[Un portrait à lire dans le magazine têtu·] Trouver un streameur gay chez les gameurs revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. L’aiguille s’appelle Newtiteuf – de son vrai nom Julien Dachaud – et, depuis 2017 sur Twitch, YouTube et Twitter, ce virtuose de “Pokémon” est le visage en France du gayming.
La caméra est lancée, l’éclairage en place, le micro allumé. “Test, test.” Newtiteuf va pouvoir présenter en direct son test exclusif du dernier jeu “Pokémon” sur Nintendo Switch, un mois avant sa sortie. Il avertit sa communauté sur Twitter et Instagram, puis accueille le public sur le tchat de sa vidéo en live. À 28 ans, Julien Dachaud – de son vrai nom – est une petite star du milieu gameur sur YouTube : plus de 1,28 million de personnes sont abonnées à sa chaîne. Spécialisé dans les jeux “Pokémon”, “Les Sims” et “Mario”, il partage des tests, des actualités sur les prochaines sorties, mais surtout ses propres parties filmées, des let’s play, qui peuvent durer jusqu’à trois heures, en totale improvisation.
Dans le numéro du mois, @TETUmag fait la part belle au monde du gaming dans un dossier très dense. Certains de nos membres ont pu être interviewés, mais aussi @Newtiteuf ! On vous invite à découvrir ce reportage qui parle avec justesse de nos enjeux au sein de nos passions.#LGBT pic.twitter.com/3TOIgJrquw
— Next Gaymer (@NextGaymer) December 6, 2022
Sa dernière série en date se déroule dans Les Sims 4, un jeu de simulation de vie “réelle”. On suit les aventures de Sean-Lou Gayroux, “un loup-garou adolescent qui va devoir trouver sa place dans sa vie de lycéen et peut-être trouver l’amour”. Si le streameur est surtout une référence en tant que dresseur Pokémon, il est également passé maître dans l’art de la séduction de personnages non jouables : “En combien de temps on va réussir à le pécho ?” se demande-t-il après avoir amené Sean-Lou Gayroux à rencontrer un jeune et joli camarade de classe.
Un coming out non prémédité
Streameur depuis 2011, Newtiteuf s’est lancé dans des let’s play sur Les Sims 4 en 2014, l’année de sa gay-piphanie. Son approche est alors plutôt inédite. “Dans le jeu, je passais mon temps à draguer des mecs. Les gens trouvaient ça drôle. Ils ne comprenaient pas que c’était la réalité”, raconte le jeune homme qui, trois ans plus tard, devient le premier streameur français à faire son coming out gay.
À l’origine, une vidéo “postée à chaud”, en 2017, de dix minutes, dans laquelle il expliquait ses difficultés à trouver un appartement avec “son copain”. “Les trois quarts des commentaires ont tiqué sur ce mot, se souvient le youtubeur. Je n’avais rien prémédité. Je me suis senti obligé de faire une mise au point afin de mettre un terme aux spéculations.” Il se livre alors de manière directe, sans trémolo. Certains y voient pourtant la déchéance d’un héros qu’ils suivaient depuis ses premières vidéos, en 2011.
“Je voulais juste continuer à vivre ma vie sans me battre.”
Newtiteuf
À l’époque, le jeune lycéen dijonnais n’avait pas encore conscience de son homosexualité, et craignait les moqueries de ses camarades concernant son activité de streameur. Juste avant son coming out, il avait fait une série de vidéos où son personnage, en couple avec une femme, finissait par la quitter pour un homme. “À la limite de l’autobiographie”, s’exclame-t-il, fier de ce clin d’œil.
Une fois l’étape du coming out passée, le jeune homme n’eut plus qu’une envie, retourner à sa console. “Je n’avais pas l’intention de m’engager plus que ça, de militer, admet-il. Je voulais juste continuer à vivre ma vie sans me battre.” Mais petit à petit, sa mentalité évolue : “Quand je participais à des conventions de jeux vidéos, des gens qui avaient vu ma vidéo de coming out se mettaient à pleurer dans mes bras en me disant qu’elle les avait aidés. Alors j’ai commencé à me demander pourquoi je ne faisais pas plus, et comment m’engager sur des événements tant qu’ils restaient dans mon domaine de compétences.”
De gameur à gaymeur
C’est ce qui l’a amené à participer cette année à la Pride Race organisée par Urgence homophobie pendant le Mois des Fiertés, où plusieurs gameurs célèbres jouent à Mario Kart et streament leur partie avec un hashtag dédié. En juin, Newtiteuf a également parrainé le marathon Jouons pour SOS homophobie, soutenu par Next Gaymer, une association de geeks et de gameurs LGBTQI+. Sur Twitch, la plus grande plateforme de live streaming, il a alors enchaîné les parties durant des heures. “Je me sens légitime à le faire, non pas parce que je suis gay, mais parce que ça a de l’importance pour d’autres personnes”, insiste Julien Dachaud.
Cinq ans après son coming out, le streameur est néanmoins toujours la cible de messages d’insultes. “Environ une fois par semaine, je reçois un mail, un tweet où l’on me dit « va crever », « tu iras en enfer »”, révèle-t-il d’un air détaché. Il n’hésite d’ailleurs pas à dénoncer ses haters pour l’exemple, avec humour. “Moi, j’ai les armes pour m’en protéger, mais lorsqu’on n’a pas toute une communauté derrière soi, ça peut atteindre lourdement”, ajoute le jeune homme.
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D’ailleurs, son coming out continue de vivre sa vie sur les réseaux : “Beaucoup détournent la séquence où je disais « je suis gay, je suis homosexuel, c’est-à-dire que je ne vois pas ma vie avec une femme mais avec un homme » sur TikTok, et montrent des gens qui jouent mal, déplore-t-il, par exemple pour se moquer des joueurs qui campent [qui attendent l’adversaire en sécurité] sur un FPS [jeu de tir]… Sous-entendu, camper dans le jeu de guerre « Call of Duty » c’est un truc de tapette, être nul dans les batailles magico-fantastiques de League of Legends c’est être une pédale, jouer le roi [jeu défensif] dans Clash Royal c’est être comme Newtiteuf.”
Évidemment, lorsque c’est pertinent et drôle, le streameur n’a aucun problème à voir ses vidéos tournées en dérision, bien au contraire. Le truc, c’est que ce n’est pas toujours le cas. “Quand je dénonce ces détournements homophobes sur Twitter, on m’oppose que je n’ai pas d’humour. C’est le souci quand tu fais partie d’une minorité”, s’agace-t-il. On peut toutefois compter sur lui pour passer le niveau à coup de vannes bien senties.
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