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interviewOlivier Dussopt : "Nous aurons peut-être à réutiliser le 49.3"

Par Nicolas Scheffer le 24/03/2023
Olivier Dussopt a accordé une interview à têtu· sur sa réforme des retraites

Alors que la mobilisation contre sa réforme des retraites se poursuit, têtu· a rencontré le ministre du Travail. Sur les retraites, l'utilisation du 49.3 par le couple exécutif, mais aussi l'opposition passée de certains de ses collègues du gouvernement au mariage pour tous ou encore la GPA… Olivier Dussopt répond à nos questions.

Propos recueillis par Nicolas Scheffer et Morgan Crochet

Il faudrait évidemment y voir un hasard. Alors que l'impopularité de sa réforme des retraites se fait entendre dans la rue, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, ouvre ses portes à têtu· dans une interview au cours de laquelle il évoque, entre autres, son orientation sexuelle, qui n'est "ni un sujet ni un secret". À rebours d'Emmanuel Macron, l'ancien socialiste originaire de l'Ardèche s'engage publiquement – mais à titre personnel – en faveur de la GPA, et se souvient de son combat en faveur du mariage pour tous et de la PMA pour les couples de lesbiennes.

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La main sur le cœur, il promet qu'il ne s'agit pas d'une stratégie de diversion. Tant mieux, car nous avions de nombreuses questions à lui poser sur la réforme des retraites et l'utilisation de l'article 49.3, spécificité française qui autorise le gouvernement à promulguer une loi sans qu'elle soit votée au Parlement. Entre les discriminations subies au travail et les difficultés rencontrées pour créer leurs familles, soutien nécessaire au fil du temps, les personnes LGBTQI+ sont particulièrement touchées par cette réforme. Visiblement convaincu, à l'inverse de la majorité des Français, des syndicats et des élus, que sa réforme est la bonne, il répond à têtu·.

Français à cran, violences dans la rue, syndicats révoltés, la majorité fracturée par l'utilisation du 49.3, des oppositions vent debout. Peut-on vraiment appeler cela une victoire ?

Olivier Dussopt : S’il y a une victoire, c’est l’adoption d’un texte commun aux deux assemblées, puis le rejet d’une motion de censure qui voulait nous renverser, et ce malgré une réforme difficile. Le texte est allé jusqu’au bout, alors que nous disposons d’une majorité relative. Malgré l’obstruction, malgré les outrances, parfois, de parlementaires de l’opposition, il n’y a pas de majorité alternative, ni même de projet alternatif. Bon courage aux députés qui ont voté la motion de censure pour trouver un projet commun, il n’y en a pas. La situation politique était compliquée, et nous avons atteint notre objectif : une réforme qui permette le retour à l’équilibre et améliore le système. 

Le président de la République a déclaré qu’il n’y avait pas “36 solutions” pour obtenir l’équilibre des comptes. Pourtant, vous aviez porté une autre réforme, la retraite par points…

On considère que le système universel de retraite tel qu'il avait été pensé en 2019 n'était pas envisageable cette fois-ci, parce que les conditions politiques n’étaient pas remplies, et la majorité relative compte dans cette dimension-là. Nous avons également un besoin accru en termes de financement et de rapidité auquel ne répondait pas le système universel. Une troisième dimension tient en la difficulté technique de la retraite par points, encore plus complexe que celle-ci.

Vous n’entendez pas les accents thatchériens d’Emmanuel Macron lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas d’alternative ?

Ce qui a été dit, c’est qu’on assume cette responsabilité de mener une réforme qui est difficile, parce qu'on considère que c'est le bon moyen et la bonne méthode pour avoir un système à l’équilibre en 2030, et qui nous permette de financer de nouveaux droits. Les mesures de report de l’âge de départ conduisent à générer 17,7 milliards d’euros de financement au système des retraites d’ici 2030, mais un tiers de ces économies sera utilisé pour financer des mesures d’accompagnement pour les carrières longues, la protection des invalides, le relèvement des minimums de pension, le financement de la prévention et de la pénibilité... Ces mesures sociales d’accompagnement représentent environ sept milliards d’euros. Cette part redistributive est plus importante qu'elle ne l'était dans la réforme de Marisol Touraine en 2013, et que dans celle de 2010, même si on additionne les deux. Je ne trouve pas cela très thatchérien.

Sachant que l'espérance de vie en bonne santé est de 64 ans, en portant l’âge de la retraite au même âge, comment pouviez-vous espérer emporter l’adhésion ?

La durée passée à la retraite reste de 26 ans, c'est élevé et beaucoup plus que la moyenne européenne. L’indicateur que vous citez sur l’espérance de vie en bonne santé est complexe, et de nombreux biais sont à prendre en compte. Par exemple, pendant les débats, j’ai entendu que 25% des ouvriers seraient morts à 62 ans, c’est faux. La part de la population qui décède avant 60 ans, ce sont les 5% les plus pauvres, qui ont eu un revenu mensuel inférieur à 500€. C’est une immense précarité, mais il ne s’agit pas de personnes concernées par la réforme, car hélas loin du travail.

Vous ne pouvez pas ignorer que les travailleurs finissent leur carrière en mauvaise santé !

C’est pourquoi nous devons investir dans la prévention et les conditions de travail. Nous prenons en compte avec un fonds de prévention les postures pénibles, les charges lourdes, les vibrations mécaniques... Nous améliorons le compte professionnel de prévention, le C2P, en faisant en sorte qu’il ne soit plus plafonné, que les points aient plus de valeur et qu’on puisse financer des congés de reconversion avec maintien de la rémunération. Nous devons permettre aux personnes usées de changer de travail, et de le faire suffisamment tôt pour que l’usure n’ait pas fait son œuvre. En l'occurrence, la concertation a permis d’apporter des améliorations sans précédent au C2P, reconnues par les organisations syndicales qui croient à ce dispositif. Nous devons encore aller plus loin, y compris sur les conditions de travail qui sera l’objet de plusieurs dispositions du projet de loi que je prépare. Je préfère que les gens aillent jusqu’à 64 ans en bonne santé plutôt que d’arrêter à 62 ans avec le dos bloqué.

Vous poussez sur la prévention, mais une consultation chez le médecin ne nous permet pas d’être en bonne santé à 64 ans...

La loi d’août 2021 prévoit une consultation autour de 45 ans. Nous avons ajouté une obligation de visite médicale à 61 ans, qui peut aboutir à une fin de carrière anticipée. Ensuite, il faudra déterminer par accord de branche ou avec le médecin du travail le rythme des visites médicales, car nous souhaitons un véritable suivi. Par ailleurs, nous facilitons le départ des personnes en incapacité, car malheureusement, pour des personnes qui ont déjà été exposées à la pénibilité depuis des années, même avec le meilleur dispositif de prévention, la pénibilité a déjà fait des dégâts sur eux. Notre priorité absolue reste la prévention.

Pourquoi ne pas avoir commencé par cela, corriger les conditions de vie au travail avant de proposer cette réforme des retraites ?

Cette correction aurait dû avoir lieu il y a 30 ou 40 ans. Nous allons investir un milliard d’euros sur quatre ans dans la prévention. Nous allons changer d’échelle, mais nous ne pouvions pas le faire dans un système structurellement déficitaire. 

Un petit déficit quand il est comparé aux 300 milliards de budget des retraites...

Cela reste un déficit, et il s'accumule chaque année. Qu’on en soit heureux ou pas, notre capacité à investir dépend de l’équilibre de nos comptes et du financement qu'on obtient sur les marchés financiers. Plus on attend de faire la réforme, plus la marche à franchir pour atteindre cet équilibre est haute. C'est aussi pour cela qu'on a réformé immédiatement : plus on attend, plus la réforme devra être brutale.

Les personnes âgées comptent beaucoup sur leur famille, que ce soit pour financer un EHPAD ou pour les accompagner dans la vieillesse ou la maladie. Une réforme juste ne devrait-elle pas s’attaquer aux difficultés des proches aidants, sur qui tout repose ?

Nous créons avec cette réforme un dispositif, l’assurance vieillesse pour les aidants, car, aujourd’hui, de nombreuses personnes mettent entre parenthèses leur vie professionnelle pour se consacrer à l’accompagnement d’un proche. Nous allons publier un décret qui définit ce qu’est un proche aidant, au-delà de la sphère familiale nucléaire comme aujourd’hui. Nous voulons tenir compte de la réalité : vous pouvez être très proche de quelqu’un sans avoir de lien familial au sens traditionnel.

Les personnes LGBT+ subissent des discriminations au cours de leur carrière, ce qui a une incidence sur leur retraite…

Le système des retraites restitue les inégalités au sein de la société. Il y a une prévalence de la discrimination au travail au sein de la communauté LGBT+, notamment du côté des lesbiennes, selon ce que montrent certaines études. Mais tout ce que nous faisons en matière d’égalité professionnelle nécessite du temps pour porter ses effets. S’il existait des mesures pouvant produire des effets en quelques mois, nous les aurions déjà prises. 

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Aujourd'hui, le Rassemblement national est plus que jamais en capacité d'arriver au pouvoir, et cette réforme accentue cette possibilité. Êtes-vous conscient du risque que vous faites porter aux Français, et notamment aux LGBT+ dont les droits sont souvent la cible de ce parti ?

Mon engagement politique, depuis toujours, c'est de m'opposer aux extrêmes. C'est une des raisons qui m’ont poussé à rejoindre Emmanuel Macron. Mais je pense que laisser filer le système et accumuler 150 milliards de dettes, c’est prendre le risque d’un décrochage progressif du niveau des pensions, nourrir le ressentiment et, en définitive, alimenter le Rassemblement national.

Ce qui l’alimente également, c’est l’utilisation du 49.3, qui, pour beaucoup de Français, était celui de trop. Envisagez-vous d’y recourir à nouveau ?

Nous avons porté plusieurs textes sans l’utiliser, grâce à des majorités de compromis. Nous aurons peut-être à utiliser de nouveau le 49.3, j’espère le moins possible. Contrairement à son utilisation par nos prédécesseurs, nous utilisons cet article non parce que la majorité serait fracturée, mais pour montrer qu’il n’y a pas d’alternative possible. Par ailleurs, les textes concernant les réformes des retraites, en 2003, 2010 et 2013, ont tous fait l’objet de délibération de vote bloqué. C’est la démonstration que les procédures constitutionnelles sont quasiment systématiquement utilisées, tant le débat est passionné en France. Au total, le Parlement a débattu 175 heures, c'est autant que les deux dernières réformes additionnées.  

"Je suis aussi, et à titre personnel, favorable à la GPA."

Nous ne sommes pas n’importe quel journal politique. Pourquoi nous recevoir aujourd'hui ?

Ma vie privée n’est ni un secret ni un sujet. Je n’ai jamais été dans la dissimulation. Pour autant, je ne suis pas sûr d’être un rôle modèle pour qui que ce soit. C’est une question de personnalité. Pour certains, c’est plus facile de s’exposer. Mon engagement, c’est l’énergie que j’ai consacrée à défendre le mariage pour tous et la PMA pour les couples lesbiens, dès 2012. Je suis aussi, et à titre personnel, favorable à la GPA. Tout en me sachant minoritaire sur cette position au sein de la majorité présidentielle, cela ne change pas ma conviction sur le sujet. Et je peux vous assurer que dans les insultes que je reçois depuis quelques semaines, nombreuses sont les remarques homophobes. Être homosexuel n’est jamais neutre, mais on a le droit de défendre des causes, de militer, de participer au débat sans faire de sa situation personnelle un élément politique en soi. Et puis j’ai aussi le droit de préserver mon conjoint de ma vie publique.

Nous recevoir pour évoquer ceci, après cette réforme, et alors que la contestation fait rage, n'est-ce pas plutôt une tentative de diversion politique ?

La politique de la diversion, ça ne fonctionne pas. Si cet entretien avait été réalisé à un autre moment, je vous aurais fait les mêmes réponses.

Quels sont vos arguments en faveur de la GPA ? 

Je suis favorable à une GPA encadrée, pas nécessairement gratuite, mais encadrée. Des systèmes peu recommandables avec des abus de précarité existent, et encadrer cette pratique permettrait de lutter contre. On cherche à interdire une pratique qui existe et qui, je crois, existera toujours, ce qui pousse à la clandestinité et à la précarité. C’est la même logique qui m’avait amené à ne pas soutenir la loi d’abrogation de la prostitution de 2016.

Vous vous êtes opposé à des membres du gouvernement à l’occasion du mariage pour tous. Les propos homophobes tenus à cette occasion, comme comparer le mariage de couples homos à de l’inceste, ne sont-ils pas indélébiles ?

Pour connaître la plupart d'entre eux, leurs positions ont évolué, comme celles de la société, et l’on doit s’en réjouir. Tout le monde peut changer. Il doit y avoir prescription pour tout : c’est comme pour la justice, quand des faits délictueux sont punis, lorsque la peine est purgée, elle est purgée. On ne va pas marquer des gens à vie.

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Selon nos estimations, environ un quart des députés du Rassemblement national sont gays. Comprenez-vous cette contradiction ?

Je pense que l’orientation sexuelle ne définit pas vos orientations politiques. J'ai en tête quelques articles publiés après l'élection de 2017, sur la montée du vote nationaliste parmi les LGBT+ qui avançaient un rapprochement entre une peur de l’islam instrumentalisée et la violence homophobe. Sans valider cette théorie, l’engagement pour les droits n’a peut-être pas suffisamment été accompagné d’un engagement de protection contre les agressions homophobes.

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Crédit photo : Frederic Scheiber / Hans Lucas via AFP