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musiqueRencontre avec Voyou, explorateur de nos royaumes minuscules

Par Morgan Crochet le 14/01/2023
Voyou sort un nouveau single, "L'Hiver"

Depuis sa participation au festival "Paris est Têtu" en 2019, on a gardé un œil sur Voyou, chanteur et auteur-compositeur lillois qui sortira en février son nouvel album, Les Royaumes minuscules, dont le premier single, "L'Hiver", a été dévoilé cette semaine. Portrait d'un allié venu du froid.

On a plusieurs bonnes raisons d'aimer Voyou, le musicien lillois dont le single "L'Hiver" est sorti ce 11 décembre, accompagné d'un clip enneigé et poétique à la Gondry. Quelques mois avant sa participation au festival Paris est Têtu en 2019, le chanteur nous avait donné une première interview abordant les thèmes de son premier album qui nous avaient particulièrement touchés, comme le livre d'Édouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule, la rupture amoureuse, le harcèlement scolaire… Depuis, le Nordiste a fait un bon bout de chemin et s'apprête à dévoiler le 24 février son deuxième disque, Les Royaumes minuscules, dont les chœurs et les percussions ont été enregistrés au Brésil.

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Fanfares du Nord et conservatoire

C'est pourtant loin des nuits chaudes du continent latin qu'est né Thibaud Vanhooland, alias Voyou, il y a 33 ans. “J’ai grandi à Hellemmes, dans la banlieue lilloise, une ancienne cité ouvrière construite autour d’une usine de tissu, qui a fermé en même temps que les autres. C’est resté une ville très populaire, et c’est un endroit incroyable pour grandir car tu as toutes les origines et toutes les couches sociales", nous raconte-t-il dans son joyeux bordel d'appartement parisien rempli d'instruments de musique.

À l'époque, son père dirige l'orchestre d'harmonie de la ville, où le jeune homme l'accompagne dès son plus jeune âge : "On arrivait en avance, j'avais cinq ou six ans et je touchais à tous les instruments. Dans le Nord, dans toutes les petites villes, il y a des fanfares et des orchestres d’harmonie où tu as des petits vieux qui reprennent les instruments de leur jeunesse, de jeunes musiciens qui font le conservatoire ou d'autres qui commencent à peine à jouer." Un environnement politique, aussi : "Historiquement, ce sont des endroits où les classes populaires se retrouvaient, où elles pouvaient oublier la dure réalité des usines ou de la mine, mais où sont également nés beaucoup de mouvements de grève et de contestation."

Au collège, si le jeune homme intègre un établissement qui lui permet d'étudier la trompette tous les après-midis au conservatoire, il n'en délaisse pas pour autant ses camarades d'Hellemmes : "La journée, on me formait à devenir un musicien d’orchestre, et après j’allais à l'harmonie où tout le monde s’en fout si tu joues faux, si tu n’es pas dans le temps… On était juste là pour se retrouver, faire de la musique et boire des coups. Personne ne se jugeait." D'ailleurs, pour "Lille", morceau présent sur son premier album sorti en 2019, le musicien, alors fraîchement débarqué à Paris, décide de reproduire les sonorités des fanfares de rue du Nord-Pas-de-Calais. "J'ai tout fait avec une trompette, puis j’ai modifié les sons pour créer d'autres instruments. Ensuite, durant la cession d'enregistrement, j'ai fait sortir les enceintes du studio, qui donnait sur une cour, pour que le rendu se rapproche au maximum de celui des orchestres du Nord. C'est aussi pourquoi on entend un chien à la fin", raconte-t-il, amusé.

Yelle, Fishbach, November Ultra

Depuis, fidèle à ces premières expériences collectives, Voyou enchaîne les collaborations, d'abord avec Yelle, avec qui il a cosigné la chanson "Les Bruits de la ville" – dans l'album éponyme –, et travaillé sur les morceaux "Emancipence", "Menu du jour" et "Vue d'en face" de L'Ère du verseau, le dernier album de la chanteuse sorti en 2020. Plus récemment, il a rejoint Fishbach sur la scène de l'Olympia, à Paris. "On a composé un titre en deux parties que j'adore, qui dure dix minutes, avec lequel elle finit ses concerts. Pour l'instant, c'est un morceau qui vit avec le live et qui peut prendre encore mille formes, confie-t-il. Fishback est une artiste incroyable, et même si tu ne comprends pas toujours où elle veut venir, à la fin ça te procure toujours ce que ça doit te procurer. Je pense qu’on ressent tous les deux très fort la musique de l’autre, mais sans trop la comprendre."

"J'ai écrit un morceau qui faisait écho à des choses qu'on s'était dites, comme être capable de profiter d'un rayon de soleil qui vient se poser sur ta peau et te réchauffer un instant."

Sur Les Royaumes minuscules, Voyou s'est entouré de November Ultra, avec qui il avait déjà travaillé sur un album de Mélissa Laveaux : "Quand Nova a sorti son disque, elle nous a invités, Guillaume Ferran et moi, à la rejoindre sur la scène du Trianon, où on a chanté 'Il neige'. Et puis au moment de la confection de mon album, j'ai écrit un morceau qui faisait écho à des choses qu'on s'était dites, comme être capable de profiter d'un rayon de soleil qui vient se poser sur ta peau et te réchauffer un instant. Quand je lui ai présenté 'Soleil soleil', elle a tout de suite accepté de chanter dessus. J'adore ce morceau."

Les royaumes acoustiques de Voyou

Cette ode aux petits instants est un des thèmes traversant son nouvel album. "Il y a toujours un titre ou une phrase qui parle de l’album dans sa globalité. Pour moi, c’est 'Les Royaumes minuscules'. À l'époque je m'étais fait une entorse au genoux et j'ai adoré marcher extrêmement lentement. Si on ne se soucie pas de ce qui se passe autour de nous, c’est aussi parce qu’on n’a pas le temps de le faire. C’est l'aspect que je préfère dans mon métier, qui me laisse le droit de regarder les choses autour de moi."

Le droit de regarder, de prendre le temps, et d'écouter. "Le Brésil fait partie de mes influences depuis longtemps, mais j’ai aussi écouté beaucoup de musique française, anglaise, africaine et libanaise, du jazz aussi… Comme j’écoute des choses très différentes les unes des autres, et que j’en écoute énormément, ça me permet de ne jamais avoir l’impression de copier qui que ce soit, développe l'artiste. Tout ça s'imprègne en moi, me nourrit et se traduit dans ma musique naturellement."

Alors que son premier album faisait la part belle aux synthétiseurs, arpeggiators et boîtes à rythmes, celui-ci a été entièrement réalisé avec de vrais instruments, et sans aucun support électronique. Le jeune Chti, qui a commencé par apprendre la trompette avant de devenir un homme-orchestre à lui tout seul – en plus des nombreux instruments dont il joue déjà, il a appris la clarinette, le trombone à piston et la flûte traversière après la sortie de son premier album –, a ainsi pu s'en donner à cœur joie. Tout comme les deux musiciens brésiliens avec lesquels il a tenu à travailler, et qui livrent une batucada d'anthologie sur le morceau "La Nuit, le jour".

Et si Les Royaumes minuscules semble moins mélancolique que Les Bruits de la ville, c'est peut-être parce que la rupture exprimée dans le douloureux et saisissant "Lille" se mue en "Une île" où la rencontre est à nouveau possible – "Le soir / Sur son rivage / Il s'avança seul au milieu des naufrages  / Emporté par l’espoir / D’une vie meilleure  / Les bras remplis de quelques bouquets de fleurs. Et même "L'Hiver", chez ce jeune poète acoustique, revêt des accents printaniers, pour nous donner le courage de surmonter nos peines, d'aimer à nouveau, et de tout simplement traverser la vie :

Mais ça viendra les journées joyeuses 
On fera tout pour t’y emmener
Toi tu tomberas enfin amoureuse
T’en as déjà l’air égaré 
Et tu verras plus passer les heures
À t’évader le vent dans le dos
Cheveux lâchés 
Que rien ne t’atteigne
Pas même les jours pluvieux 

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Crédit photo : Emma Birsky