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EuropeHomophobie d'État : l'Europe suspend 76 milliards d'euros de fonds à la Pologne

Par Nicolas Scheffer le 09/11/2021
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INFO TÊTU - La Commission européenne menace d'invalider le colossal budget versé à la Pologne pour la période 2021-2027, si le pays ne présente pas de meilleures garanties de lutte contre les discriminations envers les personnes LGBTQI+.

La Pologne pourrait perdre gros en raison de son homophobie d'État. Un document auquel TÊTU a pu avoir accès montre les commentaires apposés par la Commission européenne sur le dernier "projet d'accord de partenariat" proposé à l'Union par Varsovie. Sans réponse de l'État membre sur les réserves qu'elle émet en termes de lutte contre les discriminations, la Commission menace de refuser de débloquer les 76 milliards d'euros concernés.

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Rembobinons : le 30 juillet, la Pologne a adressé un brouillon d'accord de partenariat à l'Union européenne. En résumé, le document expose la stratégie et les priorités de l'État pour utiliser les fonds alloués par l'UE. Ces subventions concernent plusieurs thématiques comme les fonds FEDER qui visent à développer certaines régions, les fonds de la Politique agricole commune (PAC), le Fonds social européen, le Fonds pour la pêche… Au total, le document de 282 pages rédigé en polonais est une demande de 76,5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. En réponse, un second document que nous nous sommes procuré présente les réserves de la Commission au versement de ces fonds…

"Nous souhaitons voir des mesures qui abordent les autres formes de discriminations."

En anglais cette fois, le document de l'Union fait 53 pages. Parmi ses critiques, la Commission européenne reproche notamment à la Pologne d'avoir une vision étriquée de la lutte contre les discriminations : "Nous notons que la partie sur le principe de l'égalité d'opportunités et de non-discrimination est largement dominée par la description de mesures sur l'accessibilité des personnes en situation de handicap. Il y est même écrit que 'le principe de l'égalité d'opportunités et de non-discrimination sera mis en oeuvre principalement à travers l'amélioration de l'accessibilité'".

Bruxelles demande donc à Varsovie de revoir ses objectifs concernant ces mesures de non-discrimination : "Ce n'est pas à la hauteur. Le handicap est une caractéristique, qui peut conduire une forme de discrimination. Nous souhaitons voir des mesures qui abordent les autres formes de discriminations - sur l'origine ethnique et raciale, la religion ou la croyance, l'âge et l'orientation sexuelle".

"Zones sans-LGBT" et identité de genre

C'est peu dire que la non-discrimination n'intéresse pas beaucoup le PiS, le parti de la majorité au pouvoir à Varsovie, où les sorties LGBTphobes sont assumées par les ministres de plein exercice. Ainsi, selon le ministre de l'Éducation, "l'idéologie LGBT" "a les même racines néomarxistes que le national-socialisme hitlérien". Une proposition de loi pour interdire les marches des Fiertés est en outre examinée à l'Assemblée avec le soutien de députés de la majorité.

L'instance européenne dirigée par Ursula von der Leyen s'en prend également aux "zones sans idéologie LGBTQI" qui pullulent depuis trois ans en Pologne, et demande des comptes sur l'utilisation des fonds européens dans ces zones : "Merci de nous indiquer concrètement comment vous comptez garantir la non-discrimination de candidats qui aborderaient des projets sur les sujets LGBTQI". Cet été, la Commission a d'ailleurs lancé une "procédure d'infraction" contre le pays concernant ces zones, qu'elle juge contraires aux traités européens.

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La Commission européenne étrille encore la Pologne sur l'absence de mesure concernant l'égalité des genres : "Nous encourageons les autorités nationales à se référer au terme d'égalité de genre et pas seulement l'égalité entre les femmes et les hommes pour inclure toutes les formes de discriminations (...) notamment les normes sociales et culturelles associée à la masculinité et à la féminité". Et de relever que la section sur l'égalité de genre dans le document polonais "est très courte et ne contient pas autant de détails que lors du programme d'accord 2014-2020". Sans réponses convaincantes sur ces objections, la Commission européenne pourrait ne pas débloquer les 76 milliards d'euros en jeu.

"La haine coûte cher au pays"

"La haine du gouvernement polonais à l'égard de ses citoyens LGBTQI+ coûte cher au pays. La Commission européenne ne peut en aucune manière financer un gouvernement qui ne garantit pas l'égalité et de droits humains", pointe auprès de TÊTU Remy Bonny, directeur de Forbidden Colours, une ONG de défense des droits des personnes LGBTQI+ en Europe. Un argent européen d'autant plus nécessaire que la Pologne est rongée par une inflation galopante, note le Financial Times. Avec 6,8 point le mois dernier par rapport à l'année précédente, l'augmentation des prix est à un pic historique.

Surtout, la Commission n'a pas le choix, selon l'eurodéputé affilié à La République en marche Pierre Karleskind. "L'article 6 du règlement portant disposition commune prévoit que cet accord doit respecter la charte des valeurs fondamentales. C'est aussi la protection du budget européen contre les dérives : pas de valeurs européennes, pas de fonds européens ! C'est ce que j'ai dit et redit à la Commission européenne en mai et en juillet pour la pousser à agir. L'Europe est souvent pointée du doigt pour sa difficulté à agir. Mais quand on la remue, elle est redoutablement efficace", remarque auprès de TÊTU le parlementaire européen, ouvertement gay. Et la facture pourrait ne pas s'arrêter là, puisqu'à cette suspension de fonds s'ajoute celle des négociations entre la Commission et Varsovie à propos du plan de relance post-Covid.

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Crédit photo : Commission européenne