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législativesClément Beaune : "Je veux m'engager à Paris pour plusieurs combats électoraux"

Par Nicolas Scheffer le 18/05/2022
Clément Beaune est secrétaire d'Etat aux Affaires européennes

[Interview] Clément Beaune, l'un des visages LGBTQI+ de la macronie, est investi candidat de Renaissance aux élections législatives à Paris. Le secrétaire d'État sortant aux Affaire européennes explique à têtu· le sens de son engagement dans la capitale.

Temps suspendu en macronie. Vendredi 13 mai, alors que l'on ne connaît toujours pas le nom de la future Première ministre, les membres du gouvernement sortant ne savent pas de quoi sera fait leur avenir. Clément Beaune, secrétaire d'État en charge des Affaires européennes, est encore dans son bureau au premier étage du ministère des Affaires étrangères, où il nous reçoit. Lui pourrait être reconduit sur la base de son bilan jugé positif, mais il pourrait aussi changer de maroquin. Quoi qu'il en soit, il souhaite s'inscrire dans la durée en politique. Celui qui ne s'est, à 40 ans, pas encore confronté au suffrage des Français, souhaite devenir député. Pas n'importe où : à Paris, où le ministre gay a grandi.

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Plus précisément, Clément Beaune se présente sous les couleurs de Renaissance dans la 7e circonscription de la capitale, qui comprend le quartier du Marais. Il y fera face à une autre militante des droits LGBTQI+, l'avocate à la Cour européenne des droits de l'homme Caroline Mecary, qui représente la Nupes, l'alliance des partis de gauche formée derrière Jean-Luc Mélenchon. Si tout deux se battent pour l'avancée des droits des personnes LGBTQI+, le reste les oppose. L'une accuse Emmanuel Macron d'être un "président illibéral", l'autre pourfend la "désobéissance" aux règles européennes. Et laisse entrevoir, entre les lignes, l'ambition qu'on lui prête de briguer la mairie de Paris en 2026…Entretien.

Pourquoi être candidat à l'élection législative ?

Clément Beaune : Cela fait longtemps que je suis investi dans l'action publique, comme fonctionnaire, conseiller ministériel puis du président, et comme militant depuis le début d'En Marche. Je souhaite m’inscrire durablement dans l'action politique et donc affronter une élection. Comme élu national, je souhaite donner une majorité d'action au gouvernement dans la fidélité à mes convictions européennes, à l'égalité, à l'écologie. Et précisément comme élu de Paris parce que c'est l'endroit où je vis, où j'ai grandi.

Quelles sont vos attaches avec cette circonscription de Paris ?

Je suis très familier du quatrième arrondissement, de par mes origines familiales [l'arrondissement accueille une importante communauté juive, dont est issue la mère de Clément Beaune, ndlr]. J'y suis également beaucoup sorti, je suis fan du Tango, j’ai d’ailleurs hâte qu’il rouvre ! Quand on est jeune et qu’on n’ose pas entrer dans un bar gay, l’Open café a aussi été pour moi le moins intimidant : j’y suis très attaché et je suis très ému qu’il ferme.

"Je veux m’engager à Paris pour plusieurs années, et plusieurs combats électoraux."

Resterez-vous le "monsieur Europe" d’Emmanuel Macron ? 

J’ai eu la chance de connaître les grands sommets, les négociations entre chefs d’État ou de gouvernement. J’aimerais redevenir ministre mais j’aspire aussi à avoir un enracinement local, à l’endroit où j’ai construit ma vie. Tous les députés peuvent être amenés à entrer un jour au gouvernement, et cela ne dure qu’un temps. On dispose d’un suppléant, en l'occurrence une excellente suppléante, Clara Chassaniol, donc il n’y a pas de vacance ou de distance si j’entre au gouvernement. Mais je veux m’engager à Paris pour plusieurs années, et plusieurs combats électoraux.

Quelle sensibilité voulez-vous incarner au sein du groupe macroniste à l'Assemblée ?

J’ai une sensibilité sociale-démocrate européenne. Ces dernières semaines ont renforcé ma conviction, quand je vois la Nupes [l’alliance des Insoumis, écologistes, socialistes et communistes, ndlr] et la honte du reniement chez certains ex-socialistes et ex-écologistes qui soutiennent, dans ma circonscription, une candidate qui n’est qu’insultes et invectives. Est-ce qu’Olivier Faure, Fabien Roussel, Julien Bayou sont d’accord avec les propos qu’elle a tenus à deux reprises sur Israël qu'elle qualifie de régime d’apartheid ? Est-ce leur conception politique lorsqu’elle dit de monsieur Delanoë qu’il est une "momie", que Mme Taubira est une "imposture" ? Caroline Mecary est le visage de cet accord le plus violent, agressif et contraire à la vraie gauche de gouvernement. 

Me Mecary est aussi une avocate ouvertement lesbienne, engagée sur les sujets LGBTQI+ à la Cour européenne des droits de l’homme...

On a des engagements partagés. On pourrait se retrouver sur certains points. Mais David Belliard [adjoint gay EELV à la mairie de Paris, ndlr] incarne une gauche écologiste beaucoup plus républicaine. On lui a préféré le profil radical de Mme Mecary qui a été élue socialiste à Paris, candidate aux régionales sous la bannière d’EELV et qui s’est découvert un amour pour la radicalité de Jean-Luc Mélenchon, la poussant à l’extrême. 

Lorsqu’elle affirme qu’Emmanuel Macron est un "président illibéral", ça doit vous hérisser aussi ?

Une avocate sait que les mots ont un sens. Moi qui m’occupe des Affaires européennes, je sais dans quel contexte on utilise ce mot revendiqué par Viktor Orbán [en Hongrie, ndlr] ou par l’extrême droite polonaise. Je suis allé dénoncer les zones anti-LGBT en Pologne, on m’en a interdit l’accès. Depuis, certaines de ces zones ont été levées. J’ai également dénoncé la loi homophobe hongroise. J’ai porté ces combats contre l’illibéralisme. Je sais ce que c’est. 

Un de vos arguments contre la France insoumise est de dire que si on déroge aux règles européennes, il y aura des sanctions. Mais pourquoi ne sont-elles pas prises contre la Pologne et la Hongrie qui violent quotidiennement les traités ?

Il y a des procédures enclenchées, je me suis battu pour cela. Ces pays ont été condamnés à plusieurs reprises par la Cour de justice de l’UE. Et je n’aimerais pas être à la place de la Pologne et la Hongrie, qui sont ostracisées à chaque sommet. Mais ma vision n‘est pas celle de la sanction. Les tensions politiques sont normales dans le fonctionnement de l’Europe. La désobéissance, c’est très différent : si on choisit seul ses règles, il n’y en n’a plus et cela conduit au délitement. Mitterrand voulait "changer la vie", c’est exactement le contraire de l’insoumission, qui n’est qu’agitation et renoncements.

Des femmes ukrainiennes qui portaient des enfants pour le compte d’autrui sont récemment arrivées en France et sont sur le point d’accoucher. Est-ce qu’on peut les protéger ?

Sans hésitation, il faut donner un statut juridique et une reconnaissance à ces enfants. En lien avec le conflit, je me suis battu, avec notre ambassadeur, pour protéger de nombreuses familles qui ont fait une GPA en Ukraine. Je me battrai pour qu’il y ait un statut de reconnaissance simple, direct et complet pour ces enfants. Ces enfants nés d’une GPA ne doivent avoir aucun problème pour être reconnus à l’état civil.

Il y a la reconnaissance et les éventuelles poursuites pénales contre les parents…

Il faudra mettre en place les solutions politiques et juridiques nécessaires pour qu'il n'y ait pas de poursuites contre les familles que leurs droits soient garantis. Les familles qui, de bonne foi, ont suivi une procédure qui aurait dû aboutir si la guerre n'avait pas eu lieu, on ne peut pas les pénaliser en raison du conflit. Il faut regarder quels outils mobiliser rapidement. Je ne vois pas quel procureur irait engager de telles poursuites. Cela doit faire partie des orientations judiciaires claires d'un gouvernement.

"Il faut faire aboutir le projet d'archives LGBTQI+."

Quels sujets LGBTQI+ souhaitez-vous porter dans le quinquennat qui s'ouvre ?

Il faut faire aboutir le projet d’archives LGBTQI+ à Paris. Je sais que ce sera difficile, qu’il faut coordonner beaucoup d’acteurs : la mairie, l’État... Au niveau local, je pense aussi qu’on a besoin d’un centre de dépistage supplémentaire au cœur de Paris. Pour avoir rencontré le MAG jeune et d’autres associations, je sais qu’il manque un local associatif. 

L’idée qu’on doit conquérir de nouveaux droits ne doit pas nous faire oublier que les droits existants ne sont pas garantis : moi-même qui n’ai pourtant pas grandi dans un milieu hostile, j’ai attendu 38 ans avant de faire mon coming out au sein de ma famille. La politique du prochain gouvernement, ça doit être un soutien renforcé, y compris financièrement, envers les associations. C’est un renforcement de la sensibilisation à l’école, scandaleusement présentée comme "propagande LGBT" par les pires réactionnaires.

Cette année, nous allons fêter les 40 ans de la dépénalisation de l’homosexualité. Ne faudrait-il pas une prise de parole présidentielle pour reconnaître cette histoire et ses victimes ? 

Cette victoire de la gauche en 1982 est particulièrement importante. Je crois beaucoup à la force des commémorations. En Allemagne, jusque dans les années 1960, on risquait une peine élevée pour homosexualité. En France, une majorité sexuelle différenciée permettait également de pénaliser une pratique sexuelle. Il faut le dire aux jeunes. Cela participe au retour de l’homophobie de ne pas connaître notre passé, même très récent, cela contribue à banaliser les propos homophobes. On ne doit surtout jamais croire que nos droits sont acquis et protégés, ce n’est pas le cas, ni en Europe, ni en France. 

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Crédit photo : Judith Litvine / MEAE