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cinémaPourquoi Marina Foïs est devenue une icône queer

Par Aurélien Martinez le 22/02/2021
Marina Foïs

Alors que vendredi 12 mars, Marina Foïs présentera la 46e cérémonie des César, soirée annuelle du cinéma français, on s'est demandé pourquoi la comédienne, pourtant hétéro, était devenue une icône queer. Jusqu'à être sacrée "reine du Gouinistan".

Nous sommes en février 2020, lors de la cérémonie états-unienne des Spirit Awards consacrée au cinéma indépendant. Alors que la maîtresse de cérémonie Aubrey Plaza évoque la représentation des personnes LGBT sur grand écran, elle annonce la venue de la chorale gay de Los Angeles. La mission de ce groupe d’hommes ? Célébrer tous ces moments cinématographiques de l’année écoulée qui, de prime abord, ne semblaient pas gays mais qui, en réalité, l’étaient – le look d’Idina Menzel dans Uncut Gems, Jennifer Lopez faisant de la pole dance dans Queens, le titre du film DianeEt également presque toutes les scènes de l'actrice Laura Dern dans Marriage Story 

Car Laura Dern, bien qu’hétéro, est une icône gay aux États-Unis comme l’expliquait le comédien, producteur et auteur de la chanson Jordan Firstman le lendemain du show. Un moment de télévision très fort (grâce notamment à la réaction enjouée de la principale intéressée) qui pourrait (devrait même) être dupliqué en France lors de la prochaine cérémonie des César, avec Marina Foïs en Laura Dern hexagonale. 

Idole queer

Si l’on cherchait du queer dans la carrière de Marina Foïs (ce jeu de piste et d’interprétation étant une activité prisée par la communauté LGBT, qui doit bien faire avec le peu de représentation LGBT que la culture mainstream lui offre), il y aurait ainsi de quoi faire un montage sans doute encore plus long que celui pour Laura Dern. Citons, subjectivement, la reine puérile et lubrique qu’elle incarnait du temps de la troupe comique Les Robins des bois ; la machiavélique Marie-Joëlle / Stéphanie de La Tour Montparnasse infernale (2001) ; la femme à chat désespérée et portée sur la boisson de Filles perdues, cheveux gras (2002) ; la trentenaire célibataire de J’me sens pas belle (2004) ; la comédienne botoxée du Bal des actrices (2009) ou encore la mère destroy de Papa ou Maman (2015).

À y regarder de plus près, beaucoup de rôles interprétés par Marina Foïs ont ainsi un potentiel gay plus ou moins caché ; plus dans Papa et Maman, certes, mais vraiment moins dans Filles perdues, cheveux gras, comédie kitsch et chantante qui transpire le queer jusqu’aux murs de l’appartement de son personnage – la chanson Le Bonheur en meilleur exemple visuel.

Dans un registre plus sérieux, on peut aussi citer sa participation, en 2018, au spectacle Les Idoles de Christophe Honoré dans lequel le cinéaste, auteur et metteur en scène redonnait vie à plusieurs artistes morts du sida : Jean-Luc Lagarce, Jacques Demy, Bernard-Marie Koltès, Serge Daney ou encore Cyril Collard. Et, concernant Marina Foïs (qui campait donc un homme), Hervé Guibert, auteur important de la culture gay – dont, au passage, on célèbre les 30 ans de la disparition cette année.

« Nous [Christophe Honoré et elle – NDLR] sommes une génération qui a enterré ses amis. Ce n’est pas rien. Je ne suis pas gay mais j’ai dû enterrer quatre personnes, entre 20 et 25 ans ; c’est beaucoup. J’ai hébergé un ami comédien, gay, dans le placard, que j’adorais et qui était malade, sans qu’on n’évoque jamais le sida. Ce que montre le spectacle, c’est que le sida était une maladie politique. C’est pour ça qu’elle est intéressante trente ans plus tard » déclarait-elle à TÊTU en 2018.

 

Humour inclusif

Mais plus que son CV artistique, c’est la personnalité même de Marina Foïs, marraine de la première édition du festival Paris est TÊTU en 2019, qui lui confère une certaine aura dans la communauté LGBT, notamment grâce à ses nombreuses prises de position. Comme, en 2018, lorsqu’elle étrillait, toujours dans TÊTU, la comédie à succès Épouse-moi mon pote de Tarek Boudali et Philippe Lacheau. « C’est un film qui véhicule des clichés éculés sur des homos et un Marais qui n’existent plus. Ça me fait chier – parce que je les estime, qu’ils ont du pouvoir et un public – qu’ils fassent rire Marcel Campion et ses copains. Ça revient à rire avec lui. Notre parole est publique. On a une responsabilité. »

Une analyse à rapprocher d’une autre, livrée sur le plateau de Quotidien la même année, alors qu’elle venait promouvoir le film Le Grand bain de Gilles Lellouche. « C’est une comédie qui ne fait pas rire en se moquant. Zéro vanne homophobe. Zéro vanne raciste. Et pourtant, on rit beaucoup. On rit avec et pas contre. »  Depuis plusieurs années, Marina Foïs est ainsi une de ces rares artistes qui, à contre-courant des adeptes du "on ne peut plus rien dire plus rien faire", a compris les dégâts qu’un humour rétrograde et oppressif pouvait causer – sur ce sujet, l’interview qu’elle a donnée à Konbini en 2019, dans laquelle elle déplore l’état de la comédie française, est très parlante (la séquence est à partir de 10 mn 30).

Hétéro alliée

Cette compréhension des questions LGBT, et globalement des enjeux progressistes actuels (elle est par exemple membre active du collectif 50/50 qui « œuvre à la parité, l'égalité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel », et ne se prive jamais de tacler les remarques sexistes des uns et des autres – Yann Moix doit s’en souvenir), est sans doute à rapprocher de son parcours, comme elle nous l’expliquait en 2018. « La pédérastie et moi, c’est un long compagnonnage (rires). À 16 ans, j’ai quitté mes parents pour aller vivre dans une maison communautaire où il n’y avait que des gays et des lesbiennes. J’ai une familiarité avec les homosexuels. »

Une « familiarité » qui s’est parfaitement illustrée en 2018 sur le réseau social Instagram. Alors qu’elle venait de publier une photo de l’artiste Tom Bianchi montrant quatre hommes en maillot de bain s’enlaçant franchement (l’un ayant la main dans le maillot d’un autre), plusieurs personnes se sont permis de livrer des commentaires bien homophobes puis ont signalé la publication à Instagram (qui l’a alors supprimée). Quelques jours plus tard, Marina Foïs partageait une autre photo de Tom Bianchi en déplorant la première censure, avant de sortir de ses archives une image d’elle et Romain Duris pendant une scène de la pièce Démons de Lars Norén où on la voit embrassée de force par le personnage que jouait Duris. « Aurai-je autant de commentaires sur ce post 100% hétéro ? » On vous laisse imaginer la réponse…

 

 

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Reine du Gouinistan

Ces dernières années, les mots de Marina Foïs couplés à son humour inclusif (à l’œuvre notamment dans l’émission Burger Quiz dont elle était l’une des invités emblématiques, offrant son lot de séquences cultes) ont donc beaucoup compté pour la communauté LGBT qui en a fait l’une de ses (nombreuses) icônes. Depuis quelque temps, elle règne même sur le Gouinistan, « pays imaginaire où ne vivent que les lesbiennes et des femmes bisexuelles » (même si des « autres membres du lobby sont acceptés à la frontières sous condition ») comme l’a écrit Lauriane Nicol, journaliste qui, depuis 2017, s’occupe de la newsletter Lesbien Raisonnable (et des réseaux sociaux affiliés) – une aventure qui a pour but de parler de « tout ce qui fait culture lesbienne » de manière « légère ».

Lauriane Nicol étant à l’origine de ce couronnement, on a cherché à en savoir plus en lui passant un coup de fil. « C’était une blague à la base, qui m’a vite échappé. Ça vient d’un tweet que j’avais fait en janvier 2019 suite à la une du magazine M du Monde consacrée à Marina Foïs. J’avais écrit : "Pourquoi tout le Gouinistan crushe-t-il sur Marina Foïs ? Je veux dire, outre le fait qu’elle soit trop belle et trop drôle et une super alliée ?" Ça avait été repris par les Garriberts, journalistes aux Jours, qui avaient interpellé Marina Foïs. Elle avait alors répondu qu’être nommée reine du Gouinistan était "mieux que la légion d’honneur" ! »

Une blague qui dure

Une reine hétéro pour le Gounistan ? « Vous savez bien qu’il nous faut une straight reine sinon ça partirait en dramagouine » avait écrit Lauriane Nicol dans son post officialisant cette décision. « Parfois je suis critiquée pour ça. Et c’est vrai que ça me questionne aussi. D’ailleurs, je suis tout à fait d’accord pour dire que ce n’est pas la plus légitime. Une autre reine arrivera peut-être un jour – mais ça, il ne faut pas lui dire ! Qui serait la vraie reine du Gouinistan ? Si on met Céline Sciamma, ça ne va pas plaire à tout le monde – même si moi j’adorerais ! Virginie Despentes pareil. Alors que là c’est léger, ça reste une blague qui interroge les gens et tant mieux. »

Une « blague » qui perdure, et est même citée l’an passé jusque dans l’essai très remarqué Le Génie lesbien d’Alice Coffin, l’autrice saluant le fait que Marina Foïs « se laisse réapproprier » dans un monde où il y a encore trop peu de représentations lesbiennes grand public – et où d’autres stars n’acceptent pas de l’être, à l’image de Catherine Deneuve qui « avait menacé d’intenter un procès à un magazine lesbien américain qui avait choisi pour titre Deneuve » (le magazine est finalement devenu Curve explique Alice Coffin, et est la publication lesbienne la plus vendue aux États-Unis).

 

 

En couple avec Valeria Bruni Tedeschi

Marina Foïs, elle, aime jouer avec son titre, s’adressant même au peuple du Gouinistan via les réseaux sociaux. « Par ailleurs je tiens à signaler que j’ai couché avec Élodie Bouchez au cinéma, dans Happy Few bien que mon personnage ne fut pas lesbienne, en tout cas aux yeux du monde puisque mariée à Roschdy Zem » répondait-elle sur Twitter au compte Lesbien Raisonnable qui s’enthousiasmait que « Rebecca Zlotowski fasse de Marina Foïs une lesbienne pour la première fois à l’écran dans sa série Les Sauvages » – « Ahahahah !! Marion est gouine ? » écrivit aussi la comédienne qui, contrairement au compte Lesbien Raisonnable, n’avait visiblement pas analysé son personnage sous cet angle.

Autant dire que tout le Gouinistan attend avec impatience le prochain film de la réalisatrice Catherine Corsini qui, pour La Fracture, a fait vivre une histoire d’amour à Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs. « Raf [Valeria Bruni Tedeschi] et Julie [Marina Foïs] forment un couple au bord de la rupture, qui se retrouve dans un service d'urgences proche de l'asphyxie au soir d'une grande manifestation parisienne. Personnel débordé, manifestants blessés et en colère vont faire voler en éclats les certitudes et les préjugés de deux femmes » comme l’annonce Allociné, qui ne donne pas encore de date de sortie (ça devrait être en fin d’année, si la situation sanitaire le permet).

D’ici là, il y aura, vendredi 12 mars, la 46e cérémonie des César que la comédienne va présenter (après la catastrophe de l’an passé qui avait abouti à une tribune puissante de Virginie Despentes titrée « Désormais on se lève et on se barre »). Espérons qu’à un moment, Marina Foïs fera un clin d’œil, même léger (les LGBT comprennent parfaitement les sous-entendus !), à son statut d’icône et son titre de reine du Gouinistan. Tous ses sujets n’attendent que ça. 

 

 

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