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école"C’est quoi ce pays qui regarde ses enfants se pendre parce qu’ils sont 'différents' ?"

Par Nicolas Scheffer le 17/01/2022
Samira Gonthier

[INTERVIEW] Après le suicide en octobre dernier de Dinah Gonthier, 14 ans, sa famille a porté plainte contre son ancien collège. Selon sa mère, l'établissement n'a pas mesuré la gravité de la situation malgré les alertes. Samira Gonthier plaide aujourd'hui pour une plus forte sensibilisation à l'école sur les sujets du harcèlement scolaire et des LGBTphobies.

Au bout du fil, Samira Gonthier a une voix aussi douce que déterminée. Cette mère a perdu sa fille, Dinah, 14 ans, qui s'est pendue dans sa chambre le 5 octobre 2021 après avoir été victime pendant plusieurs années de harcèlement scolaire. Aujourd'hui, cette mère de 48 ans veut des explications : comment se fait-il que l'institution scolaire n'ait pas répondu efficacement aux appels à l'aide de sa fille, et n'ait pas su protéger Dinah Gonthier ?

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Pour obtenir des réponses, Samira Gonthier a déposé plainte contre X. Et alors que 22 enfants se sont suicidés en France en 2021, elle plaide pour que notre société se dote d'outils forts afin de lutter contre le fléau du harcèlement à l'école et d'y sensibiliser aux LGBTphobies. Entretien.

Trois mois après la disparition de votre fille, Dinah, à quoi ressemble votre vie ?

Je n'ai toujours pas repris le travail, je suis suivie par une psychologue et un psychiatre. On est en train de vendre la maison où le drame a eu lieu parce qu’on n’arrive plus à y vivre. Aujourd’hui, je me retrouve à me battre pour le procès de Dinah [contre son ancien collège et ses harceleurs et harceleuses, ndlr] ainsi qu’en faveur de la loi inscrivant le harcèlement scolaire comme un délit pénal. Les sénateurs font tout pour en limiter l’ampleur…

Comment Dinah vous avait-elle parlé de son mal-être ?

Quand elle a eu son premier téléphone portable, en quatrième, elle était dans un groupe avec les copines avec qui elle a grandi. De temps en temps, elle m’envoyait des captures d’écran avec des insultes, des mots blessants… En classe, elle posait beaucoup de questions et ses "amies" la traitaient d’intello. Et puis, quand elle a commencé à parler du mouvement LGBT, ça a commencé à empirer.

Cela a été un déclencheur ?

Oui, elles lui ont joué un mauvais tour : une des filles lui a fait croire qu’elle était amoureuse pour se moquer. Elles lui demandaient comment c’était possible que je puisse la soutenir alors que je suis musulmane. En mars 2021, ma fille a fait une première tentative de suicide. Par messages, elle disait à ses camarades qu’elle prenait le premier médicament, puis le deuxième, le troisième, le quatrième… Elle pensait naïvement que ces filles allaient avoir pitié d’elle. 

Le premier jour de son retour à l’école, les ados l’ont traitée de "pute", de "sale lesbienne". Elles lui disaient qu’elle s’était ratée et la mettaient au défi de réussir la prochaine fois. Ma fille Dinah était une personne sensible, tellement gentille. Elle portait un sac aux couleurs de l’arc-en-ciel, des pin's aux couleurs LGBT. Je me demandais si elle n’attirait pas trop l’attention, mais c’était elle qui avait raison : ce n’était pas à elle de changer sa façon d’être, mais aux autres filles.

Quelle a été la réaction de son collège ?

La CPE refusait de prendre les appels inquiets de mon mari. Il allait chercher presque tous les jours ma fille à l’infirmerie parce qu’elle faisait des crises d’angoisse. On lui répondait que ma fille prenait trop à cœur des chamailleries d’enfants, qu’il fallait relativiser. Lorsque Dinah a fait sa tentative de suicide, une équipe pédagogique a fait une séance de sensibilisation au cyber-harcèlement. 

Et pas sur les sujets LGBTQI+ ?

Non, pourtant l’établissement était informé de la manière dont ça s’est produit. Mon fils, Rayan, était dans le même collège et a subi les mêmes insultes homophobes. Ses camarades ne voulaient pas manger à la cantine avec lui, parce que "si on le touche, on devient pédé comme lui". Et le proviseur, la première question qu’il m’a alors posée, c'est : "Votre fils est-il homosexuel ?". Quand bien même c’est le cas, ça ne justifie pas de le harceler ! C’est moi qui ai dû appeler les parents pour leur en toucher un mot. Après la tentative de suicide de Dinah, j’ai voulu déposer plainte contre l’établissement mais ma fille m’en a dissuadé. Elle avait peur que ça lui retombe dessus alors que c’était elle la victime. Un surveillant disait qu’elle voulait faire son intéressante…

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez constaté que l’école ne vous accompagnait pas assez ?

Le dernier mois de sa troisième était très difficile. Elle allait au collège à reculons, me mettait des post-it sur l’oreiller pour me dire qu’elle ne voulait pas y aller. Sa psychologue m’a même proposé de l’interner, mais ma fille ne voulait surtout pas. Au contraire, elle me suppliait de passer le brevet, qu’elle a obtenu haut la main avec mention "très bien" et un 20/20 en civilisation latine.

Au lycée, les trois premières semaines se sont très bien passées. Mais, alors qu’elle déjeunait dans un réfectoire partagé entre plusieurs lycées, elle a revu ses camarades. Elle est rentrée à nouveau dans une spirale de mal-être : elle n’allait plus à la cantine mais ne me l’a jamais dit pour ne pas m’inquiéter. Le 5 octobre, le pire est arrivé.

"Dès qu'elle levait le doigt, elle entendait 'sale pute, sale lesbienne' : tout le monde entendait, ça la rendait malade."

Selon vous, comment l’école aurait-elle pu l’aider ?

Ma fille faisait des crises d’angoisse en plein cours. Dès qu’elle levait le doigt, elle entendait "sale pute, sale lesbienne"… tout le monde entendait, ça la rendait malade. Dès les premières insultes, le collège aurait dû convoquer les parents des harceleurs, prendre conscience de la gravité de ce qu’il se passait. Dinah se sentait démunie à leur égard, mais disait également que ceux qui sont censés la protéger ne l’aidaient pas : elle n’avait aucune échappatoire. Depuis, tantôt l’établissement me dit que le personnel n’avait pas reçu d’alerte, tantôt on me répond qu’ils ont parfaitement agi. Il faudrait savoir !

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Depuis le 5 octobre, quels sont vos échanges avec les responsables du collège ?

Après l’enterrement, j’ai appelé pour qu’on m’envoie son brevet. Ils m’ont répondu que c’était à l'élève de venir chercher le certificat. À aucun moment l’établissement n’a tenté de se remettre en cause. Certains professeurs sont venus à son enterrement, mais ils n’avaient pas le droit de nous parler parce qu’une enquête a été ouverte.

En fin de troisième, Dinah avait eu un échange de mails avec sa professeure de SVT, qu’elle aimait beaucoup. Quelques jours après le décès de ma fille, j’ai reçu un mail m’indiquant que dans la mesure où Dinah ne fait plus partie du lycée, ils l’avaient supprimé du bureau numérique. D'un coup, je n’ai plus eu d’accès, sans avoir eu le temps de télécharger les lettres que Dinah avait écrites à sa prof… C’est d’une violence inouïe.

Certains candidats à l’élection présidentielle, parlant des sessions de sensibilisation au harcèlement et à l'homophobie, disent que "les militants LGBT n’ont rien à faire à l’école". Qu’avez-vous envie de leur répondre ?

Si cela avait existé dans le collège de ma fille, elle se serait sentie vraiment moins seule. Dinah était très attachée au mouvement LGBT. Quand elle disait qu’elle voulait être présidente de la République, elle affirmait qu’elle voulait aider les couples homos à avoir des enfants. Quand elle est arrivée au lycée, elle a trouvé des gens qui lui ressemblaient. C’était un groupe de filles et de garçons, mais on ne sait pas si ce sont des filles ou des garçons : on s’en fiche. Eux sont allés vers ma fille et lui ont apporté du soutien. 

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Comment pourrait-on selon vous améliorer la prise en compte du harcèlement dans le cadre scolaire ?

Après le décès de Dinah, j’ai reçu énormément de messages de personnes qui subissent le harcèlement. C’est effrayant de voir que toutes ces histoires sont les mêmes : il suffit de changer le prénom. Le harcèlement scolaire devrait être une véritable cause défendue par les institutions, et non par des bénévoles qui s’en occupent après le boulot. Il faudrait un budget dédié, mais un gros budget ! 

Les associations sont sur tous les fronts pour informer et aider les parents. L’association Hugo a fait un décompte des élèves qui meurent de suicide. Au total, sur l’année, 22 enfants se sont donné la mort. Comment se fait-il que les adultes ne se bousculent pas plus que ça ? C’est quoi ce pays qui regarde ses enfants se pendre parce qu’ils sont "différents" ?

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Crédit photo : Capture d'écran BFMTV