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reportage"On veut mettre en place les bases d'une éducation plus inclusive et émancipatrice"

Par Elodie Hervé le 02/01/2023
école enseignement

Afin de lutter contre les LGBTphobies et les stéréotypes de genre, l'association Andev a réuni des directeurs et des cadres de l’éducation des villes et des collectivités pour leur donner les moyens de faire bouger les lignes dans les établissements scolaires. Nous avons suivi ce congrès.

Insultes, humiliations, harcèlement… en 2022 encore, des jeunes LGBTQI+ ont subi des violences dans les établissements scolaires. Une haine qui a des conséquences dramatiques : en mai, dans un lycée du Mans, un jeune homme trans de 15 ans a mis fin à ses jours, quelques mois après le suicide de la jeune Dinah dans le Haut-Rhin. Face à ce dramatique constat, l’Association nationale des directeurs et des cadres de l’éducation des villes et des collectivités territoriales (Andev) a organisé en décembre 2022 son 30e congrès annuel sur le thème “Agir pour l’égalité des genres”. Pendant trois jours, environ 350 personnes réunies à Évian (Haute-Savoie) ont participé à des ateliers et à des mises en situation afin de mieux comprendre les rouages du genre, des stéréotypes, et la difficulté à être LGBTQI+ dans un environnement hétéronormé. 

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“On vit dans un système très normatif, reconnaît Rozenn Merrien, présidente de l’Andev, directrice générale adjointe des services éducation et jeunesse de la ville de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). On n'est pas spécialiste du sujet mais on sait l’importance d’avoir une éducation plus juste et égalitaire. Au début, on était parti sur l'égalité fille-garçon, mais on s'est vite rendu compte que l'on faisait fausse route. À travers ces trois jours, on veut mettre en place les bases d'une éducation plus inclusive et plus émancipatrice. Ce que l’on souhaite, c’est donner à chaque enfant, chaque jeune, la possibilité de faire des choix libres et éclairés, en sortant des normes classistes, sexistes et hétéronormatives.” 

Les bases d'une éducation inclusive

Les organisatrices ont notamment poussé les participant·es à réfléchir ensemble à des solutions pour améliorer l’accueil des mineurs dans les structures éducatives. Comment lutter contre les violences, les clichés ou encore les stéréotypes de genre ? Comment accompagner chaque personne pour qu’elle s’affirme et qu’elle puisse être elle-même sans subir de discriminations ? Comment ne pas reproduire les discriminations et éviter ainsi une éducation genrée ? “Il nous semblait important aussi de laisser s’exprimer celles et ceux qui vivent ces discriminations au quotidien, complète Marie-Christine Delaunay, vice-présidente de l’Andev. Dans nos professions, ce ne sont pas forcément des voix que l’on entend souvent.”

Parmi les témoignages entendus pendant ces trois jours, celui d'Alexis, un jeune homme trans de 15 ans. Face à une trentaine de personnes, il a détaillé comment le système éducatif français l’avait broyé : “Certains des profs ont refusé de m’appeler par mon prénom. Le CPE, qui pensait que les personnes LGBT étaient une secte, m’avait dit ‘j’espère que tu trouveras un autre établissement parce que je ne veux plus te voir ici l'année prochaine’… Les personnes présentes questionnent Alexis sur ses rapports au milieu éducatif, ou encore sur l’aide dont il aurait eu besoin et qui lui a fait défaut. "Peut-être qu’il m’aurait fallu plus d’écoute et de protection de la part du corps éducatif, répond le jeune homme. Je ne compte pas le nombre de fois où je suis allé aux urgences pour des fractures. Et quand je soulignais les difficultés que je rencontrais au collège, les profs me répondaient qu’il fallait que je m'endurcisse si je voulais être un homme.” 

Genre et binarité

Dans la salle d’à côté, les participants tentent de comprendre ce qu’ils auraient pu faire de différent s’ils étaient nés assignés dans l’autre genre. “Moi, j’aurais peut-être eu plus de places pour mes enfants dans ma vie, reconnaît un père. Et l'on m’aurait peut-être moins demandé de raconter de façon détaillée mes ébats sexuels quand j’étais ado.” “J’aurais peut-être pu être plus dehors, jouer sans faire attention à ma tenue et avoir une meilleure carrière ”, ajoute une participante.

À travers leurs exemples personnels, les participants, qui prennent peu à peu conscience de leurs privilèges et des façons différentes dont ils ont été éduqués en fonction de leur genre, arrivant ensemble à la conclusion que toute la société gagnerait à être plus inclusive et moins binaire. “La socialisation du genre va se construire très vite, ajoute Cléolia Sabot, doctorante à l’université de Lausanne en Suisse et intervenante au congrès. Aujourd’hui, 80% des parents veulent connaître le sexe de leur enfant avant la naissance. Cela leur permet de s'installer dans la parentalité.” 

“Les acteurs éducatifs n’ont pas forcément conscience de l’imprégnation culturelle ni de la façon dont ils et elles interviennent dans la reproduction des stéréotypes."

Rozenn Merrien, présidente de l’Andev

En utilisant des pubs, mais aussi des jouets, des livres, des vêtements, etc., Cléolia Sabot invite les participants à s’emparer des “lunettes du genre” afin d'observer les stéréotypes binaires qui nous entourent, de les comprendre et de les déconstruire. “Les acteurs éducatifs n’ont pas forcément conscience de l’imprégnation culturelle ni de la façon dont ils et elles interviennent dans la reproduction des stéréotypes, reconnaît Rozenn Merrien. Dès lors, comment peut-on accompagner les animateurs et animatrices, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) ou les agents des crèches, pour changer leur posture ? Cela passera par la formation et par la déconstruction de nos idées reçues, que ces idées soient sexistes, racistes, misogynes ou validistes.

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Fin du congrès, des mots et des larmes

"Sur le long terme, ces discriminations ont des conséquences, signalent les organisatrices de l’Andev dans leur conférence de clôture. Elles produisent des violences et peuvent influer sur la manière dont les personnes qui n’entrent pas dans les normes sont perçues par une partie de la société." À leurs côtés, la militante trans Natacha Taurisson conclut le congrès : “Quand j’ai fait mon coming out trans, mon ex-femme m’a privée de mes enfants. Pendant plus de dix ans, je n’ai pas pu voir mes enfants grandir, et encore moins participer à leur vie. Elle m’en a empêchée parce qu’elle pensait que j’étais néfaste pour eux. Ce qui est complètement faux. Quand j’ai revu ma fille, des années plus tard, elle avait déjà vingt ans. La première chose qu’elle m’a dite, c’est qu’elle savait pour ma transition et qu’elle était fière de moi. Fière de qui j’étais.”

Dans la salle, des larmes se mêlent aux applaudissements. “Ce n’était pas le congrès le plus facile à organiser, souffle Marie-Christine Delaunay. Plusieurs membres ont été très virulents par mail ou lors des réunions préparatoires. On savait que l’on marchait sur des œufs et qu’on n'avait pas le droit à l’erreur, par respect pour toutes les personnes qui ont urgemment besoin que ça change. Alors, si après ce congrès, grâce aux témoignages et aux ateliers, cela peut changer la vie d’un ou d’une élève, on aura réussi notre pari !” 

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Crédit photo : illustration, Unsplash