Burn out militant, problèmes d'inclusion, manque de moyens, absence de formation : les récentes révélations sur Le Refuge et Aides nous éclairent sur les problèmes structurels que rencontrent les associations communautaires.
Le monde associatif a-t-il un problème de management ? Depuis le début de l’année, deux rapports commandés à des cabinets d’audit extérieurs ont tour à tour étrillé deux des plus grosses associations LGBTQ+ françaises : Aides et Le Refuge. Dans ces deux structures – qui font également l’objet d’accusations de harcèlement moral ou sexuel –, bénévoles et salariés tirent la sonnette d’alarme : il y a trop de travail et trop peu de ressources.
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Même dans des assos plus modestes, les bénévoles sont au bout du rouleau. Lorsqu’il a posé ses valises à Paris, Eddy*, 33 ans, s’est engagé dans une association parisienne de lutte contre le VIH. “C’était une toute petite structure avec peu de salariés, raconte-t-il. Les premières semaines ont été idylliques. Mais, très vite, j’ai commencé à ressentir une pression très importante.” En effet, les réseaux sociaux, les campagnes de communication, la relation avec les adhérents sont à la charge des militants. “Je travaillais non-stop, et l’on me faisait bien sentir que ce n’était pas suffisant”, note Eddy. Les réunions deviennent houleuses, et les noms d’oiseaux fusent. “J’y allais avec la boule au ventre, en me disant que le problème venait de moi”, se souvient-il. Dans cette association où le turnover est important, les militants ont le sentiment de ne jamais réussir à couper. “Le milieu gay parisien n’est pas très grand, continue Eddy. Il n’était pas rare que je croise en soirée la personne qui m’encadrait, ce qui pouvait me valoir de grandes embrassades sur le moment et des remarques acerbes le lendemain.” Après plusieurs mois, il craque et quitte l’asso avec le sentiment de ne pas avoir été un “bon militant”. Ces sentiments, beaucoup les taisent et, pour ne pas nuire à la cause qu’ils défendent, gardent le silence sur les dysfonctionnements qu’ils constatent et subissent. Certains redoutent même de parler, par peur des représailles.
Au Refuge, il a fallu une enquête de Mediapart pour que cette culture du silence explose. Yohann Allemand, ancien correspondant-relais de la fondation dans la Vienne – en septembre 2020, il a démissionné et lancé l’Association de défense des ancien·nes du Refuge (Adar) – avait tenté de faire remonter à la direction des cas de LGBTphobies : “Les dirigeants du Refuge ont préféré s’attaquer à mon équipe et à moi plutôt que de régler les problèmes.” Peu après la sortie le 18 février de l’audit réalisé après l’enquête de Mediapart, lequel pointait du doigt les méthodes de management “défaillantes” des président et directeur général de l’époque, Nicolas Noguier et Frédéric Gal, ces derniers ont quitté leurs fonctions ; un comité de suivi des engagements a ensuite été nommé afin d’accompagner le Refuge dans les réformes à venir. En tout, quelque 1.400 personnes ont été auditionnées par le cabinet Boston Consulting Group (BCG). Les auteurs du rapport parlent de “dysfonctionnements structurels imposant une réaction forte et urgente” et dénoncent, entre autres, le manque d’encadrement et de formation des bénévoles qui doivent prendre en charge de jeunes majeurs. “La Fondation n’a pas su professionnaliser sa gestion, formaliser son fonctionnement, ni mettre en place une gouvernance équilibrée”, ajoutent-ils.
Charge de travail
La charge de travail provoque parfois des départs, notamment après l’organisation de gros événements, comme une Pride. Marcus*, 55 ans, a eu la sensation d’être abandonné à une tâche que personne ne voulait faire : “Ce n’était jamais assez bien, et quand je demandais de l’aide pour l’organisation de la Pride, je n’obtenais aucune réponse. Je me suis littéralement épuisé à tout gérer pour finalement n’avoir aucune reconnaissance.” “J’avais l’impression d’avoir tout donné pour la Pride, mais d’être la seule à l’avoir fait. Tout le monde se reposait sur moi, note de son côté Marie, qui milite en Bretagne. On m’a très vite demandé de gérer des équipes, ce que je ne savais pas faire. Je n’ai reçu aucun encadrement, aucune formation. Les tensions internes ont été très fortes.”
Dans le monde de l’entreprise, le burn out, ce syndrome d’épuisement, cette sensation de ne plus arriver à gérer, d’être dépassé au quotidien par la charge de travail, est documenté depuis longtemps. Côté associatif, le phénomène est désigné depuis 2019 comme “burn out militant”, après que des militantes féministes – Anaïs Bourdet, de Paye ta Shnek, et l’association Féministes contre le cyberharcèlement – ont annoncé mettre un terme à leur activité pour cause d’épuisement. Elles dénonçaient le manque de réponses des pouvoirs publics, une charge mentale toujours plus importante et la sensation de ne pas parvenir à faire bouger les choses.
"J’avais l’impression de ne pas être entendu, de ne plus y avoir ma place"
Loky, 28 ans, a tenu six mois avant de quitter l’association organisatrice d’événements culturels et festifs pour les LGBTQ+ qu’elle avait rejointe à la fin de ses études, dans une ville alsacienne. “C’était l’occasion d’être utile tout en faisant des rencontres dans le milieu LGBTQ+”, confie-t-elle. Mais, très vite, elle déchante et découvre une structure où l’absence de bienveillance est criante. “Par exemple, le bureau avait mis en place un système d’écoute pour nous permettre de parler des difficultés que l’on rencontrait. Seulement on s’est rendu compte que rien n’était confidentiel, et que nos doutes servaient à alimenter les bruits de couloir, raconte-t-elle. On s’est battus en interne pour que la parole des membres soit écoutée et non dévalorisée, mais nous nous sommes confrontés à un mur.” Peu après, trois des cinq militants de l’association la quittent.
À Aides, des militants partent avec l’impression de ne plus trouver leur place. “À la base, l’association s’est créée dans une situation d’urgence, explique Aurélien Beaucamps, son président. Aujourd’hui, on cherche à prévenir le VIH, à lutter contre la sérophobie, mais aussi à organiser des groupes de parole pour les personnes vivant avec le VIH.” Il cite alors des partenariats avec des associations, comme Les Petits Bonheurs, évoque l’existence de cercles d’écoute et témoigne de sa volonté de prendre en compte les souffrances. “Tout tournait autour de la prévention. Comme séropo, je ne me retrouvais plus dedans, j’avais l’impression de ne pas être entendu, de ne plus y avoir ma place”, se désole Vincent*. “Quand j’ai découvert que j’étais séropo, je n’étais pas bien. Je me suis tourné vers Aides, j’ai reçu toutes les informations nécessaires côté santé, mais c’est tout, ajoute Faraz*. J’avais la sensation que m’accompagner n’était pas leur priorité.” D’autres militants taisent leur séropositivité au sein de l’association pour éviter les stigmates. “Bien souvent, les militants ne nous parlent pas de leur statut sérologique, et c’est leur droit. Mais, dans ce cas, il paraît compliqué d’agir”, note Aurélien Beaucamps.
Épuisement
Guillaumette, 18 ans, a quitté une association parce qu’elle avait la sensation de prendre trop de place. “Je suis pansexuelle et en situation de handicap, note-t-elle. Je n’ai aucun endroit safe.” Elle n’est pas out dans sa famille, à la fac n’ont plus, et, au sein des associations LGBTQ+ qu’elle a fréquentées, son handicap a toujours été un problème. “J’avais l’impression de devoir forcer pour me faire une place, de ne pas être légitime pour porter un combat, et d’être toujours celle qui demandait de l’aide parce que rien n’était adapté pour moi, raconte-t-elle. Et l’on me faisait bien sentir que je dérangeais.” Après plusieurs mois au sein du Mag jeunes LGBT+, elle quitte la structure et se dit “dégoûtée” du milieu associatif : “Je vais militer dans mon cercle proche plutôt qu’en association, parce que devoir prouver chaque jour qu’on existe et qu’on est légitime à militer dans telle ou telle asso, c’est trop violent.” Contacté, le Mag jeunes LGBT+ n’a pas répondu à nos demandes.
"Le militantisme repose toujours sur quelques personnes qui vont tout donner, puis vont décrocher s’il n’y a pas de prise en charge.”
Le manque de ressources des petites associations et l’absence de formation ou d’encadrement sont autant de facteurs qui ne permettent pas de faire remonter les dysfonctionnements en interne et peuvent conduire à des situations de burn out. À cela s’ajoutent des situations personnelles parfois traumatiques. “Pour beaucoup, l’engagement dans une association commence après une souffrance ou une injustice vécue, souligne Catherine Tripon, porte-parole de L’Autre Cercle. De fait, sans encadrement ni formation, il est souvent compliqué d’arriver à faire la part des choses entre sa volonté d’agir, ses moyens et sa disponibilité émotionnelle. Le militantisme repose toujours sur quelques personnes qui vont tout donner, puis vont décrocher s’il n’y a pas de prise en charge.”
Face à ces situations, certaines structures mettent en place des formations, des groupes de soutien ou encore des référents pour permettre une écoute active et arriver à s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. “À Aides, on a un système de carte verte, ajoute Aurélien Beaucamps. C’est une pause de six mois durant laquelle le volontaire va se mettre en retrait et, s’il le souhaite, être accompagné.” Pour l’ancien président de SOS homophobie Joël Deumier, cette prise de conscience des associations est salvatrice : “La charge que l’on demande aux militants est lourde. Ils la remplissent sur leur temps libre, bénévolement, et, bien souvent, en plus d’un travail à côté. Pour maintenir la flamme et éviter les burn out, il est plus que nécessaire que l’on prenne soin d’eux.”
*Les prénoms ont été modifiés
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Crédit photo : Yannis Papanastasopoulos/Unsplash