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interviewOuissem Belgacem sur le Mondial au Qatar : "C'est une incroyable occasion manquée"

Par Nicolas Scheffer le 23/11/2022
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Dans une interview à têtu·, l'ancien joueur de football revient sur l'organisation de la Coupe du monde 2022 au Qatar et revient sur la position controversée du capitaine de l'équipe de France, Hugo Lloris, qu'il ne juge pas à la hauteur des enjeux.

Pour commencer, un choix incompréhensible : le Qatar accueille jusqu'au 18 décembre la Coupe du monde 2022 de football. Et depuis l'attribution du Mondial à ce pays hôte, les autorités sportives n'ont fait aucun pas pour dénoncer son homophobie d'État, le désastre écologique que représente la construction de stades climatisés dans le désert ou encore les 6.500 ouvriers migrants morts sur les chantiers de l'événement, selon le Guardian.

Récemment, Hugo Lloris, le capitaine de l'équipe de France, a justifié son refus d'arborer les couleurs du brassard anti-discrimination "One Love" par le "respect" du pays hôte. Le joueur aurait également qualifié les insultes homophoes entendues dans les stades de foot de "folklore" faisant "partie du décor". Quant à la Fifa, elle menace désormais de sanctions les joueurs qui voudraient mettre en avant leurs valeurs humanistes, jugeant qu'ils n'ont pas à politiser un sport qui l'est pourtant par essence.

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De quoi faire sortir de ses gonds Ouissem Belgacem – à qui têtu· avait consacré une de ses couvertures de l'été 2021 –, qui prône l'inclusivité des personnes LGBTQI+ dans le foot. Depuis la parution de son livre Adieu ma honte, cet ancien joueur essaime les clubs pour prêcher la tolérance et sensibiliser les joueurs pros et amateurs. Il dénonce le manque de courage des joueurs de foot, dont le rôle à ses yeux ne s'arrête pas à courir derrière un ballon. Interview.

Tu es choqué par la décision de la Fifa d'interdire de porter des brassards contre les discriminations ?

Ouissem Belgacem : Il y a 12 ans, lorsqu'on nous a vendu que la Coupe du monde allait se dérouler au Qatar, les autorités nous ont dit que cela permettrait de faire avancer les droits humains dans ce pays, et que nous allions pouvoir y défendre nos valeurs. Aujourd'hui, les instances se couchent devant la censure et la pression qatarie parce qu'elles se désintéressent totalement des droits élémentaires. Résultat, l'ouverture potentielle du Qatar a été réduite à néant.

L'objectif de ces brassards, c'est de parler à la population locale ou occidentale ?

Les deux, bien évidemment, puisque cette Coupe du monde sera extrêmement regardée dans les pays arabo-musulmans. Évidemment, ces brassards n'auraient rien changé concernant la loi criminalisant l'homosexualité. Mais ils représentaient les prémices d'un début de conversation sur le sujet. Et quand je vois la froideur de la réponse d'Hugo Lloris, le capitaine de l'équipe de France, à ce sujet, le message qu'il envoie c'est qu'il n'est pas du côté des personnes discriminées. Il a un manque cruel d'empathie, probablement parce qu'il ne connaît personne d'ouvertement homosexuel. Désormais, un joueur dans le placard et qui souhaiterait en sortir va évidemment penser que son coming out ne sera pas accueilli favorablement. Ce qui est dingue, c'est qu'une personne à ce niveau de responsabilités dans l'équipe n'ait pas été éduquée pour mieux parler dans les médias et devant tout le monde des questions LGBTQI+.

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Le sport serait donc politique, contrairement aux déclarations d'Emmanuel Macron ?

Évidemment que le sport est politique. Quand tu es capitaine de l'équipe de France, tu n'es pas qu'un joueur de foot, tu ne fais pas que courir derrière un ballon, mais tu es un leader d'opinion avec toutes les responsabilités que cela implique. Ça ne lui aurait strictement rien coûté de se placer de notre côté. C'est une incroyable occasion manquée. On est bien loin de la Coupe du monde 98 où l'on avait réussi à fédérer les Français derrière les valeurs humanistes.

Comment expliquer que la France soit particulièrement en retard sur ce plan par rapport à d'autres pays européens ?

C'est vrai que nous sommes à la traîne. Pour donner un exemple, la fédération belge m'a appelé pour sensibiliser les joueurs dans le cadre de son programme "Come together". En France, alors que j'habite à quinze minutes de la FFF, on ne m'appelle même pas. La France se voit beaucoup plus progressiste qu'elle ne l'est véritablement, alors qu'on est un pays très conservateur. J'ai beaucoup de respect pour les sept nations qui ont au moins essayé de porter le brassard.

Tu comprendrais qu'Emmanuel Macron se rende au Qatar si l'équipe de France arrivait dans le dernier carré ?

Ce serait tellement décevant. Le fait d'aller là-bas, et encore plus de s'y taire, montre que tu tolères ce qui s'y passe : une femme ne peut pas voyager sans l'autorisation d'un membre masculin de sa famille, et tu risques sept ans de prison si tu es homo, voire la peine de mort si tu es musulman. C'est en refusant d'y aller que l'on fait bouger les consciences. Cela provoque le débat. Or, de la même manière qu'il existe du pinkwashing, il y a du sportwashing, et il faut s'y opposer.

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Crédit photo : Gorka Postigo pour têtu·