Mort soudainement des suites d’un accident de ski, le comédien Gaspard Ulliel aura marqué le cinéma par sa beauté, son intensité et sa douceur. Des qualités que l'acteur a mises à profit pour incarner deux figures homosexuelles françaises majeures, dans Saint-Laurent et Juste la fin du monde, qui resteront parmi ses plus beaux rôles. Hommage.
Un beau visage comme taillé à la serpe, un regard métallique et intense, une voix profonde et désarmante de douceur, une fossette-cicatrice qui lui conférait un charme éternellement juvénile, Gaspard Ulliel n’était pas une star mais sans doute l’un des visages du cinéma français les plus connus du monde puisqu’il fut aussi le visage d’un parfum, Bleu de Chanel, affiché dans tous les aéroports du monde et mis en pub par Martin Scorsese lui-même.
Ulliel habité en Saint-Laurent
Si sa silhouette fine, sa beauté évidente et son talent d’incarnation ont très tôt et très vite tapé dans l’œil de nombreux cinéastes (Marina de Van, Christophe Gans, Michel Blanc, André Téchiné, Jean-Pierre Jeunet, Laurent Boutonnat, Gus Van Sant, Rithy Panh, Bertrand Tavernier, Emmanuel Mouret, Brigitte Roüan…), une mue s’opère peu avant ses 30 ans, sous la direction de Bertrand Bonello, quand il accepte en 2014 d’endosser le rôle du grand couturier gay, dépressif et autodestructeur, Yves Saint-Laurent.
Avec ce personnage complexe, tout en contrastes entre timidité maladive et affirmation violente, dans un chef-d’œuvre plus atmosphérique que biographique, Gaspard Ulliel change de catégorie et s’installe parmi les plus grands comédiens français. Son Saint-Laurent est habité, fin, empêché, malheureux, défoncé, extatique, profond, violent et d’une intelligence implacable. "La direction qu’on a choisie était de s’écarter de tout mimétisme ou d’essayer de reproduire quoi que ce soit mais d’aller plus dans l’appropriation ou même parfois la quasi évocation", déclarait-il à l’époque dans C à vous. Pour se contraindre à une corporalité différente, Ulliel attaque le rôle en perdant du poids, recréant ainsi l’allure dégingandée de son modèle.
Iconique dans Juste la fin du monde
Dès son film suivant, il s’attaque à une autre figure d’intellectuel homo français dans l’adaptation par Xavier Dolan d’une partie de l’œuvre autobiographique et théâtrale de Jean-Luc Lagarce, auteur culte de Juste la fin du monde. Là, en jeune écrivain condamné, transfuge de classe venu annoncer sa mort imminente à sa famille qu’il a quittée depuis (trop) longtemps, il est presque iconique. De sa voix, en off dans les plans d’avion ouvrant le film sur les mots de Lagarce, il impose d’emblée le personnage de Louis, rencontre entre la volonté farouche et radicale de règlements de compte de l’auteur, mort du sida en 1995, et le romantisme teen et la nostalgie vintage qu’insuffle Xavier Dolan au projet.
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Lors de l’émission Boomerang sur France Inter, pendant la promotion du film, Gaspard Ulliel avait choisi de lire un extrait de la pièce de Lagarce qui convoque un combat intérieur permanent entre la réserve et le lâcher-prise, l’analytique et l’instinctif, l’une des clés pour comprendre la dualité du personnage de Louis à l’approche d’une mort inexorable : "À un moment, je suis à l’entrée d’un viaduc immense, il domine la vallée que je devine sous la lune et je marche seul dans la nuit à égale distance du ciel et de la terre. Ce que je pense, et c’est cela que je voulais dire, c’est que je devrais pousser un grand cri, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée, que c’est ce bonheur-là que je devrais m’offrir. Hurler une bonne fois, mais je ne le fais pas, je ne l’ai pas fait, je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier, ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai".
Ces deux incarnations d’icônes gays françaises vaudront à Gaspard Ulliel ses deux nominations au César du meilleur acteur. Si en 2015, il est coiffé au poteau par Pierre Niney qui incarnait lui aussi Saint-Laurent dans un film concurrent et plus convenu, en 2017, il sera enfin célébré pour son interprétation de Louis dans Juste la fin du monde. Xavier Dolan, venu à l’époque chercher ce César au nom de son acteur, n’a pas caché son émotion après l'annonce de sa mort sur son compte Instagram : "C’est invraisemblable, insensé, et tellement douloureux de même penser écrire ces mots. Ton rire discret, ton œil attentif. Ta cicatrice. Ton talent. Ton écoute. Tes murmures, ta gentillesse. Tous les traits de ta personne étaient en fait issus d’une douceur étincelante. C’est tout ton être qui a transformé ma vie, un être que j’aimais profondément, et que j’aimerai toujours. Je ne peux rien dire d’autre, je suis vidé, sonné par ton départ". Il n'est pas le seul.
Fidèle à celui qui lui avait permis d’aller plus loin, Gaspard Ulliel devait retrouver très vite Bertrand Bonello pour La Bête, un film se déroulant sur trois époques (1910, 2014 et 2044) avec Léa Seydoux…
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