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législativesNadhéra Beletreche : "Ce gouvernement a contribué à banaliser l’extrême droite"

Par Nicolas Scheffer le 31/05/2022
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[Interview] Connue pour son militantisme contre le racisme et pour les droits des personnes LGBTQI+, Nadhéra Beletreche est candidate aux élections législatives pour la Nupes dans la 9e circonscription de l'Essonne.

Battre le pavé, c'est bien, écrire la loi, c'est mieux. C'est dans cet esprit que Nadhéra Beletreche veut passer du militantisme à l'action publique. D'antiraciste, féministe, écologiste et militante LGBTQI+, elle veut désormais poursuivre le combat à l'Assemblée nationale où elle se présente aux élections législatives dans la 9e circonscription de l'Essonne pour la Nupes, l'alliance des gauches formée derrière Jean-Luc Mélenchon.

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Les retards de l'accès à la PMA pour toutes les femmes ? La candidate peut en témoigner personnellement. Faute de pouvoir engager un parcours en France, elle l'a débuté il y a cinq ans, à l'étranger, et dépensé 20.000 euros. Au pouvoir, elle compte bien faire avancer le programme de l'Union des gauches : une PMA "réellement pour toustes", la filiation par reconnaissance comme principe ou la déjudiciarisation et la prise en charge des parcours de transition. Entretien.

Pourquoi être candidate aux législatives ?

Nadhéra Beletreche : Je suis issue d’un parcours militant centré sur les quartiers populaires, les enjeux féministes et contre les LGBTphobies. J’ai commencé à m’engager en 2005 après la mort de Zyed et Bouna alors qu’ils échappaient à la police. Je vois les limites de ces actions à un niveau associatif : depuis 2005, le racisme progresse. Et alors que les idées d’extrême droite fleurissent, on n’entend pas de contre-discours. Dans sa chasse à "l’islamogauchisme", au "wokisme" ou aux études intersectionnelles, ce gouvernement a contribué à banaliser les idées d’extrême droite et la stigmatisation des quartiers populaires. On ne peut pas compter sur Emmanuel Macron pour endiguer les idées racistes. S’il faut mener ces luttes, c’est en investissant les lieux de pouvoir. 

D’où est né votre engagement militant ?

Zyed et Bouna sont deux adolescents morts électrocutés lors d’un contrôle de police. À cette époque, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, opposait les "racailles" aux "vrais jeunes". Faisant des études, j’étais manifestement dans la seconde catégorie, mais je ne voulais pas entrer dans cette dichotomie. Avec des amis, on a créé le collectif "Racaille de France". On a fait des opérations coup de poing, en installant sur les institutions des plaques commémoratives en hommage à nos grands-parents qui ont fait des guerres et participé à la construction de la France. Très vite, j’ai compris que j’appartenais à un groupe stigmatisé construit comme un ennemi de l’intérieur. Depuis, les idées d’extrême droite nous placent comme une menace pour la sécurité, pour l’égalité femme-homme, pour la laïcité mais aussi pour l’identité de la France.

Vous avez aussi co-fondé "Mille et une lesbiennes et queer". Qu’est-ce qui nécessitait ce collectif ? 

Il y a une invisibilité énorme des personnes queers et racisées et un besoin de se raconter. Le but est de parler du quotidien de femmes queers issues de l’immigration du Maghreb et du Moyen-Orient, et de diffuser gratuitement ces récits sur les réseaux sociaux. On veut montrer à d’autres femmes, notamment aux plus jeunes, qu’elles ne sont pas seules. On aimerait également déconstruire certains stéréotypes qui visent à nous hypersexualiser, nous fétichiser.

Vous avez entamé une PMA à l’étranger avant l’adoption en France de la PMA pour toutes. On en aura perdu, du temps…

François Hollande nous aura fait perdre dix ans pour l’adoption de la PMA pour toutes. Emmanuel Macron a choisir de la rendre possible cinq mois avant la fin de son mandat. Entretemps, de nombreuses femmes sont devenues infertiles. Mon parcours a commencé il y a cinq ans. À l’étranger, cela m’a coûté 20.000 euros et occasionné de nombreuses souffrances psychologique et physiques. Par ailleurs, la PMA en France est toujours discriminante à de nombreux égards : elle n’est toujours pas autorisée aux hommes trans, les centres ne sont pas dimensionnés comme ils devraient l’être, la technique de la Ropa [qui permet d’utiliser les ovocytes de sa partenaire, ndlr] n’est toujours pas autorisée alors qu’elle l'est dans de nombreux pays… Des femmes noires ont témoigné avoir attendu dix ans pour avoir accès au don d’ovocytes de femmes noires. De fait, il n’y a que deux centres dédiés aux dons dans toutes les outre-mers. Enfin, le traitement par fécondation in vitro est autorisée jusqu’à 43 ans et le transfert d’embryon jusqu’à 45 ans, mais de nombreux Cecos ne respectent pas la loi, refusant tout traitement au-delà de 40 ans. 

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Comment expliquer qu’il y ait si peu de représentation lesbienne en politique ? 

À chacune de ses intervention, Alice Coffin doit faire face à un tombereau d’insultes lesbophobes, au point qu’elle doit être sous protection policière. Il y a une forme d’auto-censure que l’on peut évidemment comprendre. D’autre part, elle l’a démontré dans Le Génie lesbien, il y a une invisibilisation des lesbiennes car l’orientation sexuelle de personnes qui le revendiquent est passée sous silence. Les lesbiennes ont également plus de difficultés à se montrer dans l’espace public, à s’embrasser ou se tenir la main. Il y a un vrai risque d’être exposées à des violences. 

Nous célébrons cette année les 40 ans de la dépénalisation de l'homosexualité, ne manque-t-il pas une reconnaissance officielle de cette page de notre histoire ?

Évidemment. Jusqu’à la dépénalisation, les personnes LGBTQI+ ont subi une maltraitance incroyable dont il faut se souvenir, et il est nécessaire de faire un travail d’archives et de mémoire. Comme pour les luttes coloniales, la mémoire LGBTQI+ nécessite un travail énorme. Mais le simple fait de questionner ces sujets est épidermique, comme lorsqu’on interroge la nécessité d’une statue commémorant le général Bugeaud, dont les crimes barbares sont documentés.

Comment avez-vous réagi lorsque la Nupes a retiré son investiture à Taha Bouhafs, accusé de violences sexuelles ? 

Je n’ai jamais travaillé avec lui directement, donc avant l’article de Mediapart révélant des accusations contre lui, je n’avais pas d’opinion à son sujet. À partir du moment où des femmes l’accusent d’agression sexuelle, je les crois et je trouve légitime de lui retirer son investiture par précaution, avant même les conclusions d’une enquête. Quel que soit le combat de l’homme accusé d’agression sexuelle, il n’y a pas de raison de le protéger. Je n’arrive pas à expliquer le flottement qu’il y a eu, en laissant croire que la Nupes lui a retiré son investiture en raison du racisme qu’il a subi plutôt que des accusations portées contre lui. Ce qui n’enlève rien au racisme dont il a été victime. Mais la procédure mise en place par La France insoumise a été exemplaire. Certains partis, ou le gouvernement, feraient bien de s’en inspirer… Un de mes plus forts souvenirs de cette campagne est déjà ma prise de parole contre le gouvernement de la honte. J’ai fait tout mon discours sur la nécessité de ne pas nommer des ministres accusés d’agression sexuelle ou des ministres homophobes.

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Crédit photo : Capture d'écran Twitter / Jean-Luc Mélenchon