forcément au point où tu as l'opportunité de faire ton film se déroulant durant l'apartheid, nous explique-t-il. Parce que c'est un si grand pan de notre histoire. Mais ce n'était pas le film que j'aurais pensé faire car il se place du côté des hommes blancs". En effet, se situer du côté de l'oppresseur est un pari risqué. Qui, heureusement, porte vite ses fruits. Car si le racisme systémique de cette période est présent, en filigrane, dans Moffie, le cœur du sujet est tout autre : il s'agit ici des dérives de la masculinité.
Une fois débarqué à la réserve où il passera le plus clair de son service militaire, Nicholas perd pied. Ses supérieurs hiérarchiques font preuve d'une froideur alarmante, ses jeunes camarades s'enlisent dans des rapports de force autant physique que psychologique. Comme une course à celui qui craquera le dernier.
Selon son réalisateur, le titre du film résume tout son propos. En afrikaans – la langue germanique parlée dans une poignée de pays africains dont l'Afrique du Sud –, "moffie" est un terme très dépréciatif et homophobe, un peu comme "pédé" par chez nous. "Pour les hommes gays, ce mot fait énormément de mal parce qu'il a pour but de leur faire ressentir de la honte par rapport à leur sexualité, détaille Oliver Hermanus. Mais son utilisation fait que les hommes hétérosexuels peuvent aussi être victimes de ce mot car il équivaut à une unité de mesure de leur masculinité". Et c'est précisément ce qu'ausculte le film.
Aux origines de la masculinité
"J'ai toujours considéré le film comme un portrait de cette masculinité toxique, souligne le réalisateur. Et j'avais conscience que c'était un récit où l'on allait voir petit à petit l'impact de celle-ci sur ces personnages. Certains se font tuer, d'autres deviennent paranoïaques et perdent leurs repères. Au final, c'est toute une génération d'hommes qui ont été réduits à une forme particulière de masculinité". Afin d'appréhender au mieux la trajectoire de ces hommes sacrifiés, Oliver Hermanus s'est ainsi rendu sur le réseau social que la génération Z semble peu à peu déserter : Facebook. Une véritable mine d'or en termes d'informations.
"Quand le service militaire se terminait, la plupart des hommes ne voulaient plus jamais en parler, assure-t-il. On ne savait jamais les détails. Facebook nous a alors beaucoup aidés car de nombreux hommes ont créé des groupes afin de pouvoir se retrouver et échanger. On a pu épier ces conversations publiques et c'est là qu'on a appris énormément de choses". Comme certains rites de passage, inclus dans le film. De son côté, le réalisateur a également demandé à ses comédiens, tous à l'aube de la vingtaine, d'échanger avec leurs pères concernant leur propre service militaire de l'époque. "Le papa de chaque personne blanche en Afrique du Sud y a forcément participé", précise-t-il. Une étape à laquelle on n'échappait pas.
Premier amour
Quant à lui, Nick, le protagoniste troublé du film, n'échappe pas à son attirance pour les hommes. Malgré ses efforts, il ne peut réfréner son béguin grandissant pour Dylan, un de ses compagnons de chambrée. Car si Moffie peut être décrit comme un récit d'apprentissage qui tacle la masculinité toxique, c'est aussi l'histoire de premiers émois amoureux. Les hésitations, les regards, les pensées intrusives. Pour éviter de gâcher le déroulement de cette intrigue, nous ne rentrerons pas dans les détails. Mais les amateurs de fin ouverte devraient, en tout cas, être aux anges. Fun fact : la scène finale, superbe, utilise comme musique de fond un morceau intitulé "The Unanswered Question" – autrement dit, "la question sans réponse". Une façon astucieuse (et un tantinet frustrante) pour Oliver Hermanus de clore son film.
Le réalisateur de Moffie espère que son propos aura une résonance avec notre société contemporaine. À l'heure de la déconstruction des normes de genre, revisiter le passé pour mieux façonner le présent est une nécessité. "Il faut se demander comment on fabrique les hommes et ceci est un exemple de comment les hommes ont été fabriqués durant la moitié du siècle dernier en Afrique du Sud, estime-t-il. Donc pour comprendre le fonctionnement du monde d'aujourd'hui, il faut se pencher sur ce genre d'histoires".
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Crédit photo : Outplay