Des Gilets jaunes à la Pride radicale en passant par le mouvement Black Lives Matter, la révolution anticapitaliste d’Anasse Kazib sera solidaire de toutes les luttes, ou ne sera pas. Le candidat de Révolution permanente à la présidentielle 2022 nous a parlé de son programme, notamment sur les questions LGBTQI+.
"Salut les wokistes" : c’est ainsi qu’Anasse Kazib a commencé le 9 février sa conférence devant la Sorbonne – qui lui a valu intimidations et menaces de l’extrême droite. Celui qui appelle son auditoire "les ami·e·s" maîtrise l’art de faire son entrée. Si son nom ne vous est peut-être pas familier, c’est parce que le candidat de "Révolution permanente" à l'élection présidentielle est délaissé par la sphère médiatique, malgré 116 parrainages validés par le Conseil constitutionnel (Christiane Taubira en a 73).
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La candidature de ce cheminot âgé de 34 ans, syndicaliste, fils d’immigré·e·s né à Sarcelles (Val d'Oise), politisé depuis la mobilisation contre la loi Travail, détonne, pourtant. Dans le programme antiraciste et féministe d’Anasse Kazib, qui entend combattre "toutes les oppressions", une partie est évidemment dédiée aux luttes LGBTQI+. Y sont évoquées les personnes trans, non-binaires et intersexes, le mouvement Black Trans Lives Matter, les TERF et même la notion de pinkwashing. Rencontre.
Votre programme contient tout un pan pour "l’autodétermination des personnes LGBTI et la liberté sexuelle" : comment s’est fait votre cheminement politique sur les questions LGBTQI+ ?
Anasse Kazib : Ça s’est fait progressivement, et c’est le marxisme qui m’a énormément éduqué. En tout cas, le marxisme d’origine, parce qu’en France (et pas que), il y a ce que j’appelle de l'"ouvriérisme", qui fait que les luttes antiracistes et LGBTQI+ sont facilement reléguées au second plan. Or, la révolution ne pourra pas se faire sans l’ensemble des exploité·e·s et opprimé·e·s, car les oppressions sont liées ! Des ouvrier·e·s racistes ou homophobes, il y en a, mais on se doit de lutter contre les idées réactionnaires qui traversent notre camp.
À vos côtés dans cette campagne, il y a notamment la militante et journaliste trans Sasha Yaropolskaya. Comment vous-êtes vous rencontré·e·s ?
Je l’ai rencontrée à l’université d’été de Révolution permanente. Dans nos discussions, on s’est impacté·e·s mutuellement. Elle a une grande intelligence politique et au-delà de ça, je l’aime beaucoup. Le fait qu’elle prenne la parole dans 3/4 des meetings de la campagne alors qu’elle ne fait pas partie de Révolution permanente est très fort. Une fois, après un meeting à Marseille, une femme voilée est venue me voir en me disant que Sasha avait fait plus pour les femmes voilées avec son discours que les imams de France qui n’ont rien dit sur la loi séparatisme ! Ces meetings-là, on en ressort vraiment bouleversé, et nos a priori ont changé.
Cette rencontre a-t-elle influé sur vos positions quant aux questions LGBTQI+ ?
Politiquement, sur la théorie et sur le fond, on avait globalement une logique similaire avant de se rencontrer. Elle a un discours hégémonique, qui lie la lutte pour les droits des personnes trans à celle pour l’émancipation de l’ensemble des opprimé.es et pour le renversement du capitalisme, et c’est quelque chose qui est au cœur de notre conception de la politique révolutionnaire. Ensuite, elle influence beaucoup à travers sa présence dans la campagne. Ses discours sont adorés car elle y va avec bienveillance et pédagogie, sans se braquer, et son humour y est aussi pour beaucoup.
"On se forme et on apprend les un·e·s les autres, car les questions relatives au genre nécessitent un certain niveau de connaissance et de sensibilité, contrairement à la revendication d’augmenter le SMIC."
Il y a beaucoup de militant·e·s LGBTQI+ chez Révolution permanente ?
Un certain nombre, oui, qui animent notamment le collectif Du Pain et des Roses. C’est précieux d’avoir des camarades qui mènent ce combat contre les oppressions dans une perspective révolutionnaire et de lutte de classes. Ces camarades doivent batailler politiquement deux fois plus, dans le mouvement LGBTI et féministe, dans le mouvement ouvrier mais aussi à gauche pour reconstruire une extrême gauche de combat féministe et antiraciste. Et puis, on se forme et on apprend les un·e·s les autres, car les questions relatives au genre nécessitent un certain niveau de connaissance et de sensibilité, contrairement à la revendication d’augmenter le SMIC.
Vous dénoncez les propos homophobes et transphobes tenus à l’Assemblée pendant l’examen des textes de loi sur la PMA et les "thérapies de conversion" et parlez d’une "peur des droits LGBTI" comme une "attaque insupportable sur l’institution patriarcale et capitaliste de la famille telle qu’elle existe" : pouvez-vous développer ?
Que ça soit à l'Assemblée ou non, il y a des rhétoriques réactionnaires qui ressortent : par exemple l'instrumentalisation des enfants qu'on dit vouloir "protéger", ou de la "protection de la famille", qui sont des classiques de la droite derrière lesquels se cachent l'homophobie et la transphobie. Ce que les réactionnaires veulent protéger, quand ils s'attaquent aux droits LGBTI avec ces mots, c'est la morale bourgeoise : la famille nucléaire, une place rétrograde pour les femmes qui restent à la maison pendant que les hommes travaillent... C'est un modèle qui est tout à fait profitable pour la société capitaliste, et tout ce qui menace ce modèle dans les luttes pour les droits des femmes et des personnes LGBTI fait face à une contestation réactionnaire.
Historiquement, la droite s’empare des questions de harcèlement scolaire et des agressions dans l’espace public avec un discours sécuritaire pour taper sur "l’immigration". Qu’avez-vous envie de dire à celleux qui pourraient être séduit·e·s par ce discours ?
J’ai envie de leur dire qu’il suffit de se pencher un peu sur ce que font réellement les champions de l’instrumentalisation sécuritaire et raciste de ces questions pour voir l’arnaque. Sur le terrain du fémonationalisme, mais c’est valable pour l’homonationalisme, Marlène Schiappa est un exemple frappant : les moyens restent dérisoires contre les violences sexistes et sexuelles, tandis qu’elle couvre un ministre accusé de viol et un gouvernement dont les politiques s’attaquent aux plus précaires, parmi lesquels les femmes et les personnes LGBTI sont surreprésenté·e·s.
Sur votre site de campagne, vous dressez un bilan globalement négatif du quinquennat Macron sur les droits LGBTQI+. Au pouvoir, quelles seraient vos premières mesures en faveur des droits LGBTQI+ ?
Il n’y a pas de "moi, président…" chez Révolution permanente, car on veut la fin de la figure présidentielle. Pour nous, il n’est pas question de laisser les droits LGBTI dépendre des calculs électoraux. Avec mes camarades nous défendons l’autodétermination et nous nous battons pour tous les droits des personnes trans, pour la dé-psychatrisation, la gratuité et la liberté d’accès aux soins médicaux nécessaires aux parcours de transition. L’accès aux soins et à la santé est également un enjeu majeur. Et puisque les LGBTQIphobies entraînent notamment des discriminations à l’embauche, l’ensemble des mesures de notre programme qui vise à en finir avec la précarité les concerne tout particulièrement. On veut adapter le travail aux gens et non l’inverse, car on devrait tous·tes pourvoir avoir un toit, remplir notre frigo, et travailler dans des conditions dignes et respectueuses !
En tant que parent, que diriez-vous à quelqu’un qui aurait du mal à accepter l’orientation sexuelle ou la transidentité de son enfant ?
Depuis 2015 on assiste à une nouvelle vague féministe qui est traversée aussi par la lutte pour l’autodétermination et la liberté sexuelle. Dans ces mouvements il y a beaucoup de très jeunes femmes, de personnes trans. Nous devons croire en cette génération pour influencer nos combats et construire une société plus progressiste. J’ai la sensation que grâce à ces activistes, il y a eu de vraies avancées ces dernières années. Je pense aussi à cette collègue musulmane, dont l’enfant a fait un coming out non-binaire qui a été bien accueilli et respecté… On va continuer à militer contre les idées reçues et les discriminations faites aux personnes LGBTI dans la société !
"On est pour l’expropriation des grandes entreprises pharmaceutiques et la levée de tous les brevets pour permettre à l’ensemble des pays du monde d’accéder aux traitements VIH, et autres."
Dans votre programme LGBTQI+, vous abordez également les questions de santé et d’accès aux soins. De larges campagnes de communication sur le VIH et la santé sexuelle seraient également envisagées ?
Complètement. Il faut des moyens massifs pour la santé, non seulement pour soigner mais également pour faire de la prévention. On voudrait aussi que la sécurité sociale rembourse l’ensemble des besoins et pouvoir en finir avec les mutuelles. Enfin, sur la question du VIH, l’enjeu international est fondamental. En ce sens, on est pour l’expropriation des grandes entreprises pharmaceutiques et la levée de tous les brevets pour permettre à l’ensemble des pays du monde d’accéder aux traitements VIH, et autres.
Vous promettez l’abrogation de la loi de pénalisation des clients, aussi, comme l’exigent les travailleuses·eurs du sexe depuis 2016. Pourquoi ?
D’un côté les gouvernements successifs détruisent les acquis sociaux, l’accès à la santé, aux papiers pour les personnes migrantes, et de l’autre ils se vantent de mettre en place des soi-disant « parcours de sortie » de la prostitution. Pour en finir avec la prostitution, il faut commencer par dénoncer l’hypocrisie terrible des institutions et rappelez qui est le plus grand proxénète : l’État. C’est pour cela que nous ne pouvons que nous opposer à toutes les mesures répressives comme la loi de pénalisation des clients, défendre l’accès à tous les droits démocratiques pour celles qui se disent travailleus.es du sexe et leur auto organisation au côté du mouvement ouvrier, face à ce système qui jette toute une partie de la population mondiale dans l’exploitation la plus féroce dont l’exploitation sexuelle !
La question du travail du sexe est encore un tabou chez les communistes ? Pourquoi ?
C’est une question très complexe liée à l’histoire des rapports entre la lutte contre l’oppression de genre et celles du mouvement ouvrier, ainsi que la place de la lutte contre le patriarcat dans les organisations révolutionnaires d’extrême gauche. Le "tabou" est plus qu’un tabou quand il se transforme en soutien explicite à loi de pénalisation des clients ou au soutien de la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles. Cela est une conséquence de l’adaptation de la gauche institutionnelle, et de certaines organisations d’extrême gauche, au régime démocratique bourgeois.
À l’échelle européenne, pensez-vous que les institutions font assez pour garantir les droits des personnes LGBTQI+ ?
Clairement pas assez, mais nous n’avons rien à attendre de ces institutions. Toutes les victoires, et les plus grandes, pour les femmes et personnes LGBTI, le mouvement LGBTI et féministe les ont arrachées dans des moments de lutte de classes aigus !
Que faire en réaction aux gouvernements ouvertement LGBTQIphobes de Pologne ou de Hongrie ?
Notre positionnement n’est pas institutionnel : nous sommes pour une Europe des travailleurs·euses, et une révolution socialiste ne viendra jamais des institutions bourgeoises, mais de notre capacité d’organisation collective. Donc on soutient avant tout les personnes et collectifs qui se mobilisent contre ces gouvernements réactionnaires, à l’image des dizaines de milliers de manifestant·e·s qui ont pris la rue après la mort d’Izabela en Pologne en novembre dernier, ou de celles et ceux qui ont lutté contre la politique homophobe d’Orban. C’est leur lutte qui est la meilleure des réponses, pas des postures diplomatiques par en haut.
"Un cocktail explosif de la classe ouvrière, des quartiers populaires et des LGBTQI+, c’est ça, la gueule de la révolution !"
Et au niveau mondial, que devraient être nos relations avec des pays dont on connaît les politiques LGBTQIphobes comme la Russie, le Qatar ou le Brésil ?
Même réponse. Partout dans le monde, nous soutenons l’auto-organisation pour lutter contre toutes les formes d’oppression et de domination. Un cocktail explosif de la classe ouvrière, des quartiers populaires et des LGBTQI+, c’est ça, la gueule de la révolution ! Depuis un pays impérialiste comme la France, ça va de pair avec dénoncer la politique de notre État et soutenir toutes ces mobilisations. On a également des liens politiques avec des militantes et militants LGBTI dans ces pays, je pense par exemple à Virgínia Guitzel, une camarade trans brésilienne qui fait partie de notre organisation internationale.
Que pensez-vous d’une union de la gauche ?
Elle n’aura pas lieu, il faut arrêter ! Le problème aujourd’hui, ce n’est pas l’union de la gauche car il n’y a pas d’union à droite non plus, ce qui ne l’empêche pas de cumuler 70% des intentions de vote. Le souci de la gauche institutionnelle, c’est qu’elle a tellement trahi en étant au pouvoir que la classe populaire qui l’y a mise ne veut plus se déplacer. Je sais que ça peut paraître paradoxal, mais je ne crois pas au processus électoral.
Pourquoi cette candidature, alors ?
Nous voulons profiter de l’élection pour valoriser les nouvelles générations de militant·e·s ainsi que leurs discours solidaires et éclairés quant aux cinq années de lutte qui viennent de s’écouler, entre la loi El Khomri et le mouvement Black Lives Matter. Le souci n'est pas de savoir quel·le bourgeois·e on va mettre au pouvoir mais de pouvoir profiter de cette séquence électorale, sans faux espoirs, pour imposer une ligne politique révolutionnaire, qui dialogue avec celles et ceux qui ont lutté sous le quinquennat Macron, des Gilets jaunes à la Pride radicale en passant par la grève contre la réforme des retraites et les mobilisations contre les violences sexistes. Et se préparer pour les combats à venir ! Imaginez, ne serait-ce que 10% de votes pour ces positions-là… ce serait énorme comme message politique, sur le long terme.