justiceProtection des droits en Europe : la Hongrie et la Pologne perdent leur recours

Par Nicolas Scheffer le 16/02/2022
L'Union européenne peut enfin se doter d'un mécanisme de protection de l'État de droit

Un arrêt très attendu de la Cour de Justice de l'UE a enfin validé la conformité du mécanisme de conditionnalité de versement de fonds européens au respect de l'État de droit. La Hongrie et la Pologne, particulièrement visées, ressortent les griffes.

L'Union européenne était suspendue depuis plus d'un an à cet arrêt. Ce mercredi 16 février 2022, la Cour de justice de l'UE (CJUE) a rejeté les recours des gouvernements hongrois et polonais contre le mécanisme d'État de droit adossé au plan de relance post-Covid (750 milliards d'euros) validé fin 2020 après six mois d'âpres négociations. Ce nouvel instrument permet à la Commission européenne de bloquer le versement des fonds aux pays membres qui ne respectent pas l'État de droit. La Hongrie de Viktor Orbán et la Pologne d'Andrzej Duda, particulièrement visées, l'avaient aussitôt contesté devant la Cour.

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Le mécanisme "a été adopté sur une base juridique adéquate, est compatible avec la procédure prévue à l'article 7 du TUE [Traité sur l'Union européenne, ndlr] et respecte en particulier les limites des compétences attribuées à l'Union ainsi que le principe de sécurité juridique", tranche la Cour, notant qu'il "vise à protéger le budget de l'Union contre les atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l'État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations".

C'est l'essence même des limites déjà connues de ce nouveau mécanisme : il ne permet pas à l'Union de sanctionner directement les atteintes à l'État de droit mais l'autorise à ne pas verser les fonds dont l'utilisation servirait un détournement des valeurs de l'Europe. Les fonds concernés par la suspension doivent donc être en lien avec l'infraction. Concrètement, l'institution ne peut pas, par exemple, suspendre le financement d'une autoroute pour répondre à une atteinte en Hongrie, mais elle peut refuser de participer au financement d'une justice non-indépendante.

"Fin de la récréation" pour la Hongrie et la Pologne

"Cette décision vient sonner la fin de la récréation, se félicite auprès de TÊTU l'eurodéputé LREM Pierre Karleskind. Cela fait plus d’un an que la Commission européenne refuse d’appliquer le règlement dans l’attente de ce jugement par peur de vexer la Pologne et la Hongrie, et plus d’un an que nous, Parlement européen, lui disons une chose simple : dura lex sed lex. La loi est dure, mais il faut l’appliquer." En juin 2021 en effet, le Parlement européen pressait la Commission européenne d'utiliser ce mécanisme, mais cette dernière attendait l'aval de la Cour de Justice.

Ce mercredi, les gouvernements visés ne se sont évidemment pas privés de réagir vivement. La Pologne a dénoncé une "attaque contre [sa] souveraineté", quand le Premier ministre hongrois, cité par Libération, a déclaré que "les États membres ne doivent pas accepter une situation où les décisions politiques sont prises par la CJUE à la place des peuples et des gouvernements".

Prochaine étape : élargir le mécanisme

Le bras de fer avec ces deux pays pour le respect de l'État de droit est donc relancé. Dans le cadre du plan de relance post-Covid, l'UE a déjà suspendu sur la base d'autres infractions plusieurs milliards d'euros destinés à la Pologne et à la Hongrie, exigeant de Varsovie des réponses sur l'indépendance du système judiciaire, et de Budapest la transparence des marchés publics. En parallèle, deux nouvelles procédures d'infraction ont été lancées, pouvant aller jusqu'à une (improbable) exclusion des pays des décisions européennes.

Étape suivante, qu'avait avancée cet été auprès de TÊTU le secrétaire d'État aux Affaires européennes, Clément Beaune : "élargir" le champ d'action de la conditionnalité à l'État de droit, afin que le mécanisme puisse un jour servir à sanctionner directement les atteintes sans passer par un prétexte d'utilisation des fonds. "J'aimerais, avait-il déclaré, que ce soit un combat que l'on amorce sous la Présidence française de l'Union européenne". Celle-ci a démarré le 1er janvier 2022, et se termine le 1er juillet prochain…

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