Le choix, aux côtés de Ncuti Gatwa et Patricia Allison, d'afficher aussi l'alliée Marina Foïs en couverture de TÊTU ne fait pas l'unanimité. Plaire à tous est impossible, mais vous expliquer notre démarche, c'est possible.
Non, la team premier degré, nous n’avons pas donné à Marina Foïs les clefs de notre précieux royaume. Déjà parce qu’il n’existe pas, pour rappel, mais surtout parce que d’autres s’en étaient déjà chargé avant. En 2019, le compte "Lesbien Raisonnable", dont on adore l'humour, sacrait la présentatrice des César 2020 "reine du Gouinistan". "Pourquoi tout le Gouinistan crushe-t-il sur Marina Foïs ? Je veux dire, outre le fait qu’elle soit trop belle et trop drôle et une super alliée ?", avait alors tweeté Lauriane Nicol, la journaliste derrière le compte. Elle avait tout dit : Marina Foïs, comédienne qui n'oublie jamais d'être politique et s'est toujours engagée sur les questions LGBTQI+, est à la fois un fantasme lesbien et une "fille à pédé", bref, comme Mylène Farmer ou Lady Gaga, une alliée éternelle.
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Une Queer Palm pour un rôle lesbien
Comme TÊTU avant elle, Lesbien Raisonnable avait été critiquée pour cette position. "Je suis tout à fait d’accord pour dire que ce n’est pas la plus légitime. Une autre reine arrivera peut-être un jour – mais ça, il ne faut pas lui dire ! Qui serait la vraie reine du Gouinistan ? Si on met Céline Sciamma, ça ne va pas plaire à tout le monde – même si moi j’adorerais ! Virginie Despentes pareil. Alors que là c’est léger, ça reste une blague qui interroge les gens et tant mieux", s'était-elle défendue. Une "blague" reprise dans Le Génie lesbien d’Alice Coffin, l’autrice saluant le fait que Marina Foïs "se laisse réapproprier" dans un monde où il y a encore trop peu de représentations lesbiennes grand public.
Mais la "lesbian energy" de Marina Foïs n'est pas la seule raison qui la fait figurer sur notre couverture avec le titre de "Queer Queen" qui, rappelons-le également à toute fin utile, reste un titre de presse, pas une médaille décernée au nom de la communauté. La comédienne est aussi à l'affiche, le 26 octobre prochain, du film La Fracture, de Catherine Corsini, où elle interprète face à Valéria Bruni-Tedeschi la moitié d'un couple lesbien au bord de la rupture. Le film a reçu cet été la Queer Palm au Festival de Cannes : de la Queer Palm à Queer Queen, il n'y a qu'un pas que nous avons franchi comme Stéphane Bern les portes d'un château de princesse, avec allégresse.
À qui trouverait Marina Foïs trop "hétéro"
Et si nous comprenons la critique qui nous est faite – à savoir explicitons-le, d'ériger en icône queer une femme mariée à un homme –, elle doit aussi nous interroger. L'intéressée ne nous a pas dit qu’elle aimait les femmes, mais à l’heure où l’on se bat pour l'autodétermination, présumer qu’une femme est hétérosexuelle est un cliché qui renvoie, par exemple, toutes les femmes bisexuelles en couple avec un homme à un dépassé "choisis ton camp, sinon tu n'es pas camarade". Nos combats pour la non-assignation, la fluidité, la non-binarité et la liberté à l'auto-détermination valent mieux que des débats sur qui mérite ou non le brevet de queer. D'ailleurs, Marina Foïs ne se définit même pas comme hétérosexuelle dans l'interview qu'elle nous a accordée.
Quoi qu'il en soit, TÊTU a toujours fait de la place aux allié·es, parce que ce qu'ils véhiculent est important aussi. L'actrice populaire de la comédie à succès Papa ou Maman, l'invitée récurrente du Burger Quiz sur TMC est dans le cœur et l'esprit de tous les Français·es. Une couverture de TÊTU avec Marina Foïs en "Queer Queen", c'est une couverture qui dit à vos proches : "Marina Foïs, que vous admirez, elle est ok pour l'égalité des droits. Ok pour la liberté de chacun d'être soi et de vivre son orientation amoureuse, son identité de genre, de la manière dont il ou elle le veut. Et vous ?" Les allié·es comptent aussi pour éduquer nos parents, nos familles, nos amis. Pour que TÊTU puisse traîner nonchalamment sur la table basse du salon sans que ce soit un sujet. Et que même les hétéros, on l'espère, puissent se déconstruire en nous lisant !
Fièr.e.s et Têtu.e.s
Depuis quatre ans, nos sollicitations auprès d'icônes vraiment lesbiennes n'ont pas manqué – et elles vont continuer, évidemment. Céline Sciamma a dû annuler à la dernière minute une interview pour le numéro d'été – celui avec Hoshi (tiens, une lesbienne) en couverture ; Angèle, qui aurait pu faire un coming out à TÊTU avant que la presse people ne l'oute, n'avait pas souhaité nous en parler. On ne leur en veut pas, parce qu'on sait aussi que pour nos icônes, lesbiennes, trans, gays, une interview ou un shooting photo, c'est aussi du travail. Ça rentre dans un plan promo, un calendrier, un film, un livre ou un album à défendre… Sans compter que parfois, la popularité atteinte, elles préfèrent aller chez Vanity Fair plutôt que chez TÊTU.
Alors pour le prochain film de Céline Sciamma ou d'Adèle Haenel, le prochain livre de Virginie Despentes, pour le prochain album d'Angèle, on leur promet l'hermine, la couronne, le sceptre et le trône. Elles auront la majesté, un reboot lesbien du sacre de Napoléon par Jacques-Louis David, si elles le souhaitent et qu'elles ont le temps. Si Marina Foïs est notre "queer queen", elles seront nos impératrices lesbiennes, régnant sur le monde avec tout leur génie. En attendant, si Marina vous agace, vous pouvez toujours choisir l'autre couverture avec Ncuti Gatwa et Patricia Allison. Et tourner les pages vers Nina Bouraoui ou Hannah Gadsby, deux autres "queer queens" que nous avons en interview dans ce numéro. Ou même vers Félix Maritaud. Lui aussi est une queer queen après tout !
Bonne lecture à toutes et à tous, et n'hésitez pas à nous en faire vos retours !
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