HongrieL'Union européenne lance une procédure d'infraction contre la Hongrie et la Pologne

Par Nicolas Scheffer le 15/07/2021
Viktor Orban, premier ministre de Hongrie

Ce jeudi, la Commission européenne a lancé une "procédure d'infraction" contre la Hongrie et la Pologne. L'institution souhaite que la Hongrie retire la loi homophobe qui vient d'entrer en vigueur et s'inquiète des zones "sans LGBT" en Pologne.

La Commission européenne "met ses menaces à exécution". Ce jeudi 15 juillet, elle a envoyé une lettre de mise en demeure aux autorités hongroises et polonaises. Début juillet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait averti : "si la Hongrie ne corrige pas le tir, la Commission fera usage des pouvoirs qui lui sont conférés en sa qualité de gardienne de traités". Elle a qualifié la loi hongroise assimilant homosexualité et pédophilie de "honte".

Concernant la Pologne, la Commission juge que les zones "sans LGBTI+" "enfreignent le droit de l'UE en matière de non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle". Les deux lettres de mise en demeure sont une première étape d'une procédure assimilée à une "bombe atomique" diplomatique. En réalité, plusieurs outils peuvent être utilisés. Au fond, c'est très simple, ils sont au nombre de quatre. On vous explique.

Il y a d'abord, l'"article 7, §1". "C'est le plus facile à mettre en oeuvre, mais il ne comporte pas de sanction à proprement parler", indique à TÊTU Olivier Baillet, chercheur au prestigieux institut Max Planck au Luxembourg. Il nécessite l'accord des quatre cinquièmes des États-membres pour sanctionner. "Il acte une déclaration politique de désaccord profond", poursuit le spécialiste.

Un second mécanisme - "l''article 7, §2" - peut aboutir à des sanctions financières, voire même une suspension de vote de la Hongrie. En revanche, cet outil nécessite l'accord de tous les membres de l'UE (sauf la Hongrie ou la Pologne, bien sûr). Résultat, il a très peu de chance d'être mise en œuvre :  la Pologne et la Hongrie se sont assuré un soutien réciproque.

Une résolution du Parlement

Dans une résolution adoptée début juillet, le Parlement presse la Commission d'utiliser le "mécanisme État de droit". Ce nouvel outil, entré en vigueur le 1er janvier dernier, conditionne les subventions européennes à un certain nombre de valeurs. Mais les institutions ne sont pas d'accord sur l'étendue du dispositif. "L'État de droit inclut les valeurs cardinales de l'Union européenne, comme la non-discrimination. Nous pensons que les critères sont très clairs", indique à TÊTU Marc Angel, eurodéputé social démocrate luxembourgeois et co-président de l'intergroupe LGBTI. Pierre Karleskind, eurodéputé Renaissance, a même menacé la Commission de la poursuivre devant la justice si elle n'utilise pas ce mécanisme.

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La Commission, ne croit pas en la possibilité juridique d'utiliser ce mécanisme dans le cadre de son opposition à la loi hongroise. "Le mécanisme n'intègre pas encore la lutte contre les discriminations", reconnaissait Clément Beaune fin juin auprès de TÊTU. La Commission a quand même mis en stand by 7,2 milliards d'euros qui doivent être accordés à la Hongrie dans le plan de relance post-Covid. Mais, selon le commissaire à l'Économie Paolo Gentiloni, la loi homophobe "n'est pas le cœur de la discussion". Officiellement, la Commission freine le plan de relance hongrois en raison de la corruption des dirigeants et la transparence insuffisante des marchés publics.

Une "procédure en manquement"

Mais cette utilisation des procédures pourrait se retourner contre la Commission. "Les Hongrois vont dire que la position de la Commission est idéologique et le débat tournera autour de la légitimité de la commission à sanctionner financièrement la Hongrie. Alors que le véritable débat, c'est la loi homophobe", déplore le luxembourgeois Marc Angel. "Si la Commission utilise le plan de relance pour dire son opposition à la loi homophobe, elle offre un argumentaire à Viktor Orban", juge auprès de TÊTU Pierre Karleskind. Le 20 juillet prochain, la Commission doit justement rendre public un rapport sur l'État de droit au sein de l'Union. La situation de chaque pays sera évaluée et des recommandations doivent être faites.

"Le plus probable, c'est que la Commission lance une procédure en manquement", assure Olivier Baillet. La Commission a annoncé ce 15 juillet que c'est bien cet outil qui était utilisé. La procédure, plus classique et qui ne nécessite pas de vote des États membres, comprend deux temps. D'abord, un échange de lettres pour constater des défaillances et une négociation politique pour les résoudre. "À l'issue de cette phase, la Commission peut saisir la Cour de justice", poursuit le chercheur. Après une longue procédure de plusieurs années, la Cour de justice peut demander une sanction. "Les procédures d'infractions aboutissent régulièrement à un règlement de la situation sans que la Cour de justice ne soit saisie. Dans le cas présent, le différend est important. C'est un bras de fer institutionnel et juridictionnel qui s'ouvre", indique à TÊTU une source au sein de la Commission. Un bras de fer qui promet de nombreux rebondissements.

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Mise à jour le 15 juillet à 15h30 : Précisions sur les deux procédures d'infractions

 

Crédit photo : Union Européenne