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Nos hérosAprès une vie contre le sida, mort de la folle Defert

Par Elodie Hervé le 08/02/2023
Daniel Defert, fondateur de Aides, est décédé ce mardi, à Paris, des suites d'un cancer

Fondateur de l'association Aides, militant historique de la lutte contre le VIH/sida, Daniel Defert s'est éteint ce mardi 7 février à l'âge de 85 ans.

"Un jour on écrira ma nécro et on dira de moi que je suis un vieux pédé ou une vieille folle. Moi en tout cas, ça me va d’être une vieille folle." Le sourire toujours au bord des lèvres, le regard espiègle, Daniel Defert s’amusait de l’image qu’il laisserait derrière lui. S'il n’aimait ni les lumières ni la célébrité, et acceptait donc rarement les demandes d'entretien des journalistes, il avait accepté d'ouvrir sa porte à têtu· en mai 2020, après le premier confinement dû au Covid-19, le temps d’un après-midi. 

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Trois ans plus tard, ce mardi 7 février 2023, le philosophe et sociologue s'est éteint à l'hôpital Cognac-Jay, à Paris, à l’âge de 85 ans. “J’ai pas mal de problèmes de santé, nous avait-il confié. Aujourd’hui, je me demande lequel me tuera en premier. J’espère que ce sera la mort la moins douloureuse possible.” Ce sera un cancer. “Il était assez serein par rapport à sa mort, souligne Bruno Spire, président d’honneur d’Aides. Il savait que ça allait arriver, qu’il n’y avait pas de traitement et qu’il ne survivrait pas.” 

En mai 2020, nous avions avec lui abordé ses combats, l'association Aides qu'il a fondée pour lutter contre le VIH/sida, mais aussi le philosophe Michel Foucault, son compagnon disparu. “N'écrivez pas qu’il a été mon homme, ça fait un peu trop Édith Piaf. Mon compagnon, j’aime mieux.” Dans son appartement qui regorgeait de lumière et de souvenirs, il aimait montrer les lettres qu’il recevait de Chine, d’Iran ou de Marseille. Un bureau, des murs de livres et de vieux fauteuils remplissaient l’espace. “À ses heures perdues, Michel fabriquait des fauteuils en cuir. Ils ne sont pas très confortables, s'amusait-il. Ils ne l’ont jamais été, il faut bien le reconnaître, mais je les ai gardés.” 

Michel Foucault, puis le sida

La vie de Daniel Defert, qui trouvait ce monde profondément injuste, était tournée vers l’engagement. “Toute ma vie, j’ai été militant. D’abord sur l’Algérie, puis sur les prisons, et enfin sur le sida. Je me suis engagé sur mes colères et sur mes révoltes personnelles. Pour les prisons, je me suis engagé après une injustice. Je vous raconte ? Allez, je vous raconte. Un gars avait été condamné à trois mois et demi de prison. La condamnation est inscrite sur le casier judiciaire à partir de trois mois, et le juge le savait, puisque c’est précisément pour cela qu’il avait ajouté le 'et demi'”. Quand le gars a demandé 'est-ce que ce sera sur mon casier ?', le juge lui a répondu 'renseignez-vous auprès du greffe'. J’ai trouvé ça ignoble, ça m’a révolté.” Peu après, en 1971, il lance le GIP, Groupe d'information sur les prisons, avec Michel Foucault. “Tous mes engagements ont des fondements très personnels”, ajoutait-il. 

Quelques années plus tard, en 1984, Michel Foucault meurt du sida. “Les médecins savaient qu’il allait mourir et n’ont rien dit. Ni à moi ni à lui. Ils ne nous disaient rien, alors qu’ils savaient que sa maladie était mortelle. À 57 ans, on a quand même des décisions à prendre. Nous, nous n’en avons pas eu le temps. Un interne est allé demander à Michel : ‘Êtes-vous homosexuel, par hasard ?’ Ce à quoi il a répondu, visiblement très amusé : ‘Ce n’est pas du tout par hasard'.” 

Aides tous azimuts

Dès lors, Daniel Defert n’aura qu’une obsession : faire en sorte que cela n’arrive plus et que les malades en phase terminale puissent être accompagnés dans leurs derniers jours. À cette époque où les personnes en stade sida, souvent rejetées par leurs familles, se retrouvent seules et sans ressources, le militant lance Aides pour les accueillir et les accompagner dans leurs derniers instants.

“La gestion du sida était catastrophique, se souvenait Daniel Defert en 2020. Je me rappelle être allé au ministère et avoir découvert une pile de documents à la vue de tous. C’étaient les déclarations nominatives des personnes testées positives. On fichait les gens, comme on le fait aujourd’hui avec le covid. Ce qui a changé c’est le dépistage anonyme et gratuit. Un tournant dans la lutte contre le sida.”

"C'était un type d’une profonde humanité."

Jean Stern, journaliste

Depuis, les traitements permettent de vivre avec le VIH et de ne pas transmettre le virus. Les survivants, eux, ont été laissés à leur sort. “Beaucoup de personnes sont dans une précarité extrême après avoir lutté contre la maladie pendant des années, déplore Jean Stern, journaliste fondateur de Gai Pied. Une aide financière du gouvernement à ces survivants, par exemple, serait une bonne manière de rendre vraiment hommage à Daniel.” Lui a rencontré le fondateur de Aides peu avant le lancement de l'association. “C’était un type exceptionnel, notamment dans sa qualité d’écoute. Il avait toujours un regard taquin mais bienveillant. C’était un type d’une profonde humanité.”

"Beaucoup de personnes ne réalisent pas tout ce qu’on lui doit."

Bruno Spire, président d'honneur de Aides

De son côté, Bruno Spire se rappelle, ému, l’accueil que lui a réservé Daniel Defert quand il a commencé à militer. “C’était en 1987, je n’étais pas à l’aise avec le fait d’être gay et il a été là pour moi. Il m’a donné envie de militer, de me battre comme lui.” Il marque une pause et reprend : “Je pense aussi que beaucoup de personnes ne réalisent pas tout ce qu’on lui doit. Avec ce qu’il a appelé ‘le malade réformateur social’, il a démontré comment, à partir d’un problème de santé, si on se mobilise, on peut faire changer la politique étatique et améliorer la vie de milliers de personnes. C’est grâce à lui qu’aujourd’hui on met au centre le patient et que l’on parle d’approche en santé communautaire.” Camille Spire, actuelle présidente de Aides, abonde : “Daniel a eu un rôle majeur dans la lutte contre le VIH-sida mais aussi dans le domaine de la démocratie en santé. On lui doit beaucoup. Il a lancé un mouvement. Il est l’architecte de toute la politique de Aides.”

Depuis l’annonce de la mort de ce militant historique de la communauté LGBT, les éloges affluent. “Il a dédié sa vie à aider les victimes, à bâtir la solidarité. Je pense à sa famille et à ceux qui poursuivent le combat, a tweeté la Première ministre, Élisabeth Borne. Dans les prochains jours, une cérémonie devrait avoir lieu à Avallon, sa ville natale dans l'Yonne. Aides réfléchit aussi à un hommage à Paris. Et tandis que le Centre d'archives LGBTQI+ est encore à l'état de projet, la question se pose déjà de préserver les souvenirs de Defert, ses travaux de recherche et les manuscrits de Michel Foucault qu’il aimait tant relire, “même ceux pas publiés”.

Au pied de l’immeuble où il résidait trône une vieille plaque : “Ici vécut de 1970 à 1984 Michel Foucault. Philosophe.” Une attention que Daniel Defert n’a jamais aimée car elle lui rappelait chaque jour la mort de celui qu’il avait tant aimé, et à qui il a dédié le combat de sa vie, jusqu'à son dernier souffle.  

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Photographie : Yann Morrison pour têtu·