TRIBUNE. Victor Madrigal-Borloz, expert à l'ONU en charge des discriminations liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre, appelle à la mobilisation après l'invasion de l'Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine.
Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, intersexes (LGBTQI+) sont particulièrement vulnérables aux actes de stigmatisation, de harcèlement et de violence de la part des combattants armés et des civils, que ces actes soient motivés par l'opportunisme, liés plus largement à des schémas sociaux discriminatoires ou le résultat d'une répression politique ciblée.
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Lors d’une visite officielle en Ukraine en 2019, j'ai observé des développements positifs engagés par le pays, bien qu’il reste des défis à surmonter. Je déplore que l'opération militaire de la Fédération de Russie et le conflit armé qui s'ensuivit ne conduisent à détruire des décennies de progrès dans la lutte contre la discrimination et la violence fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre dans la loi, dans l'accès à la justice et dans les politiques publiques, notamment dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de l'emploi et du logement.
Des risques de persécution spécifiques
Après plusieurs semaines de conflit, je note qu’au-delà des défis existant avant le début de l'invasion militaire, les personnes LGBTQI+ subissent des risques de persécution spécifiques et particulièrement aigus depuis le début du conflit armé et dans le cadre des efforts de réponse humanitaire. Un exemple particulièrement parlant est celui des personnes trans dont les documents d'identité ne correspondent pas à leur genre ou à leur présentation physique, qui rencontrent de graves difficultés lorsqu’elles se présentent aux points de contrôle, aux passages frontaliers, aux centres d'accueil ou aux établissements de santé. Concrètement, cela se traduit notamment par des difficultés à évacuer les enclaves civiles par des couloirs humanitaires, à obtenir des exemptions médicales du service militaire obligatoire réservé aux hommes, à être admis aux postes de frontières en tant que réfugiés, et à accéder à un logement sûr avec des installations sanitaires adéquates, à des soins médicaux appropriés et aux services de santé reproductive. Ces obstacles augmentent la probabilité que certaines personnes soient poussées à rechercher des voies irrégulières afin de se mettre en sécurité, avec les risques de trafic, d'exploitation et d'abus que cela comporte.
Dans les conflits armés, les personnes LGBTQI+ sont souvent marginalisées ou exclues de nombreux services d'évacuation et d'intervention d'urgence, en particulier ceux qui opèrent dans des environnements où le fait d'avoir une orientation sexuelle et une identité de genre différentes est considéré comme politiquement sensible. Nombre d’entre elles sont livrées à elles-mêmes et exposées à des risques d'abus et de violence le long des itinéraires migratoires, aux passages de frontières, dans les centres d'accueil, les abris collectifs, les camps et les établissements de santé.
La protection des LGBTQI+, un impératif des droits humains
La protection des personnes LGBTQI+ est un impératif des droits humains et ne devrait pas être soumise à la discrétion politique. En cas de conflit armé, de solides mécanismes de surveillance des droits humains sont prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les droits de chaque partie au conflit. Les personnes LGBTI ne sont pas exemptées de l'exercice de leurs droits dans de telles situations exceptionnelles.
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Je salue les actions de nombreux États, en particulier ceux qui sont voisins de l'Ukraine, pour admettre sur leur territoire les personnes fuyant le conflit, ainsi que celles de l'Union européenne qui leur offre une protection temporaire. Je souligne également que les États qui fournissent protection et assistance doivent renforcer leur capacité à répondre efficacement aux personnes déplacées dont l'orientation sexuelle et l'identité de genre exacerbent leur exposition au risque. À cet égard, les organisations de la société civile qui servent les personnes déplacées LGBTQI+ sont souvent les mieux placées pour fournir des connaissances spécialisées sur la façon dont l'orientation sexuelle ou l'identité de genre créent des facteurs de risque spécifiques pendant ce conflit, ainsi que sur la façon de répondre le plus efficacement possible.
Les organisations LGBTQI+ à l'avant-garde de la mobilisation
Les États et les agences humanitaires doivent veiller à ce que les organisations de la société civile possédant une expertise sur les enjeux liés aux personnes LGBTQI+ soient incluses dans la planification et la mise en œuvre de tous les efforts d'assistance humanitaire et de rétablissement. J'ai reçu de nombreuses informations attestant que les associations de personnes LGBTQI+ s'organisent et utilisent leurs importantes connaissances pour répondre à cette crise et répondre au mieux aux besoins des personnes déplacées de force qui sont LGBTQI+. Ces organisations ont été à l'avant-garde de la mobilisation afin de trouver des solutions à la crise.
J'appelle les États, les membres de la communauté internationale, les forces de sécurité, les agences humanitaires, les organisations des droits humains et de la coopération au développement à accorder l'attention nécessaire à la vulnérabilité et aux besoins spécifiques des personnes LGBTQI+ qui ont été déplacées de force. Nous nous trouvons à un moment crucial pour se rassembler et fonder des mécanismes efficaces qui non seulement protègent les personnes LGBTQI+ dans les situations de conflit armé, mais qui garantissent également leur pleine participation aux processus politiques, de paix et de responsabilité une fois que les hostilités ont cessé.
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Crédit photo : Ahmed Zalabany / Unsplash