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interviewPap Ndiaye : "Une école accueillante pour les élèves LGBT+ l'est pour tout le monde"

Par Nicolas Scheffer le 01/02/2023
Pap Ndiaye, le 31 janvier au ministère de l'Éducation nationale

[EXCLUSIF] Après le suicide de Lucas, 13 ans, dans les Vosges à la suite d'un harcèlement scolaire homophobe, Pap Ndiaye, le ministre de l'Éducation nationale, a répondu longuement aux questions de têtu·.

Propos recueillis par Nicolas Scheffer et Thomas Vampouille
Photographie : Samuel Kirszenbaum pour têtu·

Trois semaines après le suicide dans les Vosges de Lucas, un adolescent de 13 ans harcelé au collège parce que gay, l'atmosphère est grave quand, ce mardi 31 janvier, Pap Ndiaye nous reçoit dans son bureau de l'imposant ministère de l'Éducation nationale, rue de Grenelle à Paris. L'universitaire de formation, spécialiste de l'histoire des minorités aux États-Unis, veut être le ministre d'une école accueillante pour les jeunes LGBTQI+. Question toujours ultra-sensible, alors que le lobby réactionnaire s'attaque de nouveau à l'école dans sa bataille LGBTphobe.

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Pour répondre au fléau du harcèlement scolaire, après la généralisation du programme Phare, Pap Ndiaye a voulu que chaque académie se dote d'un observatoire des LGBTphobies, "une instance de formation et de sensibilisation à l'homophobie et à la transphobie à l'adresse du personnel de l'éducation". Le ministre annonce également à têtu· une campagne de communication sur le sujet à l'occasion de la journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Une mission sera par ailleurs confiée à l'inspection générale pour vérifier que la sensibilisation aux LGBTphobies, inscrite dans les programmes scolaires, soient bien enseignées. Entretien.

Après un nouveau suicide d'un collégien, Lucas, qui a subi un harcèlement scolaire homophobe, quel message souhaitez-vous faire passer aux élèves qui comme lui sont harcelés notamment en raison de leur homosexualité ?

Pap Ndiaye : Toutes les situations par lesquelles le bien-être ou le parcours scolaire des élèves se trouveraient compromis sont intolérables. Les élèves sont chez eux à l’école. Nous savons que par rapport aux élèves hétérosexuels, les élèves gays et lesbiennes ont quatre fois plus de risques de faire une tentative de suicide, et c’est onze fois plus pour les jeunes transgenres. Nous devons améliorer leur accueil en s’attaquant encore plus fortement aux situations de moqueries, de violences et de harcèlement. Ces élèves peuvent compter sur moi, et ils doivent pouvoir compter sur les adultes présents dans les établissements scolaires, pour mettre fin à chaque situation de harcèlement. 

Chez têtu·, on alerte sur les suicides de jeunes depuis au moins 1999… N’y a-t-il pas de quoi désespérer ?

L’école a beaucoup évolué, notamment ces dernières années. En 2021, nous avons avons donné des instructions pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire. La lutte contre l’homophobie et la transphobie fait désormais explicitement partie des programmes d’enseignement moral et civique (EMC). Dans les manuels scolaires, ces changements doivent être pris en compte par les éditeurs, notamment en histoire au sujet de la répression de l’homosexualité, mais aussi de la mobilisation des personnes LGBT+ en faveur de leurs droits. Concernant le harcèlement, j’ai décidé de généraliser la formation des adultes qui n’était qu’au stade expérimental. Je veux être le ministre qui fera franchir une étape décisive dans la prise en compte des personnes LGBT+. C’est pour cela que j’ai décidé de généraliser dans toutes les académies des observatoires des LGBTphobies.

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Concrètement, quel sera le rôle de ces observatoires ?

Il s’agit d’une instance de formation et de sensibilisation à l’homophobie et à la transphobie à l’adresse du personnel de l’éducation. Je note que les enseignants et les équipes de direction sont très demandeurs de ce type de formation, avec un nombre croissant d’agents formés. Par ailleurs, nous allons lancer une campagne forte de sensibilisation lors du 17 mai, journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Cette campagne sera axée sur l’accueil des élèves LGBT+. Nous devons aussi faire un effort dans les programmes, dans la manière dont les sociabilités scolaires se passent… car une école accueillante pour les élèves LGBT+ l’est pour tout le monde. 

N’est-il pas contradictoire de demander aux profs de se former davantage, alors que l’on recrute de plus en plus d’enseignants contractuels, c'est-à-dire sans formation initiale ?

Les enseignants contractuels représentent 1,5% dans le primaire et entre 6,5 et 8% dans le secondaire. Ils ont également souvent une expérience de plusieurs années : en 2022, sur 100 contractuels recrutés, 87 l’avaient déjà été l’année précédente. Ils choisissent aussi régulièrement d’être contractuels pour des raisons de mutation. Et puis, nous formons également nos professeurs contractuels. D’ailleurs, les observatoires que l’on met en place s’adressent à tous les agents de l’Éducation nationale : les professeurs, les personnels de direction, la vie scolaire… Face aux LGBTphobies, la mobilisation de tous est nécessaire. 

Dans les cas de suicides liés à du harcèlement, régulièrement, on constate que les familles avaient déjà averti l’école. Comment s’assurer que toutes mettent en place une réponse à la hauteur de l’enjeu ?

Le programme de formation Phare est en train de se déployer, et a déjà donné de bons résultats dans les académies où il était expérimenté : on a constaté davantage de signalements, grâce notamment aux élèves ambassadeurs qui perçoivent des signaux faibles du harcèlement que les adultes ont du mal à voir. Dans le traitement des situations de harcèlement, on a également de bons résultats avec une approche éducative de la réponse. L’élève harceleur doit prendre conscience de ce qu’il a fait. Il doit être sanctionné en fonction de la gravité des faits. Mais l’enjeu et l’objectif, c’est qu’il en prenne conscience et transforme son attitude dans un sens positif. C’est un volet éducatif majeur. Dans le cas du collège de Golbey et du suicide de Lucas, des enquêtes sont en cours. Nous en tirerons les conséquences nécessaires.

Comment faire changer les élèves harceleurs ?

Dans les situations identifiées de harcèlement, la procédure prévoit une discussion entre les adultes formés et les élèves harceleurs. Avant tout, il s’agit de les amener à reconnaître leurs torts et de leur faire prendre conscience des conséquences que leurs actes peuvent engendrer. Il est ensuite possible de les impliquer dans la lutte contre le harcèlement, en en faisant des ambassadeurs.

La sensibilisation aux LGBTphobies est intégrée dans les cursus scolaires, mais souvent passée à la trappe par les professeurs faute de temps… Comment  faire respecter ces enseignements ?

Lorsque je rencontre des recteurs, j’insiste sur la question de la lutte contre les LGBTphobies et de l’éducation à la sexualité, pour marquer ma volonté politique. C’est important. Sur l’éducation à la sexualité, entre les instructions et la réalité du terrain, il y a, en effet, souvent des écarts, malgré l’obligation depuis la loi de 2001 de trois séances par niveau du CP à la terminale. On le constate aussi parfois pour l’enseignement moral et civique. J’ai donné des instructions claires pour que la loi soit respectée. Je vais demander par ailleurs une mission à l’inspection générale afin de vérifier l’effectivité des trois séances annuelles. 

N’est-il pas temps, d'ailleurs, pour en finir avec les débats stériles portés par le lobby réactionnaire, de renommer les séances d’éducation à la sexualité, qui concernent avant tout la vie amoureuse ou la prévention du VIH ?

Pour les premiers niveaux, il s’agit d’apprendre aux enfants que leur corps est le leur et qu’une autre personne n’a pas le droit de le toucher s’ils ne sont pas d’accord. Il s’agit aussi, là encore en fonction de l’âge et de la maturité des enfants, de travailler sur l’égalité, sur la prévention des violences sexuelles et sexistes, sur les questions de santé sexuelle. On a appelé cela éducation à la sexualité, on pourrait en effet trouver un autre vocabulaire. Mais j’observe que ma volonté de faire respecter ces séances n’a pas provoqué de polémique ou de levée de boucliers. Je pense que la société bouge beaucoup depuis dix ans sur ces questions qui sont moins clivantes, notamment politiquement, que par le passé – sauf de la part de l’extrême droite. 

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Pourtant, l’extrême droite s'active toujours sur ces sujets, faisant désormais interdire des lectures de contes pour enfants par des drag queens… 

Ces lectures n’ont pas lieu à l’école mais je me désole de ces attaques et des pressions de l’extrême droite... Il existe certes un monde réactionnaire agressif qui s’attaque à l’école via les questions LGBT+, mais je pense qu’il s’agit d’une réaction très bruyante qui ne reflète pas la société actuelle.

Êtes-vous favorable à ouvrir davantage l’école aux associations, notamment LGBT+, qui ont développé un réel savoir-faire dans la sensibilisation des élèves ?

Oui, que les portes soient grandes ouvertes lorsque ces associations, qui ont un agrément et ont acquis une expertise précieuse, proposent d’intervenir, c’est le minimum que l’on puisse attendre de l’école. Les recteurs et rectrices doivent l’indiquer aux chefs d’établissements. Nous ne pouvons cependant pas tout demander aux associations et l’école a toute sa part à prendre.

Comment bâtir une école de l’inclusion avec des accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH) pas à temps plein et rémunéré·es moins de 900 euros par mois ? 

Leur rémunération actuelle n’est pas suffisante. C’est pourquoi nous les augmentons de 10% à la rentrée 2023 et qu’on leur verse, depuis le 1er janvier, une prime d’éducation prioritaire. Par ailleurs, la titularisation des AESH se fait désormais en trois ans, contre six par le passé. L’enjeu est effectivement qu’elles et ils puissent quand c'est leur souhait avoir un temps plein. Nous avons progressé avec les collectivités territoriales pour pouvoir leur proposer d’intervenir durant des activités périscolaires avec un seul contrat, et non un contrat pour chaque employeur. Mais cela ne résoudra pas tous les besoins. C’est donc une question sur laquelle nous travaillons encore car elle doit être articulée avec un ensemble d’autres mesures qui ont pour objectif de faire évoluer l’école inclusive. Ces mesures seront annoncées lors d’une conférence nationale du handicap au printemps.

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>> Si vous ressentez le besoin de parler à propos du harcèlement scolaire, vous pouvez contacter le 3020, et le 3018 à propos de harcèlement sur internet. SOS homophobie dispose également d'une ligne d'écoute (01 48 06 42 41) et d'un chat.